Alors que les autorités françaises redéfinissent actuellement les contours de l’intervention militaire qui succèdera à Barkhane au Mali, il paraît nécessaire de nous pencher sur un autre pilier important de la stratégie 3D mise en exergue par le Président Emmanuel Macron au début de son quinquennat.
Il faut avant tout rappeler rapidement le triptyque selon lequel les opérations militaires et par conséquent de défense des citoyens et la préservation de l’intégrité territoriale des Etats sahéliens ne peuvent connaître de succès durables sans une vigoureuse action diplomatique. Dans le même temps, des progrès significatifs en termes de développement et de réduction de la pauvreté sont aujourd’hui plus que nécessaires.
Or, la situation économique et sociale qui prévaut au Sahel aujourd’hui ne manque pas de susciter un certain nombre d’interrogations, voire d’hésitations. Nous ne ferons pas ici l’historique de six décennies d’aide au développement dans cette partie du continent, qui demeure parmi les plus pauvres du monde.
Ne serait-ce que ces dernières années, après le lancement en 2017 par la France et l’Allemagne de l’Alliance Sahel, dont l’objectif consistait à harmoniser et coordonner les actions des bailleurs de fonds pour en accélérer la mise en œuvre, les initiatives se sont multipliées, avec le Partenariat pour la Sécurité et la Stabilité au Sahel en août 2019, puis la Coalition Sahel en janvier 2020.
Cette effervescence traduit le souci légitime de trouver une solution pour que les populations du Sahel renouent avec l’espoir d’un avenir meilleur et puissent enfin connaître une paix durable. Mais, cette profusion d’annonces révèle aussi une certaine exaspération face à l’enfermement de cette région du monde dans un état endémique de mal développement.
L’agriculture n’est pas un tout, mais dispose d’indéniables atouts pour contribuer à la pacification de ces territoires
Aujourd’hui, les stratégies soutenues par les partenaires financiers des pays du G5 Sahel consistent en premier lieu à améliorer les conditions d’existence des populations directement touchées par les conflits, à travers l’accès plus facile aux services de base. Il s’agit ainsi d’intervenir au plus proche des hommes et des femmes en s’appuyant sur les acteurs de la société civile.
Simultanément, les autorités nationales et leurs soutiens financiers cherchent à prévenir l’extension des conflits par une approche territoriale d’endiguement de la menace. Il s’agit, en pratique, de mettre l’accent sur le développement économique et social des régions à la périphérie des crises pour les stabiliser et éviter une contagion vers l’ouest et le centre du continent.
Dans cette logique, il existe dans les régions soudaniennes une culture qui offre de réels atouts pour contrer la menace de l’avancée des conflits armés et de la violence extrême.
Depuis plus de 70 ans, la culture du coton, conduite en Afrique de façon traditionnelle, sans irrigation et avec très peu de mécanisation, a permis, à travers son organisation intégrée, de distribuer des revenus dans les campagnes, d’améliorer les pratiques agricoles et de contribuer à l’équipement des zones concernées. Elle facilite aussi l’accès aux services de santé et d’éducation et promeut des coopératives et des organisations professionnelles.
L’exploitation cotonnière participe aussi fortement à la sécurité alimentaire, à travers la production d’huile de coton pour l’alimentation humaine. Grâce aux revenus monétaires qu’elle génère, elle permet d’acquérir des intrants et du matériel agricoles qui bénéficient directement aux cultures vivrières. A titre d’exemple, au Mali, 56 % de la production céréalière provient des bassins cotonniers. Dans le même ordre d’idée, à travers la production de tourteau, l’activité cotonnière peut aussi contribuer positivement au secteur de l’élevage en fournissant non seulement des aliments pour le bétail, mais aussi en aidant à la structuration du pastoralisme. Une économie cotonnière performante peut, par conséquent, être un outil d’atténuation des relations entre les populations sédentaires et nomades.
Cette filière initiée par la France, pour développer les zones rurales africaines et approvisionner son industrie textile, est donc une formidable opportunité pour créer de la richesse avec un fort impact social.
Le Mali, le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Cameroun, le Tchad, le Togo et le Sénégal sont les principaux producteurs de coton d’Afrique de l’Ouest et du Centre. A eux-seuls, ils produisent 1,3 million de tonnes de coton fibre et représentent 14 % du commerce mondial. Les superficies s’y élèvent à environ 3,4 millions d’ha. Sur ces terres, on dénombre 2,5 millions d’agriculteurs. Et, au total 30 millions de personnes vivent du coton. Ces chiffres montrent à l’évidence qu’il s’agit en Afrique francophone d’un système de production essentiellement familial, avec des exploitations de l’ordre d’à peine plus d’un hectare en moyenne.
En 2019/2020, l’activité cotonnière a permis d’injecter dans les zones de production plus de 800 milliards FCFA (environ 1,2 milliard €).
Et si on regardait le coton différemment ?
Le coton permet aussi l’industrialisation de l’économie grâce à la construction des usines d’égrenage. Si les questions liées à l’accès régulier à une énergie peu chère et à la compétitivité monétaire pouvaient être réglées, il serait alors possible de créer davantage de valeur ajoutée locale à travers les activités de filature et tissage. Une telle perspective offrirait l’occasion de poser les bases de la nouvelle relation que la France voudrait développer avec l’Afrique.
C’est à nos yeux un paradoxe de constater le réel avantage comparatif dont dispose cette filière dans la plupart des pays de la bande soudano-sahélienne et de déplorer dans le même temps l’absence d’une stratégie volontariste pour renforcer et développer les acquis de cette filière. Cette mobilisation est essentielle pour aider le secteur à franchir un nouveau cap vers davantage de pratiques agricoles respectueuses de l’environnement et de la biodiversité. Au moment où la communauté internationale cherche à contenir en Afrique la déstabilisation terroriste, le coton peut être une véritable muraille blanche pour y contribuer à une échelle significative.o