Les avertissements du ministre en charge du Commerce, Harouna Kaboré, lors du lancement de la campagne de commercialisation 2021 de l’anacarde n’ont apparemment pas été reçus 5/5 par tous les acteurs. Quelques jours seulement après le lancement à Banfora, le 13 mars dernier, la Brigade mobile de contrôle et de la répression de la fraude (BMCRF) a mis la main sur 6 camions qui tentaient d’exporter frauduleusement 300 tonnes de noix de cajou brute. Il s’agit de deux interceptions qui ont lieu les 19 et 26 mars 2021. Le motif avancé par la Brigade régionale de la BMCRF des Hauts-Bassins, qui est à l’origine de la saisie, est le « non-respect de la règlementation en matière d’exportation ».
L’exportation de la noix brute de cajou du Burkina Faso est soumise, entre autres, à l’obtention d’une autorisation spéciale d’exportation et au paiement du prélèvement de 25 francs CFA par kilogramme. Manifestement, les camions appréhendés n’ont pu présenter les documents réguliers relatifs à l’exportation de leurs cargaisons.
Ces sorties illégales exercent deux menaces sur l’ensemble de la filière : le manque à gagner du prélèvement obligatoire, et l’indisponibilité de la matière première pour les transformateurs locaux.
Le prélèvement de 25FCFA/kg permet de financer les activités de la filière, de l’Interprofession (Comité et du Conseil burkinabè de l’anacarde (CBA). A cet effet, le ministre Harouna Kaboré a donné des indications sur la manne que représentent ces prélèvements lors de l’ouverture de la campagne : « A la date d’aujourd’hui, le montant cumulé des prélèvements de 2018 à 2021 est de 7.443.860 945 FCFA, dont 6.306.890.326 FCFA reversés dans le compte du CBA et 1.136. 970. 619 FCFA au budget national. C’est ainsi qu’en 2020, il a été mis à la disposition du Comité interprofessionnel de l’anacarde (CIAB), la somme de 518.517.100 FCFA sous forme de subvention.
La seconde menace est le risque de voir les unités de transformation être à court de matière première pour la transformation, si les exportations sauvages continuent à prendre de l’ampleur, et cela n’est pas sans conséquences sur les statistiques à l’exportation. Les fraudeurs, c’est connu, font de la surenchère en proposant des prix au-dessus du prix plancher, parce qu’ils arrivent à revendre le kilogramme encore plus cher dans les pays voisins comme le Togo et le Ghana et les producteurs ne demandent pas mieux.
Des difficultés d’approvisionnement en noix de cajou sont déjà signalées par certaines unités de transformation qui donnent l’alerte. C’est le cas du gérant de SOTRADA, M. Mohamed Naïm, qui a rencontré le ministre de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat, le 29 mars dernier, afin que des dispositions soient prises pour garantir l’approvisionnement.
Ce professionnel s’inquiétait ainsi de « la poursuite des achats bord champ par des acteurs étrangers. Cette situation entraîne un renchérissement des prix de la noix de cajou pour les unités de transformation ». Ainsi, en plus du manque possible de noix brute de cajou, les prix pourraient également être tirés vers le haut, toute chose qui augmentera les charges qui seront répercutées au niveau du produit final.
On se demande dans cette situation, ce que pourrait faire le ministère en charge du commerce qui comptait sur les bonnes dispositions des acteurs de l’Interprofession, afin de trouver les réponses appropriées aux trois questions suivantes : comment augmenter le rendement des vergers d’anacardier pour procurer plus de revenus aux producteurs ? Comment transformer localement au moins 45% de la production pour créer plus d’emplois et de richesses ? Comment organiser et assainir le marché intérieur tout en exportant des produits de bonne qualité ?
Avant que la situation parte en vrille sur le terrain, il y a lieu d’anticiper. Le ministère et les acteurs devraient se retrouver en urgence cette semaine, selon nos informations, pour tenter de trouver une parade à l’approvisionnement régulier des unités de transformation. La survie de ces usines et des emplois pourrait être en jeu.o
FW
Encadré
Anacarde : les chiffres-clés
L’anacarde figure en bonne place des filières dites porteuses au Burkina Faso. Son exploitation est concentrée dans 4 régions que sont les Cascades, les Hauts-Bassins, le Sud-Ouest et le Centre-Ouest. Ces zones concentrent 99% de la production d’anacarde du pays.
Les superficies exploitables sont estimées à 250.000 ha pour une production moyenne annuelle de 100.000 tonnes. De la production à la transformation jusqu’à l’exportation, cette filière est source d’emplois pour des milliers de personnes. Selon le rapport diagnostic de la Stratégie nationale de développement de la filière anacarde, en termes de création d’emplois, ce sont 4.000 producteurs professionnels individuels regroupés en plus de 200 groupements de producteurs. La production mobilise près de 45.076 ménages.
Au niveau de la transformation, le même rapport indique que 5.000 emplois ont été créés, dont 92% sont constitués de femmes. Quant à la commercialisation, la faîtière des commerçants et exportateurs compte 200 membres actifs avec plus de 9.900 emplois directs.
La filière a apporté, en termes de recettes d’exportation, 117,11 milliards FCFA en 2018, contre 99, 56 milliards FCFA en 2017, soit une augmentation de 17,68%, selon l’édition 2019 de la Balance commerciale.
Les produits de la filière sont exportés vers plus d’une trentaine de pays. Les principaux pays d’exportation (entre 3 et 30% des exportations) sont (par ordre décroissant) Singapour (30,18%), le Ghana (19,66%), l’Inde (9,09%), le Vanuatu (7,46%), les Pays- Bas (5,48%), le Togo (4,19%), la Côte d’Ivoire (3,91%), le Japon (3,64%), le Bénin (3,59%) et le Vietnam (3,23%).o