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Le monde après la Covid-19

L’Institut Goethe de Berlin a donné la parole à plusieurs personnalités à travers le monde, des chercheurs, des philosophes, des intellectuels, des artistes, etc. pour indiquer comment la pandémie a affecté leur pays et comment ils envisagent le monde d’après. Nous reprenons pour nos lecteurs, la contribution de notre compatriote, Dr Ra-Sablga Seydou Ouédraogo. Sa tribune a été publiée en anglais et en allemand sur le site de l’Institut Goethe. Lisez !

Ra-Sablga Seydou OUÉDRAOGO

La pandémie depuis le Burkina Faso

J’écris cette tribune de la région du monde la moins affectée par la COVID-19, en dehors de l’Océanie, tant par le nombre de personnes infectées que par le nombre de décès. La catastrophe annoncée en Afrique est loin d’être confirmée dans la réalité et tout laisse croire qu’elle restera à l’état de simple projection sur papier, bien qu’il faille rester toujours prudent. Du reste, beaucoup ont dénoncé le catastrophisme systématique dès qu’il s’agit du continent africain.

Il faut éviter le catastrophisme ; le triomphalisme chauviniste également. En effet, en dehors d’hypothèses en discussion, aucun argument empirique définitif ne permet d’expliquer cette résilience africaine. En dépit des efforts importants réalisés par des gouvernements aux moyens limités, des mobilisations collectives et des belles initiatives du génie populaire, il est évident que la sévérité contenue de la pandémie sur le continent n’est pas attribuable essentiellement aux politiques et à l’action collective. Les scénarii catastrophistes et les jubilations irresponsables ont en commun de méjuger l’action humaine sur le continent, en la déniant ou au contraire, en surestimant son efficacité. Il faut abandonner ces scories de l’afro-pessimisme et de l’afro-optimisme, toutes des positions aux fondements analytiques fragiles.

Si je vis la pandémie dans la partie du monde la moins touchée, la situation de mon pays, le Burkina Faso, n’est cependant pas si enviable à tout point de vue. En effet, la pandémie s’est greffée ici à une situation de superposition de crises sécuritaires terroriste, communautaire et humanitaire. Les attaques terroristes qui endeuillent le pays depuis 5 ans semblent s’incruster davantage dans les régions intérieures et se doublent de tensions communautaires avec des massacres de populations civiles. Il en résulte une situation humanitaire dramatique pour au moins un dixième des 20 millions de Burkinabè dont 900 000 déplacés ayant fui leur demeure et village.

La COVID-19 impose une concurrence aux questions sécuritaires dans l’agenda public. La mobilisation de l’État et celle de la société, en général, a été plus prompte et massive contre la pandémie que contre l’insécurité. Sans doute parce que l’insécurité terroriste affecte moins directement les lieux du pouvoir politique dans les centres urbains. De ce point de vue, la pandémie a révélé, ici comme à travers le monde, les inégalités importantes face au risque sanitaire.

Les mesures de riposte prises au Burkina Faso ont très vite buté, comme ailleurs dans la sous-région, aux difficiles conditions de vie de populations ayant un cycle économique quasi journalier. Les mesures de fermeture des marchés ont ainsi été contestées par les milieux populaires de la ville pendant que les classes moyennes avaient accès aux supermarchés pour y faire leurs emplettes.

Le ciblage des plus vulnérables par les mesures de riposte s’est avéré également très compliqué. L’élan de solidarité nourri par les hommes d’affaires et les entreprises ainsi que par des actions publiques peine à toucher les populations pauvres dont les revenus ont été les plus affectés.

Tout cela indique la grande difficulté et la complexité de la gouvernance d’un pays comme le Burkina Faso. Comment affronter, dans le même temps, avec les moyens limités et désormais amputés, une crise sanitaire qui se superpose à une grave crise sécuritaire et cela, avec des instruments politiques limités ? D’autant qu’une double injustice est faite à ce pays comme aux autres du Sahel : d’une part, ils subissent le plus durement les conséquences dramatiques des changements climatiques provoqués par les émissions polluantes dont ils sont peu responsables ; d’autre part, les conflits qui les affectent aujourd’hui trouvent des racines dans la dislocation de la Libye par les attaques de l’OTAN. On ne le rappelle pas assez, ces pays sont objectivement parmi les plus difficiles à gouverner.

Comment la pandémie va-t-elle changer le monde ? Quelles sont les conséquences à long terme de la crise ?

Les scénarii abondent sur l’impact de la pandémie et sur l’après COVID-19. Même si les économistes sont peut-être les moins chanceux dans l’exercice de prévision, ils semblent être les plus prolixes. L’impact qu’ils envisagent est celui d’une sévère crise économique qui est déjà là avec le coup d’arrêt donné au commerce international et à l’activité des entreprises. Le FMI prévoit que la crise sera plus sévère que celle de 2008. La perte de plus de 5 points de croissance devrait faire entrer l’Afrique subsaharienne dans la récession en 2020, avec un recul du PIB de 1,6%, un niveau jamais atteint par la région.

Les plans de riposte et de soutien aux populations et aux entreprises ont déjà coûté des sommes records qui pèseront lourdement sur l’avenir. L’endettement massif des États va-t- il restreindre les capacités à investir demain ?

En réalité, c’est la direction des politiques économiques qui déterminera l’avenir. Le rigorisme libéral sur la dette publique aboutirait à un désarmement des États face à des problèmes sociaux importants et les empêcherait de traiter les défaillances révélées par la pandémie. Dans ces conditions, le creusement des inégalités amorcé depuis quarante ans et qui a déjà atteint un niveau exceptionnel se poursuivra. Ce scénario est paradoxal, car il annonce une aggravation de la pauvreté et des inégalités dont la COVID-19 a été pourtant un excellent révélateur dans les pays riches comme dans les pays pauvres.

Au plan politique, le scénario de la poursuite des politiques néolibérales déboucherait sur le développement de la xénophobie, des replis identitaires et nationalistes dans le monde. En plus de l’idéologie de la haine de l’autre, les gouvernements auraient en main les outils technologiques de traçage et de contrôle inédits. Il s’agira, en réalité, du prolongement de la vague populiste qui se répand depuis quelques années en Europe, aux États-Unis et en Amérique latine et du technologisme qui attend de se saisir du monde et de l’humanité.

La guerre sino-américaine qui, de commerciale se déporte désormais sur plusieurs autres secteurs, pourrait être l’affiche géostratégique des relations mondiales post-pandémie. Dans ce cas, la COVID-19 aura été une crise perdue qui coûtera plus cher que celle non moins perdue de 2008.

L’espoir

Au contraire, un autre scénario, plus optimiste, n’est pas exclu. Après tout, le monde pourrait apprendre la leçon, comme il l’avait apprise après la crise de 1929 et la seconde guerre mondiale. Les gouvernements pourraient, sous la pression des opinions publiques, engager la rénovation sociale pour soigner les corps en détresse, réhabiliter les territoires délaissés, investir dans l’humain, combattre les inégalités et réaliser les ruptures écologiques attendues. Assigner à l’action publique ces objectifs prioritaires conduirait à une réorientation majeure des politiques économiques en les libérant de la logique financière court-termiste et de l’idéologie néolibérale qui a fragilisé les sociétés.

Il ne s’agit pas d’un simple rêve. Tant au plan théorique que empirique, les politiques néolibérales ont reçu des contestations fortes et des remises en cause qui ne peuvent plus être ignorées. Il s’agit, dans ce second scénario, d’en acter politiquement les conséquences en hâtant la lente agonie du néolibéralisme. Comme après la crise de 1929, le changement de l’orientation de la politique économique serait décisif. Il offrirait des marges de manœuvres plus importantes aux États. Mais il est important que les pays en développement ne soient pas exclus du bénéfice des marges de manœuvres retrouvées. En particulier, l’État africain a besoin de se redéployer, de ré-cimenter sa légitimité éprouvée et pour bâtir la paix et le développement. Parce que la COVID-19 a montré l’urgence de construire des économies endogènes fortes, l’Afrique a plus que jamais besoin que ses États soient remembrés pour reprendre l’initiative.

Paradoxalement, l’espoir vient peut-être du drame racial aux États-Unis. Peut-être que la COVID-19, en créant les conditions d’une introspection individuelle et collective, a permis la prise de conscience et alimenté la puissante contestation contre les crimes policiers contre les Noirs. L’élan formidable et transracial qui se propage aux États-Unis et auquel semblent faire écho des mobilisations en Europe et ailleurs dans le monde, les contestations de la glorification du colonialisme par les attaques contre ses figures de proue peuvent être porteurs d’un renouveau de la question des droits civiques. En ces temps de crise, la lutte antiraciste couplée à celle contre les inégalités et la pauvreté peut constituer un puissant mouvement citoyen en faveur de la refondation de la politique et d’une gouvernance davantage au profit des moins nantis. Pouvons-nous rêver d’un nouveau cycle de progrès social bâti sur les cendres de la COVID-19 ? Oui ! On peut même l’espérer, mieux, y travailler. o

Ra-Sablga Seydou OUÉDRAOGO

Economiste Université Ouaga 2 et Institut FREE Afrik

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