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Consommation du tabac: la lutte à l’épreuve des recouvrements de recettes

Le Burkina Faso a pris plusieurs mesures dans le cadre de la lutte contre le tabagisme, surtout en milieu jeune, pour promouvoir la santé et le bien-être des citoyens.

Le 07 avril 2021, le Maire de la Commune de Ouagadougou, Armand Béouindé, a pris un arrêté portant interdiction de la consommation de chicha dans la ville de Ouagadougou.

Suite à cette mesure, la Police municipale de la Commune de Ouagadougou a effectué le 24 avril 2021, une opération de contrôle du respect de l’arrêté portant interdiction de la consommation de la chicha dans la capitale burkinabè.

Cette sortie de contrôle inopiné a permis de saisir une centaine de tubes à chicha, selon un communiqué du service de communication de la Police municipale.

Des études ont démontré qu’après une seule séance de chicha, le fumeur absorbait de la fumée correspondant à au moins 100 cigarettes. La consommation de la chicha expose non seulement le fumeur, mais aussi les non-fumeurs à une grande quantité de produits chimiques cancérogènes dangereux pour la santé. Abdoul Wahab Nombré, Secrétaire exécutif du Réseau des journalistes pour la lutte antitabac au Burkina Faso (REJAT-BF), apprécie la mesure. « C’est une nouvelle avancée dans la longue lutte pour la restriction des espaces publics où il était permis de fumer sans tenir compte de la santé des non-fumeurs. Au regard des dangers que ce produit représente pour la santé des fumeurs et non-fumeurs, l’acte courageux des autorités municipales est à saluer. Si les sorties de contrôle récemment réalisées participent à l›application de cette mesure, il reste cependant qu›elle a des limites, dans la mesure où elle ne semble couvrir que le champ de la Commune de Ouagadougou ».

Les mesures de répression prises par le Burkina Faso cadrent avec la stratégie de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui prône une lutte implacable et indifférenciée contre l’ensemble des produits du tabac. Outre la répression, le Burkina Faso a pris des mesures fiscales afin de taxer le tabac et décourager la consommation du tabac. Mais l’efficacité de la mesure est diversement appréciée.

Alors que le Code général des impôts du Burkina Faso fixait la base d’imposition du tabac à un  taux de 45%, la loi de finances 2020, qui a été adoptée en novembre 2019, a ramené la base d’imposition du tabac de 45% à 50%. Le gouvernement a justifié cette hausse de 5% devant les députés : « Cette hausse permet de renforcer la lutte contre le tabagisme qui crée un problème de santé publique et d’améliorer le rendement de l’impôt ». Les services des Impôts ont, en effet, estimé que la hausse du taux d’imposition aura un impact financier estimé à 7 milliards FCFA. Le gouvernement a avancé un second argument pour procéder à cette hausse. Il s’agit de se conformer aux directives de l’UEMAO. En effet, la directive n°01/2017/CM/UEMOA du 22 décembre 2017 de l’UEMOA préconise un taux de perception situé entre 50% au minimum et 150% au maximum.

Salif Nikiéma, coordonnateur de l’association Afrique contre le tabac (ACONTA), estime que cette augmentation n’est pas de nature à décourager la consommation du tabac. Si l’objectif poursuivi était la lutte contre la consommation du tabac, le taux serait plus important. Cette augmentation ne joue donc pas sur le prix, alors que l’OMS recommande une augmentation qui a un impact sur les produits du tabac qui, pourtant, a des conséquences sur la santé, sur l’environnement, socioéconomiques ». Pour cet acteur de la lutte anti-tabac, au-delà du prix, il faut d’autres mesures, comme l’interdiction de la vente en détail, l’interdiction de fumer dans les lieux publics, les transports en commun et les lieux clos.

Cette lutte contre la commercialisation du tabac fait face à la volonté du gouvernement de préserver une activité économique, pourvoyeuse d’emplois et surtout de recettes fiscales.

Entre 2018 et 2019, la collecte des taxes sur le tabac a rapporté 48,456 milliards FCFA de recettes au budget national. Ces recettes proviennent, d’une part, de la Direction générale des Impôts (DGI), qui a recouvré au titre de la taxe sur le tabac, la somme de 22,258 milliards FCFA en 2018. Cette recette a connu une hausse en 2019 pour s’établir à 22,646 milliards FCFA. Ces recettes proviennent, d’autre part, de la Direction générale des Douanes (DGD), qui collecte également des recettes de porte au moment de l’importation du tabac. Les rapports d’exécution des budgets de l’Etat, exercice 2018 et 2019, indiquent qu’elle a collecté 1,839 milliard FCFA en 2018 et 1,711 milliard FCFA en 2019 au titre de la taxe sur le tabac. Des recettes sûres pour le budget national auxquelles le gouvernement ne renonce pas. Au regard de ces chiffres, Salif Nikiéma observe que : « Malgré la hausse du taux d’imposition, nous n’avons pas constaté une augmentation du prix du tabac sur le marché ». La hausse de la base imposable de la taxe sur le tabac n’a pas permis de réduire la consommation. Elle a plutôt encouragé la consommation, parce qu’elle a contribué au développement de circuits frauduleux d’approvisionnement des produits taxés, en témoigne le nombre de saisies opérées par les services des Douanes.

En effet, entre janvier et mars 2021, les Douanes du Burkina Faso ont procédé à la saisie de 5,369 tonnes de drogue d’une valeur de 437,25 millions FCFA, selon les recoupements d’informations fournies par la Direction générale des Douanes du Burkina Faso. Des amphétamines et des quantités importantes de cartons de cartouches de cigarettes ont été saisies à l’occasion.

Le trafic illicite des cigarettes est favorisé par le faible pouvoir d’achat des consommateurs et la situation sécuritaire qui rend difficile le travail de la Douane. Également, dans les zones d’insécurité du Burkina Faso, s’est développé un commerce illégal.

Elie KABORE

 

Encadré

Maladies liées au tabagisme : c ’est la combustion du tabac qui en est responsable

Les produits de tabac, de chicha continuent de causer des dégâts en termes de santé publique, notamment, au sein de la jeunesse africaine et nécessitent un encadrement particulier avec une approche équilibrée entre prévention et répression. Les experts en santé publique sont d’accord que la nicotine, bien qu’elle ne soit pas sans risque, n’est pas la principale cause des maladies liées au tabagisme. C’est plutôt la combustion du tabac, qui se produit lorsqu’une cigarette ou tout autre produit du tabac est allumé, qui est responsable de la production et du transfert de la grande majorité des substances toxiques liées au tabagisme. Une cigarette dégage environ 800 degré de chaleur au moment où le fumeur tire une bouffée.

Encadré 2

Solutions alternatives : vers la cigarette électronique

Le tabagisme est un problème de santé mondial. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) dénombre environ 1,1 milliard de fumeurs dans le monde. Bien que les risques liés au tabagisme soient connus, l’OMS prévoit qu’il y aura toujours plus d’un milliard de fumeurs en 2025.

L’approche d’une lutte sans merci prônée par l’OMS crée un fossé entre l’industrie du tabac et les instances sanitaires des pays d’Afrique de l’Ouest.

En effet, selon certains spécialistes, elle ne prend pas en compte les différents niveaux de toxicité des différents produits du tabac et ne permet pas de renseigner efficacement les consommateurs. Elle ne prend pas non plus en compte les niveaux de dépendance des consommateurs et ne permet pas un accompagnement adapté des fumeurs pour les sortir du cercle vicieux de la consommation.

Face à cette situation, des voix s’élèvent pour proposer des solutions alternatives et prôner la prise en compte des niveaux de toxicité du tabac dans la lutte. Il s’agit d’amener les fumeurs vers les produits innovants, comme certains produits de tabac chauffés et les cigarettes électroniques. Si ces produits sont scientifiquement prouvés, ils offrent une alternative moins nocive que la cigarette classique.

De nombreux gouvernements comme celui des Etats–Unis et le Royaume-Uni, et des institutions telles que l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux  ont déjà reconnu de manière officielle le rôle des produits de tabac sans fumée comme alternative moins nocive aux produits combustibles tels que les cigarettes.

Faciliter l’accès à des produits moins nocifs pour la santé peut se faire à travers des réformes fiscales et règlementaires appropriées.

Le marché ouest-africain de la consommation de tabac est appelé à fortement évoluer, mais la règlementation ouest-africaine (CEDEAO, UEMOA) est plus orientée vers la prévention. Peu de débats sont organisés avec l’industrie sur la réduction des risques et de la nocivité des produits du tabac.

Depuis l’émergence de nouveaux produits du tabac à nocivité réduite, au Japon, plus de 20% des cigarettes ont été remplacées par des produits du tabac chauffés, un changement radical qu’aucune intervention règlementaire n’a jamais réalisé.

L’adoption d’une fiscalité plus douce pour encourager l’accès aux produits alternatifs comme les produits de tabac chauffés et les cigarettes électroniques au détriment des tabacs brûlés est une option que des pays ont prise.

Ces produits alternatifs ne sont pas sans risque, certes, mais ils constituent une phase transitoire vers la cessation de la cigarette. Toutefois, des informations précises doivent être mises à la disposition des fumeurs afin qu’ils puissent faire un meilleur choix.

Il s’agit de répondre à ces questions : est-ce que les différents produits du tabac doivent être taxés de la même manière ? Si une cigarette électronique est moins toxique qu’une cigarette normale, est-ce que la taxation doit être la même ?

Une lutte contre le tabagisme qui prend en compte les niveaux de toxicité du tabac présente des avantages. Elle permet de concentrer la lutte contre le tabagisme sur les produits qui font le plus de ravages, notamment, le tabac à chicha et les narguilés. Les consommateurs sont bien informés sur les dangers du tabagisme. Les consommateurs peuvent sortir de la dépendance au tabagisme par des moyens alternatifs. o

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