En octobre 2020, une crise est née suite à la démolition d’une mosquée dans le quartier Pazanni, situé dans l’Arrondissement 9 de Ouagadougou, sur une décision de Justice. Une situation qui s’était déteinte sur le climat social au point que le gouvernement s’en est saisi afin de préserver la paix et la cohésion. Un choix qui empiète sur la décision de Justice et fait grincer des dents.
A l’origine de la crise, c’est une histoire « d’occupation illégale » d’une parcelle. Jacques Ouédraogo a été attributaire d’un terrain qu’il a demandé au sein de l’Arrondissement 9. Par le biais d’un arrêté provisoire d’attribution, il a eu gain de cause. Dans le même temps, Moussa Guigma avait introduit une demande afin d’avoir la même parcelle, mais sans suite. Contre toute attente, le sieur Guigma s’est mis à construire une mosquée et une école sur ledit terrain attribué à M. Ouédraogo.
Ce dernier ayant constaté l’occupation illégale s’est plaint en Justice qui a ordonné le déguerpissement des infrastructures. La démolition de la mosquée avait soulevé un tollé dans la zone, car d’aucuns prétendaient qu’un édifice religieux ne devrait pas être démoli. Cette crise entre deux individus avait pris une dimension religieuse au point où des jeunes projetaient de s’en prendre à des églises. Au regard du climat délétère qui se dessinait dans le quartier, les autorités gouvernementales ont initié des conciliations qui ont débouché sur un terrain d’entente.
Ce qui a amené le gouvernement à prendre les décisions suivantes : l’expropriation du terrain litigieux pour cause d’utilité publique, l’attribution dudit terrain à la Fédération des associations islamiques du Burkina (FAIB) à l’effet de permettre la réalisation de toute infrastructure ou toute activité en faveur de la communauté islamique et la cession d’un autre terrain à Jacques Ouédraogo, attributaire légal du terrain litigieux, en guise de compensation. Il n’en fallait pas pour que l’opinion s’enflamme pour dénoncer un déni de justice. Pour elle, le gouvernement a outrepassé ses prérogatives pour imposer sa propre décision. Ce qui frise une certaine immixtion dangereuse dans le monde judiciaire qui est très regardant sur son indépendance.
En s’interrogeant sur l’attitude du gouvernement, l’on comprend qu’il s’est appuyé sur l’effet de la décision judiciaire sur le climat social à Pazani. Pour un souci de préservation de la cohésion sociale, le gouvernement s’est senti obligé d’entamer des négociations afin de concilier les différentes parties. L’on peut reconnaitre une certaine limite à l’option gouvernementale, mais elle permet à tout le moins de limiter les dégâts et faire baisser la tension.
A la publication de la décision gouvernementale, le monde judiciaire est sorti de sa réserve pour dénoncer une décision aux antipodes d’un Etat de droit. Magistrats et Avocats ont fustigé l’attitude du gouvernement dans cette affaire. L’intersyndicale des magistrats a qualifié la décision gouvernementale « d’une particulière gravité », le bureau exécutif des syndicats du Burkina Faso (SYNAF) l’a taxée d’attentatoire à l’indépendance du pouvoir judiciaire. « Face à une telle attitude juridiquement étrange et qui constitue un grave précédent pour un pays qui se veut un Etat de droit, l’intersyndicale des magistrats burkinabè interpelle le gouvernement burkinabè sur sa responsabilité à assurer l’exécution des décisions de Justice, de gage de l’autorité de justice, à garantir la force publique due aux huissiers de justice pour l’exécution des décisions de Justice », indique l’intersyndicale des magistrats dans son communiqué.
De son côté, le SYNAF condamne « avec fermeté cette aventure scandaleuse du gouvernement qui n’a rien d’une expropriation pour cause d’utilité publique ». En somme, les deux syndicats appellent le gouvernement à un respect strict des décisions de Justice, d’autant plus que la paix et la justice ne sont pas opposées.
Jérôme HAYIMI
Justice ?
Aujourd’hui, l’opinion se trouve divisée, parce que d’aucuns pensent que l’indépendance de la Justice a été écornée. Si l’objectif du gouvernement de maintenir la cohésion sociale dans le choix qu’il a opéré dans le cas Pazanni est atteint, il laisse toutefois un goût d’inachevé. La paix sociale repose avant tout sur une justice au service de l’intérêt général. L’Etat doit favoriser l’expression de cette justice sociale sans pour autant porter atteinte au pouvoir judiciaire. Il faut croire que, entre l’injustice et le désordre social qui s’annonçait, le gouvernement, en sapeur-pompier, a voulu préserver la paix sociale. Ce faisant, il crée un casus belli avec l’ordre judiciaire qui accepte difficilement d’avaler une telle couleuvre. Mais au-delà de cette crise, chaque acteur devrait être situé sur ce qui n’a pas vraiment marché pour que l’on se retrouve dans un tel cul-de-sac.