Malgré son lot de désolation qu’elle sème sur son passage, pour certains économistes, la Covid-19 offre de nombreuses opportunités pour le Burkina Faso. Pour eux, avec la fermeture des frontières, cette opportunité passe par la consommation des produits locaux. Or, qui dit consommation, dit transformation, qui passe par l’investissement. Dès le lendemain de l’apparition de la pandémie, les Burkinabè ont libéré leur génie créateur en mettant à la disposition des consommateurs divers produits. Ainsi, ceux-ci ont eu accès à des lave-mains à pédales, au gel hydro-alcoolique local, à des cache-nez avec du pagne Faso Danfani…
Importation : Eviter à tout prix la saignée financière
Même l’Université de Ouagadougou, à travers sa filière scientifique, ainsi que l’armée, ne sont pas restées en marge. Ces deux entités ont sorti de leurs différents laboratoires du gel hydro-alcoolique à la grande satisfaction de la population. Mieux, l’armée était la tête de proue dans la fabrication massive des cache-nez à base de la cotonnade au profit des enseignants et des élèves en classe d’examen. Toute chose qui a permis l’effectivité de la reprise des cours depuis le 1er juin 2020. Selon la conviction de ces économistes, c’est le moment de se tourner résolument dans la transformation des produits locaux. Du reste, le potentiel est là et n’attend que d’être transformé pour être mis à la consommation. Toute chose qui va éviter la saignée financière qui est injectée chaque année dans l’importation de certaines denrées : le riz, la pâte de tomate, les jus, les habits… Cette conviction est aussi partagée par le ministère du Commerce, de l’Industrie et de l’Artisanat. En marge d’un déjeuner de presse sur les filières porteuses qui a eu lieu le 3 juin 2020, le Directeur général du développement industriel, Sylvanus Traoré, a souligné que le « Burkina Faso doit transformer la crise de Covid-19 en une opportunité d’investissement ». Et pour cause, dit-il, il y a des produits alimentaires que le pays importe et qui sont liés à des matières premières locales». Parlant de ces matières premières locales, Sylvanus Traoré évoque le riz, la pâte de tomate, l’huile, le sucre, le soja…que le pays importe à coups de milliards, or, dit-il, il suffit de créer des unités industrielles avec l’appui du privé pour leur transformation.
Production locale : Créatrice de valeur ajoutée
Justement, à cette rencontre, il ressort que l’apport des filières porteuses dans l’économie nationale est significatif. A titre d’exemple, le sésame, la mangue, l’anacarde, le karité, l’oignon, la tomate, le bétail/viande, le miel, le textile et l’habillement et le cuir et les peaux ont rapporté 250, 7 milliards FCFA en 2018, aux recettes de l’Etat. Cette somme pouvait être plus si ces produits de rente étaient transformés localement avant d’être vendus. Cette plus value se situe à plusieurs niveaux : primo, ces unités industrielles seront créatrices de valeur ajoutée dans l’économie, à travers la perception des taxes et impôts ; secundo, elles seront créatrices d’emplois au profit des jeunes et des femmes ; tertio et le plus important, « consommons ce que nous produisons » aura tout son sens. Fini les importations. Fort heureusement que le gouvernement n’a pas attendu la survenue de cette pandémie pour faire de la transformation des matières premières locales une priorité. (Voir encadré 2 et 3). o
Ambèternifa Crépin SOMDA
Encadré 1
Importation du riz : Des dizaines de milliards FCFA injectés
Selon une étude de l’Institut national de la statistique et de la démographie (INSD 2013), il ressort que le Burkina Faso a injecté en moyenne une facture de 41,6 milliards FCFA par an entre 2005 et 2013) dans l’importation. Le rapport poursuit qu’à ce rythme d’accroissement de la demande, les sorties de devises à l’horizon 2015 seraient de l’ordre de 70 milliards FCFA (DGPER, 2009), contre 61,9 milliards FCFA en 2013 Les importations de riz ont augmenté de 44% entre 2006 et 2013, passant de 305 180 tonnes à 440 364 tonnes, pour des valeurs respectives de 37,8 milliards à plus de 61,9 milliards FCFA. Les quantités importées ont décollé depuis 2010, passant du simple au double (en valeur). Une pratique à vite abandonner, vu que le potentiel en production du riz local existe.
Encadré 2
Achat des produits locaux par les structures publiques : L’Etat a investi plus de 30 milliards FCFA
Pour donner l’exemple que « consommons ce que nous produisons » est la seule voie d’issue, le gouvernement burkinabè a décidé de changer les paradigmes. C’est ainsi qu’en 2017 et 2018, l’Etat burkinabè a investi plus de 30 milliards FCFA dans l’achat de dix produits locaux (le riz, le niébé, la pomme de terre, l’oignon, la tomate, le sucre, l’huile alimentaire, le haricot vert, le lait et la viande) par les structures publiques.
Encadré 3
3 usines de prétraitement de tomate : 200 emplois directs et de nombreux emplois indirects
Le bon exemple est la construction de la Société de transformation des fruits et légumes (STFL) qui mettra sur le marché burkinabè, 250 tonnes de tomate et 240 tonnes de mangue en concentrés par jour. Le gouvernement a décidé de construire trois sites de traitement de la tomate dans les zones à forte production : Gourcy, Yako et Ouahigouya. Ces trois usines de prétraitement vont coûter environ 3 milliards FCFA et vont créer 200 emplois directs, sans compter les multiples emplois indirects. A l’inverse, la seule unité de Loumbila va créer 60 emplois. L’usine de prétraitement de Ouahigouya va aussi servir à transformer de la sauce bolonaise et ce, grâce à son potentiel de la filière-bétail.