Une des techniques utilisées par les sociétés pour payer le moins d’impôts possibles est l’optimisation fiscale. Elle consiste à exploiter les faiblesses du dispositif fiscal national pour réduire les charges fiscales. Par des moyens légaux, les sociétés qui s’adonnent à cette pratique arrivent à faire baisser ou même contourner les taux d’imposition des impôts, droits, taxes et redevances fixés par la loi.
L’optimisation fiscale est le sport favori des multinationales qui s’implantent dans les pays africains.
Au Burkina Faso, 03 actualités sur le secteur minier s’apparentent à de l’optimisation fiscale. En effet, le 23 mars 2020, Endeavour Mining Corporation a annoncé qu’elle avait conclu avec la société SEMAFO « une entente définitive (« entente d›arrangement ») en vertu de laquelle Endeavour acquerra tous les titres émis et en circulation de SEMAFO au moyen d’un plan d’arrangement ».
SEMAFO devient propriétaire d’Endeavour, à en croire Michael Beckett, président d’Endeavour, et Sébastien de Montessus, Président-Directeur général d’Endeavour, qui parlent de « combinaison » entre les 02 sociétés, contrairement à Benoît Desormeaux, président et chef de la Direction de SEMAFO, qui parle de « transaction ».
Le 16 novembre 2020, Endeavour Mining a encore annoncé une combinaison : « un accord définitif en vertu duquel Endeavour acquerra tous les titres émis et en circulation de Teranga ». Au Burkina Faso, Teranga exploite Waghion Gold.
Le 26 avril 2021, Fortuna Silver Mine a opéré un rapprochement avec Roxgold. La fin du regroupement de Fortuna Silver et de Roxgold est intervenue de 2 juillet 2021. Outre les sociétés en exploitation, ces sociétés détiennent des sociétés de recherche au Burkina Faso.
Dès l’annonce de ces 03 opérations, le budget national s’attendait à recevoir des taxes liées à ces transactions sur les nombreuses filiales des sociétés implantées au Burkina Faso.
En effet, la loi N° 036-2015/CNT du 26 juin 2015 portant Code minier du Burkina Faso en son article 106 autorise de céder, confier ou transmettre un permis minier.
Pour l’article 107, une telle opération « est soumise à la formalité de l’enregistrement et au paiement de la taxe spécifique sur les transactions de titres miniers et autorisations prévues par les dispositions du Code des impôts. Les plus-values de cessions de droits et les revenus liés aux formes de transactions portant sur lesdits droits donnent lieu à la perception d’un droit spécifique au taux de 20% liquidé lors de la formalité de l’enregistrement, conformément aux dispositions fiscales en la matière ».
La désillusion nationale
Mais les Burkinabè vont vite déchanter.
Le Burkina Faso éprouve des difficultés pour collecter les plus-values après ces changements intervenus. Plusieurs raisons expliquent cette situation.
Pour ces sociétés, les droits et obligations résultant des titres miniers de SEMAFO, Waghion Gold et Roxgold ne sont ni confiés, ni cédés ni transmis partiellement ou totalement dans ces 03 opérations. Il ne s’agit pas d’une cession ou d’un achat de titre minier mais d’une prise de contrôle d’Endeavour sur SEMAFO et Teranga, d’une part, et de Fortuna sur Roxgold, d’autre part.
Du côté du ministère des Mines, on rassure. La réflexion est menée par un comité pour cerner tous les contours du problème afin de préserver les intérêts du Burkina Faso. Cette limite du Code minier burkinabè est à l’origine du refus de payer la plus-value par ces multinationales. C’est le Burkina Faso qui s’en sort perdant dans une transaction qui se passe à l’international.
Que disent les autres textes nationaux et supranationaux ?
Le Droit OHADA prévoit la concentration d’entreprises, comme c’est le cas dans ces opérations. Toutefois, avant l’opération, obligation est faite de vérifier certains facteurs tel le respect des règles de la concurrence, afin de déceler les effets pervers de la position dominante de l’entreprise qui prend le contrôle. Dans les présents cas, ce préalable n’a pas été respecté.
La mise en œuvre de cette disposition au Burkina Faso obligerait le gouvernement à faire recours à la règlementation sur la concurrence. Il a mis en place la Commission nationale sur la concurrence dont l’avis est nécessaire avant ces opérations.
Le Code minier s’est inspiré du droit OHADA. Son article 106 exige que « le titulaire du titre minier doit transmettre au ministre chargé des mines tout contrat ou accord par lequel il confie, cède ou transmet partiellement ou totalement les droits et obligations résultant du titre minier. Si le cessionnaire offre au moins les mêmes garanties d’exécution des obligations prévues au présent Code que le cédant, l’accord du ministre chargé des mines est de droit lorsque le cédant a satisfait aux obligations ». Endeavour et Fortuna n’ont pas signifié au ministère des Mines leur action sur Semafo, Waghion et Roxgold. C’est dire que Semafo Mana, Semafo Boungou, Waghion ne peuvent pas changer de main sans l’avis préalable du ministère en charge des mines. Ici, l’opération s’est faite au Canada sur la base de l’ensemble des propriétés des sociétés englouties sans tenir compte de la législation des pays d’accueil. Si le Burkina Faso a adopté des textes, il ne semble pas se donner les moyens pour les faire respecter.
Il est évident que dans ces 03 opérations, le ministère des Mines n’a pas joué son rôle. En effet, il n’a pas été informé de l’opération comme le prévoient les textes. Mais il n’a pas non plus exigé d’être informé, avec toute la documentation nécessaire comportant les informations sur la valeur réelle des filiales au Burkina Faso pour savoir si ces opérations arrangent le pays.
L’exigence de cette documentation doit se faire par permis minier et non par société. Le ministère dispose de plusieurs moyens de contrainte dans le Code minier pouvant aller même au retrait du permis.
Afin que cette situation ne se produise plus, certains experts estiment qu’il y a lieu de prendre expressément une décision qui exige que l’investisseur informe le ministère avant toute opération quel qu’en soit sa nature afin qu’il donne son avis. De nos jours, il est pratiquement impossible pour le ministère de connaitre la valeur réelle des filiales de ces 03 opérations qui concernent plusieurs sociétés au Burkina Faso.
Ces actes d’autorité devraient viser à préserver la souveraineté nationale vis-à-vis des multinationales qui ne s’installent que dans les pays dits attractifs. Or, l’attractivité est synonyme de maximisation du profit qui est incompatible avec des recettes publiques.
Une autre insuffisance du dispositif fiscal mise à nu par ces transactions : avec la prise de contrôle de SEMAFO et Waghion par Endeavour, ces sociétés disparaissent sur le plan international. Malgré tout, elles gardent leur dénomination au Burkina Faso. La règlementation n’oblige pas ces sociétés à modifier leur nom commercial au Burkina Faso. C’est l’article 169 du Code général des impôts qui a occasionné cette limitation : « Sont considérées comme des cessions indirectes de titres miniers, les cessions d’actions, de parts sociales et de toute prise de participation, directe ou indirecte, égale ou supérieure à 10 % dans une personne morale titulaire d’un titre minier délivré au Burkina Faso, y compris par voie de fusion, scission ou apport partiel d’actif ». Toutefois, les obligations fiscales restent inchangées. La Direction générale des Impôts est interpellée sur cette question.
Elle est également interpellée sur un autre aspect. Le Code général des impôts dispose que les impôts sont informés dans un cours délai en cas d’opération de prise de contrôle d’une entreprise par une autre. Pendant ce temps, le Code minier exige l’avis du ministère des Mines avant. Si les Impôts engagent une procédure pendant que le ministère des Mines n’autorise pas l’opération, cela pose un problème de coordination entre structures.
A la lecture de cette disposition, on constate qu’elle est plus orientée vers les sociétés minières de droit burkinabè. Elle ne prend pas en compte une opération qui se passe sur le marché international impliquant une filiale implantée au Burkina Faso. Le manque de coordination entre structures et les insuffisances des textes nationaux favorisent l’optimisation fiscale. o
J B
Encadré 1
Extraits de la loi N° 036-2015/CNT du 26 juin 2015 portant Code minier du Burkina Faso
Article 106 : Les droits liés aux titres miniers sont cessibles et transmissibles dans les conditions prévues par les textes en vigueur. Le titulaire du titre minier doit transmettre au ministre chargé des mines tout contrat ou accord par lequel il confie, cède ou transmet partiellement ou totalement les droits et obligations résultant du titre minier. Si le cessionnaire offre au moins les mêmes garanties d’exécution des obligations prévues au présent Code que le cédant, l’accord du ministre chargé des mines est de droit lorsque le cédant a satisfait aux obligations lui incombant en vertu de la règlementation minière et au paiement de la taxe sur les plus-values de cessions.
Article 107 : Le contrat ou l’accord par lequel le titulaire d’un titre minier confie, cède ou transmet, partiellement ou totalement les droits et obligations dudit titre, préalablement agréés par le ministre en charge des mines, est soumis à la formalité de l’enregistrement et au paiement de la taxe spécifique sur les transactions de titres miniers et autorisations prévues par les dispositions du Code des impôts. Les plus-values de cessions de droits et les revenus liés aux formes de transactions portant sur lesdits droits donnent lieu à la perception d’un droit spécifique au taux de 20% liquidé lors de la formalité de l’enregistrement, conformément aux dispositions fiscales en la matière.
Encadré 2
Extraits de la loi N°058-2017 du 20 décembre 2017 portant Code général des impôts
Article 169. La taxe sur les plus-values de cession de titres miniers, perçue au profit du budget de l’État, s’applique aux plus-values de cessions de titres miniers et aux revenus liés aux autres formes de transaction portant sur lesdits titres.
La taxe sur les plus-values de cessions de titres miniers est due par les personnes physiques ou morales qui cèdent directement ou indirectement des titres miniers ou à l’occasion de toutes autres transactions à titre onéreux portant sur lesdits titres.
Sont considérées comme des cessions indirectes de titres miniers, les cessions d’actions, de parts sociales et de toute prise de participation, directe ou indirecte, égale ou supérieure à 10 % dans une personne morale titulaire d’un titre minier délivré au Burkina Faso, y compris par voie de fusion, scission ou apport partiel d’actif.
Article 170. La taxe n’est pas due s’il s’agit d’une transmission par son titulaire d’un permis d’exploitation à une société de droit burkinabè pour la continuité de l’exploitation, aux conditions prévues par le Code minier et sous réserve que le transfert s’opère gratuitement au profit de la société d’exploitation dès sa création.