Il y a de cela un mois, le 24 janvier 2022, un groupe de militaires sous la bannière du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) apparaissait sur les écrans de la Télévision nationale pour annoncer le renversement du président démocratiquement élu, Roch Marc Christian Kaboré. Un mois après, les Burkinabè attendent toujours la feuille de route des nouvelles autorités. Mais qu’est-ce qui a été fait jusque-là ?
Le constat général qui se dégage un mois après que le Lieutenant-Colonel Paul Henri Sandaogo Damiba, à la tête du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) a pris le pouvoir, est que tout tourne au ralenti. Toutefois, il est à noter que des décisions majeures ont été déjà prises. Il s’agit, notamment, des changements intervenus au sein de la grande muette. La hiérarchie militaire, dans tous ses compartiments, a connu des chamboulements. Du chef d’Etat-Major général des armées (CEMGA) au chef d’Etat-Major de la Gendarmerie nationale, en passant par l’armée de Terre, l’armée de l’Air, les sapeurs-pompiers et l’Agence nationale des renseignements, ce sont de nouveaux responsables qui ont été promus. Dans ce même registre, on a noté la création du Commandement des opérations du théâtre national (COTN) pour mieux coordonner la lutte anti-terroriste. Le chef de l’Etat a justifié la naissance du COTN pour apporter une réponse plus conséquente à la priorité de l’heure qui demeure le retour impératif de la sécurité. « La restauration de l’intégrité de notre territoire, priorité absolue, passera par une réorganisation de l’ensemble des forces combattantes, afin de les rendre complémentaires et interopérables pour un maillage efficient du territoire national. Ce chantier, déjà engagé à travers la création du Commandement des opérations du théâtre national (COTN), implique la nécessité de redynamiser la connexion entre la fonction renseignement et les opérations sur le terrain. Cela permettra de mieux soutenir notre choix stratégique, d’orienter résolument notre action vers l’offensive contre tous les groupes armés qui resteront dans une logique de répandre la violence de façon aveugle au sein de nos communautés », a souligné le Lieutenant-Colonel Damiba, lors de sa prestation de serment le 16 février dernier, devant le Conseil constitutionnel. L’autre décision capitale a été la création et l’installation de la Commission technique d’élaboration de projets de textes et de l’agenda de la Transition le 8 février 2022 par le président du Faso.
La transition en vue
Aux dernières nouvelles, ladite Commission composée de 15 membres a rendu ses travaux au chef de l’Etat le mercredi 23 février 2022. Il reste à savoir ce qui a été proposé pour que le processus de la Transition puisse se mettre en branle. Ce que l’on peut retenir également des 30 jours de gouvernance du Président Damiba, c’est aussi sa sortie, le 14 février dernier, à Toéni, Ouahigouya et Sollé pour encourager les forces de défense et de sécurité qui croisent le fer contre les forces du mal. D’autres initiatives, non des moindres, ont jalonné le premier mois de pouvoir du MPSR. Il s’agit des différentes concertations avec l’ensemble des forces vives de la Nation. Dans une démarche qui s’est voulue inclusive, le chef de l’Etat a rencontré tour à tour, les membres du gouvernement déchu, les partis politiques, les organisations de la société civile, les patrons de presse, les responsables de sociétés d’Etat, etc., afin de leur faire part de ses ambitions inhérentes à la restauration de l’intégrité du territoire.
S’il y a une chose qui n’a laissé personne indifférent dans ce laps de temps, c’est bien sûr l’intrusion du Conseil constitutionnel dans une prise de pouvoir par la force. En effet, les « sages » de l’institution ont, à travers deux décisions, constaté la vacance du pouvoir avec la démission du Président Roch Marc Christian Kaboré et dévolu les fonctions du président du Faso, chef de l’Etat, au Lieutenant-Colonel Paul Henri Sandaogo Damiba. Suite à ces décisions, le Conseil constitutionnel a décidé de la prestation de serment du président du MPSR en tant que président du Faso. Effectivement, le 16 février 2022, devant les membres du Conseil constitutionnel, le Lieutenant-Colonel a prêté serment en tant que chef de l’Etat. L’invitation du Conseil constitutionnel pour légitimer un pouvoir pris par la force a suscité des controverses entre juristes et défenseurs de la démocratie. D’aucuns ont estimé simplement que le Conseil constitutionnel n’avait pas à s’immiscer dans une prise de pouvoir en dehors des conditions normales d’accession. L’institution aura porté un coup à la démocratie au Burkina, diront certains. « Je pense que le débat qui est engagé sur cette question n’a pas lieu d’être, objectivement parlant. Quand on entre dans la logique d’un coup d’Etat, cela veut dire qu’il n’y a pas de droit. C’est-à-dire, là, on fait jouer au Conseil constitutionnel un rôle qui n’est pas le sien. Et je ne vois pas ce que cela change fondamentalement. Même du point de vue du droit, dès lors que la prise du pouvoir a été ce qu’on sait, donc par un coup d’Etat, qui, par définition, est la négation de l’Etat de droit », a argué l’ancien président de l’Assemblée nationale, Mélégué Traoré, à propos de la prestation de serment. Pour lui, la décision du Conseil constitutionnel de faire prêter serment au président du MPSR est « un habillage juridique » à quelque chose qui ne peut en avoir. « La prestation de serment ici, c’est pour notre décor intérieur et l’ambiance interne qui va donner plus d’assurance aux militaires », a indiqué M. Traoré. Pour un décor intérieur, cette prestation en avait en tout cas les attributs.
Fausse note
C’est au cours de cette même cérémonie de prestation de serment que la présence d’un activiste, en la personne d’Ibrahim Maïga, va susciter des réactions mitigées à l’endroit de la junte. Le relatif capital de sympathie dont elle jouissait jusque-là s’est quelque peu effritée ce jour-là. Comment cet homme qui sabotait en quelque sorte la stratégie de la grande muette dans le combat contre le terrorisme peut-il s’afficher comme membre du MPSR ?
Pourquoi le MPSR peut-il cheminer avec quelqu’un qui, de l’extérieur, vouait aux gémonies son pays ? Comment le MPSR peut-il adouber un homme qui a annoncé officiellement sur sa page Facebook avoir renoncé à sa nationalité burkinabè ? Autant de questions que se sont posé bon nombre de Burkinabè. Que le MPSR le veuille ou pas, son accointance présumée ou avérée avec Ibrahim Maïga jette à tout le moins un discrédit sur lui. Tôt ou tard, la junte devra clarifier cette appartenance supposée ou non au Mouvement de cet activiste qui aura montré dans ses postes qu’il se moquait bien des symboles républicains. L’on peut avoir des raisons de haïr un chef d’Etat, mais de là à le traiter comme un vulgaire quidam, il y a des limites à ne pas franchir. Et Ibrahim Maïga s’est adonné à cœur joie à cette entreprise peu honorable de démolition d’une personnalité qui a incarné le plus haut symbole de la République, à savoir la fonction de chef de l’Etat. D’autre part, par son activisme zélé depuis les Etats-Unis, il a contribué à saboter le moral des FDS qui sont au front de la lutte contre l’hydre terroriste. Se complaire avec un tel personnage, c’est laisser la porte ouverte à toutes les critiques. Pour le moment, le cas Maïga aura été la fausse note du MPSR, même si le président du Faso ne le reconnait pas comme membre, il est bien un soutien encombrant.
Jérôme HAYIMI