L’Economiste du Faso publie régulièrement la note conjoncturelle de la Direction générale de l’économie et de la planification (DGEP). Outre la publication de la note, cette structure assure les prévisions et analyses macroéconomiques, le suivi des engagements internationaux auxquels le Burkina Faso a souscrit, etc. Pour en savoir davantage, notre équipe s’est entretenue avec son DG, Docteur Larba Issa Kobyagba.
L’Economiste du Faso : Les prévisions et analyses macroéconomiques font partie des attributions phares de la DGEP. Qu’en est-il exactement ?
Docteur Larba Issa Kobyagba : Les questions d’analyses et de prévisions macroéconomiques sont dévolues à la DGEP. La Direction des analyses macroéconomiques s’occupe de ces questions. Elle travaille avec d’autres entités. De façon globale, les activités humaines sont sujettes à des changements qui impliquent des prises de décision pour pouvoir les adapter aux ambitions que le pays se serait choisi. Pour en arriver à ces résultats, on crée des cadres simplifiés d’analyses. Au Burkina Faso, nous disposons d’un instrument automatisé de prévision qui est l’instrument que nous utilisons le plus pour modéliser le comportement de l’économie en donnant les tendances globales de cette économie au cours d’une année , deux , trois, voire les quatre prochaines années. Il faut noter que les projections sont faites en fonction des besoins. Pour ce qui est des besoins de pilotage de l’économie, les analyses et les prévisions macroéconomiques sont d’une importance capitale. Elles permettent d’identifier très tôt ce qui pourrait remettre en cause la stabilité macroéconomique. Elle permet aussi d’aider les décideurs à prendre les meilleures politiques possibles de manière à éviter les risques et à mitiger les effets de chocs au niveau des populations.
Quel est le rôle de la prévision dans le processus d’élaboration du budget ?
Il faut rappeler que lorsqu’on parle de prévision économique, il s’agit d’un document de cadrage macro-budgétaire. Ce document édicte un certain nombre de cadres dans lesquels, les autres acteurs de l’élaboration du budget peuvent venir tirer des éléments, que cela soit en termes de prévision de recettes ou autres. Ces prévisions de recettes ont besoin davantage d’être affinées à partir d’un modèle spécifique qui est le modèle de prévision de recettes fiscales qui sont ensuite examinées avec les Régies financières. A côté de cela, nous donnons les grandes tendances de l’économie en matière de politique économique et sociale. A partir de là, le budget s’inspire de l’ensemble des éléments liés à ce cadrage et propose un document de programmation pluriannuel qui va servir à l’élaboration de la loi de finances.
Comment les prévisions macroéconomiques sont-elles utilisées pour élaborer le budget de l’Etat ?
Il y a un ensemble d’étapes que ces éléments suivent. En matière de cadrage budgétaire, vous avez les priorités et les choix stratégiques qui doivent être définis. Une fois que l’arbitrage est fait sur ces éléments, ils sont considérés comme des orientations du gouvernement. Une fois ces orientations arrêtées, on regarde un certain nombre de secteurs dits prioritaires productifs. Nécessairement, ces secteurs sont toujours en lien avec ce que le gouvernement aurait défini. Mais ces priorités, de façon naturelle, sont généralement déclinées dans un référentiel national de développement. Dans le cadre du Burkina Faso, ces priorités se retrouvent dans le Plan national de développement économique et social (PNDES). Il s’agit maintenant de regarder dans ces priorités en lien avec la conjoncture régionale et internationale, comment on pourrait mieux assoir la politique publique. Ce qui permet nécessairement d’avoir des cadrages macroéconomiques sur plusieurs exercices. A partir de là, nous avons les projections macro-budgétaires et les résultats des projections vont servir pour le DPBEP (……).
Ensuite, il faut se focaliser sur le secteur réel en regardant l’environnement économique, mais aussi intégrer les éléments du TOFE (tableau des opérations financières de l’Etat) pour voir la capacité de l’Etat à générer un certain nombre de recettes et engager des dépenses. Les deux doivent être généralement équilibrés comme tout document de prévision comptable.
A vous entendre, on a l’impression que les prévisions sont souvent incertaines. Comment contourner ces incertitudes ?
L’incertitude des prévisions est fondamentalement liée à la nature de l’activité économique. Laquelle activité peut se modifier au regard des chocs que l’économie connaît. Nécessairement, des valeurs qui étaient positives peuvent se retrouver en retour de conjoncture, soit par une augmentation (prix du baril de pétrole dû à un choc pétrolier, une crise diplomatique qui peut entraîner une baisse de la production), cette maîtrise n’est pas toujours évidente. Vous avez aussi des chocs qui peuvent entraîner une baisse des recettes fiscales (cas de la Covid-19 avec son impact sur les activités économiques, on assistera à une diminution des recettes). Les pays assistent ainsi impuissamment à des incertitudes liées à l’activité humaine ou aux aléas économiques.
Comment les contourner ?
Nous travaillons souvent sur la base des données historiques pour regarder le comportement normal de la variable, qui tend à dire, cette variable sur telle période a toujours telle attitude. Lorsque vous observer l’actualité économique nationale en janvier-février, il y a certains biens économiques dont la demande semble relativement plus forte que d’autres. A partir d’avril-mai-juin, période de forte chaleur, certains biens augmentent et d’autres biens diminuent. Comme le prix est considéré comme la confrontation entre l’offre et la demande, il y a nécessairement des variations qui peuvent induire les analyses. Mais nous, ayant la lourde tâche d’évaluer l’économie nationale sur une longue période, nous ne nous fixons pas sur des prix individuellement pris, nous regardons l’historique. Et regarder cet historique veut dire que nous raisonnons en moyenne. C’est ainsi que vous verrez sur le marché international que sur certains aspects, vous aurez des prix à 1.000 dollars et dans la réalité, nous, nous allons considérer un prix de 985 dollars. Car, nous nous disons que le prix de 1.000 dollars ne va pas perdurer sur le temps. Nous enlevons ce que les statisticiens appellent la saisonnalité des variations pour pouvoir travailler avec des variables proches de la réalité nationale.
Selon les estimations du FMI, le PIB du Burkina devrait augmenter d’environ 5% entre 2021 et 2023. Les facteurs économiques sont-ils toujours favorables à cette augmentation ?
Il est évident que les facteurs économiques ne sont plus favorables au scénario d’antan, du moment où les effets de la crise sanitaire conjugués avec ceux de la situation sécuritaire peuvent s’étaler sur plusieurs années. Déjà, les derniers chiffres en matière de prévision affichent un taux de croissance de 1,5% pour 2020, alors que la propagation du virus continue au niveau mondial comme au niveau national. Cependant, si les hypothèses d’une maîtrise de la Covid-19 devant engendrer une reprise progressive de l’activité économique mondiale, d’un déroulement apaisé des élections présidentielle et législatives, d’une situation sécuritaire normalisée, d’une pluviosité non défavorable et d’une accalmie au niveau de la fronde sociale sur la période de projection se justifient, la croissance devrait renouer avec son dynamisme d’antan à partir de 2021. Ainsi, on enregistrera un taux de croissance réelle du PIB de 5,2% en moyenne sur la période 2021-2025.
Les perspectives de la Banque mondiale tablent sur une croissance négative du PIB pour cette année 2020. Pourtant, la note de conjoncture économique table sur une croissance positive. Qu’est-ce qui explique cette différence ?
Théoriquement, les prévisions de croissance dans un pays peuvent différer d’une institution à une autre. Si vous prenez la Banque africaine de développement (BAD), dans son dernier rapport « Perspective et économique africaine », il est annoncé un taux de croissance de 1% au Burkina Faso. Au même moment, vous trouverez le FMI qui donne un taux de croissance de -3,2%. Et la Banque mondiale qui donne un taux de croissance de -2%. Tous ces indicateurs sont liés à des hypothèses. Lorsqu’une institution estime que la Covid-19 va perdurer et que cela va bloquer le processus d’approvisionnement en biens et services du pays et à cela s’ajoute la question sécuritaire. Naturellement que la prévision de cette institution financière sera en fonction de ces hypothèses. Il y a aussi que des entreprises minières pourraient être en cessation d’activités momentanées. Sur cette dernière hypothèse, nous avons eu à rassurer certains partenaires techniques et financiers (PTF) qu’on se rend compte que malgré la pandémie, la production d’or a plus augmenté que les années antérieures. C’est peut-être que le coût élevé de l’or à l’international a rendu très intéressante la production. Mais on note que le secteur minier burkinabè a été plus ou moins résilient. Maintenant, lorsqu’on écarte les hypothèses où chaque acteur postule, on peut aboutir à des situations différentes de croissance. Exemple, en ce qui concerne le secteur agricole, on peut se dire qu’au regard de la Covid-19, il va être difficile pour le Burkina Faso de s’approvisionner en un certain nombre d’intrants agricoles. Conséquence, la valeur ajoutée du secteur agricole va baisser. Nécessairement, cela aura des impacts sur la croissance nationale. Les différences en matière de prévision de croissance sont surtout liées aux différences en matière d’hypothèse. Mais à la DGEP, nous estimons avoir la meilleure perception, parce que nous vivons la réalité du pays. Nous estimons toutefois que la résilience que nous avons eue au niveau sanitaire va se concrétiser au niveau économique. Toute chose qui va nous permettre d’avoir une croissance positive.
Votre structure a pour mission le suivi des engagements internationaux auxquels le Burkina Faso a souscrit. Quel est l’impact socioéconomique de ces engagements ?
Pour mieux appréhender cette question, il est nécessaire de rappeler les principaux engagements internationaux en matière de développement suivis au niveau de la DGEP. Il s’agit du programme de développement à l’horizon 2030 des Nations unies, de l’agenda 2063 de l’Union africaine et du plan d’actions d’Istanbul des pays les moins avancés. Ces engagements sont des programmes ambitieux et de long terme pour améliorer les conditions de vie des populations et protéger la planète pour les générations futures. Le Burkina Faso a fait l’effort d’intégrer les agendas de développement dans son référentiel qu’est le PNDES 2016-2020. Aussi, est-il important de relever que l’engagement de la communauté internationale à travers les 8 objectifs du millénaire pour le développement (OMD) ont permis de sortir plus d’un milliard de personnes de l’extrême pauvreté, de réaliser des progrès remarquables dans la lutte contre la faim, dans la réduction des inégalités et de permettre à plus d’enfants d’aller à l’école. Au Burkina Faso, ces engagements ont permis au gouvernement de fédérer les interventions multiformes des partenaires techniques et financiers ainsi que des acteurs locaux de développement autour des grands axes du PNDES. Ainsi, les infrastructures de base telles que les écoles, les universités, les centres de santé, les routes, financées avec l’appui des partenaires techniques et financiers par le biais de ces agendas, ont eu un impact socioéconomique considérable sur la vie des populations. Ces engagements évoquent clairement la qualité de la gouvernance et des institutions solides au service des populations pour un mieux-être. Une bonne gouvernance et des institutions fortes et qualitatives jouent sur la qualité des politiques publiques et leur impact social. Ils mettent en exergue le rôle très actif du secteur privé et de la société civile dans l’atteinte des objectifs de développement. Tout cela contribue à avoir un impact en termes de bonne gouvernance, de création d’emplois, de revenus, de respect des droits de l’homme, etc.
L’une des recommandations du Sommet de Nairobi tenu en novembre 2019 sur la Conférence internationale sur la population et le développement (CIPD+25) est de s’appuyer sur la diversité démographique pour stimuler la croissance économique, et parvenir à un développement durable. Quels sont les grands axes de cette recommandation ? Et quel est son mécanisme de suivi au Burkina Faso ?
Cette recommandation invite les Etats parties à capitaliser sur leur population, notamment les jeunes, pour accélérer la croissance économique dans le cadre de la participation d’une grande partie de la population jeune (active) à la création de cette richesse. Cela suppose pour les pays en développement, la nécessité d’accélérer la transition démographique et d’améliorer le capital humain en vue de la capture du dividende démographique. Par ailleurs, cette croissance doit s’inscrire dans le respect de l’environnement et laisser la possibilité aux générations futures d’en faire de même. Pour le suivi de cette recommandation, le Burkina Faso a mis en place un Observatoire national du dividende démographique (ONDD) qui est intégré à la DGEP chargé de suivre les indicateurs y relatifs. Des rapports annuels sont produits pour suivre la marche du pays vers la capture du dividende démographique.
ACS, EK