Koudougou sera du 27 au 28 janvier 2022, la capitale du coton. A l’occasion de la 3e édition du Salon international du coton et du textile (SICOT), L’Economiste du Faso a reçu pour son café, le Secrétaire permanent de la filière coton, Commissaire général du Sicot. Jean Pierre Guinko a autour d’une tasse de café, donné les grandes étapes de cette rencontre. Occasion aussi de revenir sur les stratégies en œuvre pour une industrialisation réussie de ce secteur porteur de l’économie nationale.
L’Economiste du Faso : Nous sommes à la veille de l’organisation de la 3e édition dans un contexte de crise sanitaire, comment sera organisée cette édition, à quoi les lecteurs, les Burkinabè et les participants devraient s’attendre ?
Jean Pierre Guinko (Secrétaire permanent de la filière coton, Commissaire général du SICOT) : Merci pour cette opportunité que vous nous offrez pour donner des éléments d’informations sur l’organisation de la 3e édition du SICOT. En tant que Commissaire général et au nom de la hiérarchie du département en charge du développement industriel, nous sommes heureux de pouvoir vous entretenir sur les grandes articulations de ce Salon. Nos autorités croient fermement aux retombées de cet évènement international. Cette 3e édition du SICOT se déroule dans un contexte de double crise : sanitaire et sécuritaire. Le gouvernement en a pris la pleine mesure et les dispositions ont été prises pour que cette édition se déroule dans de très bonnes conditions afin que les participants étrangers et nationaux, en présentiel et en virtuel, puissent apporter toute leur expertise ou leur concours sur des grandes réflexions qui seront abordées durant ces deux jours du Salon.
Le thème central de cette 3e édition du SICOT qui est « Transformation locale du coton, quel modèle d’industrialisation pour l’Afrique dans le cadre de la ZLECAF », comment le Burkina se prépare-t-il dans ce contexte de ZLECAF avec son industrie de coton ?
Ce thème a été très réfléchi pour pouvoir être proposé au gouvernement qui l’a entériné en Conseil des ministres. Ce thème brasse des aspects très importants, à savoir: les questions de la transformation locale en Afrique et, notamment, au Burkina Faso et les deux dernières éditions ont également mis du doigt sur ce volet. L’insistance sur la question de la transformation est très importante, ce qui fait que nous devons arriver à concrétiser toutes les initiatives développées par nos différents Etats suite aux différentes conclusions des deux éditions passées.
Nous sommes également focalisés sur la ZLECAF qui est un contexte favorable que le secteur coton devrait intégrer dans sa politique de développement en touchant tous les aspects de la chaîne de valeur du coton. Aujourd’hui, les échanges intra-africains sont une opportunité qui se présente avec plus de 1,5 milliard de consommateurs et des opportunités d’affaires. Les barrières tarifaires et non tarifaires vont être allégées, c’est une occasion de compter sur nous-mêmes, de consommer local africain, avant d’attaquer les marchés hors Afrique. Cette opportunité s’est présentée depuis la mise en œuvre de la ZLECAF qui est entrée en vigueur depuis le 1er janvier 2021. Le SICOT est une aubaine pour présenter un plateau de discussion de haut niveau pour avoir toutes les articulations, toutes les recommandations nécessaires afin que les différentes politiques nationales puissent intégrer cet aspect lié à la transformation du coton et à sa consommation au plan local africain. C’est dans ce sens que ce thème a été entériné pour être discuté en plus des thématiques au niveau des différents panels prévus qui vont tourner autour de ce thème et également des tables rondes spécifiques pour discuter de certaines problématiques liées à d’autres aspects de la chaîne de valeur.
Cet évènement est une opportunité aussi de montrer ce que le Burkina fait en matière de transformation, de politique sectorielle, que met-on sur la table en termes de résultats et d’expérience à partager au Burkina ?
Aujourd’hui, le Burkina a une politique nationale ZLECAF qui a été adoptée et qui est articulée sur les différents secteurs porteurs de notre économie pour pouvoir arriver à capter toutes les opportunités qui s’offrent à travers ce grand marché. Parmi les différents secteurs porteurs, le secteur coton occupe une bonne place avec également l’entrée en vigueur de notre seconde phase du Plan national de développement économique et social (PNDES) qui donne une part belle aux questions de transformation des produits locaux, notamment, le coton. La stratégie nationale d’industrialisation au niveau du ministère en charge du développement industriel oriente les efforts à faire sur le plan institutionnel, organisationnel pour pouvoir créer les conditions favorables pour l’essor des industries, notamment, l’industrie textile.
Avez-vous une idée du nombre de participants ?
Cette troisième édition se déroule dans une situation sanitaire préoccupante. En dépit de cela, l’évènement se tiendra aux dates indiquées. Les conditions sont réunies pour tenir compte de tous ces aspects. C’est dans ce sens que des mesures relatives aux dispositions sanitaires ont été prises pour assurer une sécurité sanitaire tout au long de l’évènement. Nous attendons environ 1000 personnes en présentiel et en virtuel. Ce nombre tient compte du contexte. Les inscriptions sont obligatoires en ligne sur le www.sicot-bf.com. Les badges d’accès en présentiel seront conditionnés par l’inscription en ligne. Les dispositions sont prises pour que tous les participants puissent passer un agréable séjour dans la sécurité à Koudougou.
Le Burkina transforme très peu de coton, moins de 2%. Conséquence, le pays achète à l’extérieur chaque année, beaucoup de produits textiles finis pour environ 70 milliards FCFA. Que faire pour freiner cette saignée financière?
Le constat est préoccupant et cette préoccupation a été prise à bras-le-corps par les autorités avec en premier lieu, le président du Faso qui est très regardant sur ces questions liées à la transformation du coton. Aujourd’hui, il est l’ambassadeur du coton au plan africain, le modèle qui inspire ses homologues afin que les soutiens nécessaires puissent être apportés pour résoudre les goulots d’étranglement qui minent l’essor de ce secteur de l’économie nationale. Aujourd’hui, c’est vrai, nous avons une production de fibre qui est quasiment exportée brut, c’est dire que nous exportons nos emplois vers d’autres cieux, il faut inverser la tendance. C’est dans ce sens que les autorités se sont engagées à ce qu’on puisse créer les conditions pour attirer des investisseurs spécialisés dans le secteur. Aujourd’hui, l’industrie textile est un secteur dont la maîtrise de tous les segments (production, mise en place des unités qui connaissent un niveau de technologie très avancée pour sortir des produits compétitifs) est une nécessité pour être viable sur le marché national, voire international. Dans ce sens, des prospections ont été menées et des investisseurs se sont manifestés. Qui dit manifestation d’intrêt d’investisseurs nécessite de bien examiner la capacité de ceux-ci à pouvoir être des porteurs de projets avec tous les éléments liés à la rentabilité d’un investissement de cette taille. C’est dire que nous sommes résolument engagés dans cette dynamique. Des projets sont actuellement dans les pipelines et sont en train d’être mûris. C’est vrai qu’on dira que depuis les deux éditions, l’attente est toujours de mise. Mais il faut reconnaitre que nous sommes dans un secteur où la maîtrise de tous les éléments liés à l’investissement pour assurer la réussite et la viabilité de ces entreprises nécessite un regard particulier, des études très approfondies, un montage et un modèle économique bien ficelés.
Pouvez-vous nous faire un briefing sur ces projets qui sont avancés dans le secteur?
Des projets sont en train de connaitre leur maturité. Il y a le projet A STAR textile Burkina avec un partenaire technique turc qui avait été identifié et qui a permis de développer un business plan qui a été rigoureusement monté et validé et très bien apprécié par les différents partenaires techniques et financiers. Ce projet est toujours d’actualité. Du reste, nous suivons pour le compte du ministère en charge du développement industriel ce projet avec d’autres acteurs au plan national. C’est pour vous rassurer que ce projet verra le jour comme souhaité par son Excellence Monsieur le président du Faso. Nous travaillons à ce que les différents projets annoncés se concrétisent courant cette année 2022.
Le projet avec A STAR textile Burkina dont certains aspects sont en train d’être analysés et finalisés, notamment, les questions de structuration pour la mobilisation des ressources (environ 200 milliards FCFA) va permettre de mettre en place des unités de couture dans divers aspects à Koudougou et à Bobo-Dioulasso et également l’unité de complexe intégrée à Ouagadougou. C’est un projet qui est toujours en phase finale de maturation.
L’autre projet qui est aussi beaucoup attendu c’est l’ex-Faso Fani, qui a été aujourd’hui reprise totalement par l’Etat, parce que investisseur privé n’a pas pu tenir la route. Ainsi, le gouvernement a pris résolument la décision de pouvoir être en avant sur le projet pour amorcer le démarrage de cette nouvelle unité Faso Fani pour qu’en plus des investisseurs nationaux, d’autres investisseurs potentiels puissent être intéressés pour pouvoir être autour de la table afin que ce projet puisse tenir la route.
Donc, c’est dire que le projet Faso Fani est actuellement porté par l’Etat et avance bien. Du reste, les équipes ont effectué en fin d’année, un déplacement pour valider des équipements qui doivent être installés. Cela permet de rassurer que les aspects techniques sont en train d’être bouclés afin que le projet puisse démarrer pour créer les emplois nécessaires pour la région du Centre-Ouest et pour le Burkina Faso.
Comment allez-vous assurer la matière première si la campagne du coton est financée à plus de 70% par l’extérieur ? C’est-à-dire qu’ils payent déjà le coton avant qu’il soit produit, comment allez-vous garantir la matière première aux unités qui seront mises en place ?
Vous avez raison d’avoir cette analyse qui présente un tableau où la campagne cotonnière est quasiment financée à plus de 70% par l’extérieur. En réalité, dans le secteur coton, c’est plus complexe que cela. Ce sont des ventes anticipées sur les campagnes qui permettent aux sociétés cotonnières de pouvoir lever des ressources auprès des institutions financières qui se bousculent d’ailleurs à accompagner le secteur coton, parce que c’est très rentable et les sociétés respectent leurs engagements. Ce sont donc les ventes anticipées qui sont interprétées comme une sorte de financement de la saison. Mais c’est un élément important. Toutefois, nous avons une grande marge en termes de production, environ 200 à 250.000 tonnes de fibres produites annuellement. C’est pour dire que les sociétés qui vont être mises en place vont rentrer dans le jeu. Dans le cadre du montage de ces business plan, de la mise en place de ces unités, ce volet est intégré.
Nous avons 18 mois environ pour pouvoir mettre en place une unité, on a largement le temps d’être dans le dispositif des institutions cotonnières pour pouvoir faire des commandes pour les besoins de la consommation. Aujourd’hui, nous avons FILSAH qui fait environ 5000 tonnes mais qui a progressé en termes de capacité de transformation de la fibre à 10.000 tonnes. C’est un résultat du SICOT 2018. C’est un investissement très important que FILSAH a fait et cela est d’ailleurs une fierté pour le Burkina, parce qu’on lui a garanti la matière première. Dans le jeu, la garantie de la matière première ne pose pas de problème, étant donné que c’est notre matière première que nous vendons vers d’autres partenaires extérieurs. La politique gouvernementale devra donner des orientations sur l’approvisionnement de nos unités en priorité pour leur permettre de fonctionner avant de penser aux autres qui sont à l’extérieur. Mais aujourd’hui, nous avons une quantité suffisante qui permet d’avoir une marge de manœuvre pour pouvoir approvisionner suffisamment en quantité et en qualité nos unités qui sont en train d’être développées en plus du FILSAH qui est déjà installé et qui a augmenté sa capacité.
Vous dites que la garantie de la matière première ne pose pas de problème, c’est quand même une inquiétude, parce qu’on a assisté à des abandons de cotonculteurs. Que ce soit dans la Boucle du Mouhoun, dans les Hauts-Bassins, nous avons vu des communautés entières qui se sont réunies pour dire qu’elles ne vont plus cultiver le coton.
Je puis vous rassurer que la question de l’abandon qui a été constatée aux sorties des campagnes difficiles 2017-2018 et 2018-2019 est derrière nous. Elle était liée à certaines situations exogènes qui ont impacté le niveau de productivité et qui ont eu pour corollaire un endettement des producteurs. Au regard du poids d’endettement, certains ont décidé de ne pas s’engager pour ne plus creuser leur endettement. Mais je vous rassure que le gouvernement, au regard de la situation, a pris des mesures d’appurement de près de 11 milliards FCFA durant la campagne 2020-2021. Donc, c’est pour dire qu’un plaidoyer a été fait et, l’Etat, à travers sa politique de maintien et de pérennisation du secteur, a accédé à ce plaidoyer des producteurs et pris en charge leur endettement. Mieux, l’Etat, à travers les orientations du président du Faso, a mis en place un comité de haut niveau de suivi de la production cotonnière. Ce comité de haut niveau, présidé par le ministre en charge du commerce et avec pour vice-présidents le ministre en charge des finances et le ministre en charge de l’agriculture, a travaillé sur trois campagnes et c’est la dernière campagne qui est en train de courir. Il a réuni tous les acteurs pour échanger sans tabou sur des propositions de solutions concrètes qui ont été mises en œuvre et qui ont permis d’apaiser le climat social entre les producteurs et les sociétés cotonnières. Cela a permis de faire revenir les producteurs qui avaient abandonné dans les localités que vous avez citées, notamment, dans la zone du Kénédougou. Vous connaissez le poids de cette localité dans la production cotonnière au Burkina Faso, notamment, en zone SOFITEX. Ça a permis un rebond de la production et de la productivité au niveau national.
Après l’apurement de la dette, le système qui a conduit à l’endettement des producteurs est-il toujours d’actualité ou a-t-il été changé ?
En ce qui concerne l’endettement, en réalité, ce n’est pas tous les producteurs qui n’ont pas pu rembourser les crédits des intrants à cause des mauvaises pratiques. Certains producteurs dits opportunistes ont profité de la situation pour régler leurs dettes. Pourtant, ils en sont responsables, car ils ont utilisé les intrants mis à leur disposition à d’autres fins. Il y en a qui ont été victimes d’une faible productivité due aux conditions climatiques défavorables. Aujourd’hui, le système de mise à disposition des intrants est très rigoureux. Il est bâti sur l’historique de production des producteurs afin de pouvoir démasquer les producteurs opportunistes qui ne viennent pas pour la production du coton mais pour le détournement d’intrants.
Avez-vous une idée du volume du coton bio produit au Burkina ? Combien rapporte-t-il au Burkina ?
Aujourd’hui, nous sommes à environ 2500 tonnes de coton biologique. Nous sommes en train de mettre en œuvre des actions pour que les acteurs puissent être beaucoup plus dynamiques.
Il ne faut pas voir le niveau de production mais plutôt l’engagement de la filière cotonnière burkinabè ; en plus de la production du coton classique, il y a un souci de préservation de l’environnement en produisant le coton biologique.
C’est important, étant entendu que très peu de pays produisent ce coton. C’est un aspect qui est très apprécié par les partenaires techniques et financiers du Burkina.
La production du coton biologique est une niche qui a été développée par les autorités. C’est un coton produit par les producteurs qui ne sont pas dans la production classique. En plus, sa culture est encadrée par des normes qui sont validées par des certificateurs pour l’obtention du label du coton biologique. C’est une culture très rigoureuse et qui n’intègre pas les conditions de production du coton conventionnel qui est pratiquement développé sur tout le bassin cotonnier du Burkina Faso.
Ce sont des femmes qui exploitent en grande partie ce coton. Cette production leur permet d’avoir des revenus plus consistants que la culture du coton conventionnel en plus d’autres primes d’encouragement pour l’effort de la préservation de l’environnement.
Il n’y a pas de risque de concurrence entre coton bio et coton conventionnel…
Non, il n’y en a pas. Ce sont deux types de coton qui se complètent plutôt. C’est à ce titre qu’avec l’appui du gouvernement, la Société de coton biologique (SOCOBIO) a été créée et inaugurée au cours du SICOT édition 2020. C’est pour montrer la volonté franche du gouvernement à développer ce secteur. C’est un des volets qui vient confirmer les aspects de traçabilité dans le secteur coton. Aujourd’hui, le coton biologique a son unité d’égrainage qui permet de produire de la fibre biologique certifiée qui est utilisée par les utilisateurs finaux sur le plan national et international.
Comment utiliser le SICOT comme une vitrine de promotion du pays ?
En dépit de la situation difficile que le pays traverse, le gouvernement a voulu montrer la résilience du pays au monde entier pour accueillir un évènement d’envergure internationale. Le SICOT offre une opportunité de promotion du coton burkinabè et africain. Le pays apparait comme l’ambassadeur de l’Afrique pour la transformation locale du coton. C’est un évènement qui est dans les agendas des grandes organisations au plan international. Nous avons des raisons de croire que cet évènement va apporter les résultats souhaités pour notre pays et pour l’Afrique. A l’image des grands évènements comme la SNC et le SIAO, le SICOT est une vitrine du Burkina Faso aux yeux de l’Afrique et du monde où tous les grands acteurs du secteur du coton se retrouvent pour le développement de la chaîne de valeur.
La Rédaction
Encadré
Industrialisation et facteurs de production
C’est une question qui fera l’objet d’une réflexion au cours de cette troisième édition du SICOT. Mais déjà, le diagnostic est fait. Les questions d’industrialisation nécessitent des engagements forts et des politiques adaptées pour l’atteinte des objectifs. L’un des éléments est la disponibilité des sites industriels. En plus, l’Etat devrait prendre des réformes innovantes pour attirer les investisseurs au Burkina Faso. Le Code des investissements qui a été adopté récemment permet aux investisseurs d’avoir une large gamme d’opportunités pour le développement de leurs entreprises.
La question énergétique est très importante, car elle joue sur la compétitivité des entreprises. L’Etat a développé la politique du mix énergétique qui est une opportunité à saisir. Des infrastructures énergétiques sont en cours de développement pour la production d’énergie spécifique pour l’industrie. Nous avons la matière première à disposition. Nous devons la mettre à la disposition de nos industries à un coût compétitif sur le plan international, afin qu’elles puissent tirer le maximum de bénéfice. Le modèle économique doit permettre de savoir sur quel volet commencer le développement de l’industrialisation. Il faudrait un agenda, un séquençage de la mise en place de ces unités. Pour relever ce défi, il faut que nous comptions sur notre propre force. C’est pourquoi notre secteur privé est très engagé pour la transformation du coton. Par exemple, pour cette édition du SICOT, le coparrain est le président de la Chambre de commerce et d’industrie. C’est un message fort à l’endroit du secteur privé à se lancer dans ce secteur pour tirer le maximum de profit en termes d’opportunités à saisir.