Dans notre précédente édition, L’Economiste du Faso N°334, nous rendions compte de la conférence de presse des interprofessions karité-sésame-anacarde et mangue. Les professionnels du secteur s’inquiétaient de la destination des 7 milliards F CFA, récoltés dans le cadre de la Contribution forfaitaire obligatoire (CFO) ainsi que de l’élaboration d’un avant-projet de loi sur les filières porteuses qui risque de créer des conflits de compétences entre les interprofessions et la nouvelle structure de régulation. Pour des contraintes de bouclage, nous n’avions pas pu avoir le son de cloche du ministère de tutelle, celui du Commerce.
C’est chose faite, avec le point de vue du Directeur général du commerce, Seydou Ilboudo, par ailleurs président du Conseil d’administration du Conseil burkinabè de l’anacarde (CBA).
L’Economiste du Faso : Des responsables de filières réclament environ 7 milliards au ministère. De quoi s’agit-il ? D’où proviennent les fonds prélevés et pour quels objectifs ?
Seydou Ilboudo, Directeur général du commerce : Il s’agit de prélèvements effectués depuis 2018 sur les exportations des produits de certaines filières porteuses, notamment, les filières anacarde et sésame.
Ces prélèvements ont été institués par le gouvernement après concertation avec les acteurs desdites filières. Ils visent à résoudre les difficultés de financement que rencontrent ces filières.
Les fonds prélevés sont destinés à financer les activités de développement des filières.
Quel montant a été prélevé et de quelle filière ?
Actuellement, deux filières sont concernées par les prélèvements : il s’agit des filières anacarde et sésame.
Pour la filière anacarde, le montant des ressources collectées à la date du 06 janvier 2020 est de 5.684.853.095 FCFA.
Quant à la filière sésame, la somme de 1.077.059.450 FCFA a été collectée à la date du 26 février 2020 au titre des prélèvements.
Au total, la somme de 6.761.912.545 FCFA a été collectée.
Faites-nous un peu la genèse de ces prélèvements
Les filières porteuses au Burkina Faso constituent le socle de l’économie nationale, au regard de leur contribution à l’amélioration du solde de la balance commerciale, à la création d’emplois, surtout en milieu rural et à l’amélioration des revenus des acteurs. A titre d’illustration, les exportations des filières porteuses sont passées de 197,2 milliards FCFA en 2017 à 250,7 milliards FCFA en 2018, soit une hausse de 53,5 milliards FCFA. Cependant, cette embellie cache de nombreuses difficultés dont la plus importante est l’insuffisance de financements dans les filières et la difficulté d’accès aux crédits conventionnels par les acteurs.
Face à cette difficulté récurrente et insoutenable par les acteurs, ceux-ci ont interpellé le gouvernement à plusieurs reprises, lors des rencontres de concertations sur les filières afin de trouver des solutions pérennes à cette préoccupation. C’est ainsi que le système de prélèvements sur les exportations des produits a été mis en place avec pour but le développement des filières.
Il faut rappeler que cela s’est fait aux termes de concertations avec les responsables des organisations interprofessionnelles concernées. Pour mémoire, une rencontre a été tenue le 2 mars 2018 dans la salle de conférences du ministère du Commerce, de l’Industrie et de l’Artisanat, avec les responsables du Comité interprofessionnel de l’anacarde du Burkina ayant abouti à un consensus sur le principe d’instauration du prélèvement sur les exportations de la noix brute de cajou.
Un taux de 35FCFA/kg de noix a été proposé par les acteurs. Pour ce qui est du sésame, le prélèvement a été instauré le 16 novembre 2018 au lendemain du lancement de la campagne de commercialisation le 15 novembre, présidée par le ministre en charge du commerce. A cette occasion, la doléance du prélèvement a été formulée par l’ensemble des membres de l’Interprofession sésame du Burkina.
Comment les reverser aux acteurs ? Quelles sont les actions menées ?
Le gouvernement a créé, en 2019, le Conseil burkinabè de l’anacarde (CBA) avec pour missions, la régulation, le suivi et le développement des activités de la filière anacarde. Les ressources collectées sont mises à la disposition du CBA pour le financement des activités de développement de la filière, en l’occurrence, les activités inscrites dans les plans d’actions des acteurs de la filière, représentés par le Comité interprofessionnel de l’anacarde du Burkina (CIAB).
Le budget 2020 du CBA est consacré à plus de 80% au financement des activités de développement de la filière issues des plans d’actions des faîtières de la filière anacarde. A titre illustratif, deux activités majeures ont déjà été financées, à savoir, la participation des acteurs à la convention mondiale du cajou à Abidjan du 12 au 14 février, et la cérémonie de lancement de la campagne 2020 de commercialisation de la noix de cajou à Orodara.
Aussi, une convention signée entre le CBA et le CIAB permet de mettre des fonds à la disposition des faîtières de la filière anacarde pour la réalisation de leurs activités internes et le fonctionnement de leurs secrétariats permanents et exécutifs.
S’agissant de la filière sésame, les diligences sont en cours en vue de mettre les ressources au profit d’actions de développement de la filière. Les mécanismes de financement de ces activités se feront conformément aux textes en vigueur, étant entendu qu’il s’agit de ressources prélevées par l’Etat. Toutefois, je précise que ces fonds sont destinés au financement des activités de développement de la filière.
Les acteurs demandent la CFO. Qu’est-ce que la CFO? Quelle est sa différence avec le prélèvement actuel ? Allez-vous accédez à leur requête de mise en place de cette CFO?
La CFO, c’est la Contribution forfaitaire obligatoire. Elle est une disposition de la loi 050-2012/AN du 30 octobre 2012 portant règlementation des organisations interprofessionnelles des filières agricoles, pastorales, sylvicoles, halieutiques et fauniques au Burkina Faso.
Pour la réalisation des accords interprofessionnels, ladite loi accorde la possibilité à chaque organisation interprofessionnelle de déterminer son schéma de financement. Son article 27 (alinéa 2) dispose ce qui suit : « Les ressources de financements comprennent les ressources propres de l’interprofession et les recettes de la contribution forfaitaire obligatoire » . La CFO est définie par ladite loi comme « une participation financière obligatoire perçue auprès des organisations professionnelles d’envergure nationale membres d’une interprofession. ».
Les conditions de la mise en œuvre de la CFO sont déterminées par le Décret N°2017-0724 PRES/PM/MAAH/MINEFID/MATD/MRAH/MEEVC/MCIA du 02 août 2017 fixant les conditions de l’institution et de perception de la contribution forfaitaire obligatoire ainsi que les conditions de son extension au profit des organisations interprofessionnelles des filières agricoles, pastorales, sylvicoles, halieutiques et fauniques conformément à l’article 32 de la loi 050.
En effet, ce décret fixe les conditions de l’institution, de l’extension et de la perception de la CFO au profit des organisations interprofessionnelles.
Mais il conviendrait de rappeler qu’aux termes des dispositions de ladite loi, la CFO est une créance de droit privé mis en place et gérée par les acteurs et soumis ainsi aux règles de la comptabilité privée. Cela signifie que l’Etat ne s’aurait s’ingérer dans le processus de ce type de prélèvement, sauf en cas d’extension du prélèvement à tous les acteurs membres et non membres des interprofessions.
Lorsque la collecte des ressources est effectuée par les services de l’Etat, cela est une créance publique et gérée suivant les règles de la comptabilité publique.
Il s’agit donc de deux concepts différents de par leur forme et leur mode de fonctionnement. La mise en place du prélèvement par l’Etat n’est pas contraire à la règlementation nationale et à nos engagements communautaires et n’est pas non plus opposée à la CFO.
Le gouvernement est disponible à accompagner les acteurs pour la mise en place de la CFO conformément à la règlementation en vigueur.
Quelles sont les grandes articulations de ce projet de loi ? En quoi va-t-il permettre de booster les filières porteuses ?
Des mesures importantes sont prévues dans le projet de loi. Ces mesures sont des solutions ciblées aux problèmes que j’ai cités plus haut qui handicapent l’essor des filières. Il s’agit de l’institution d’un agrément en qualité d’acheteur de produits des filières porteuses. Cette innovation va permettre à l’administration de répertorier et de mieux connaître les acteurs, de disposer d’une base de données pour un meilleur suivi des activités de commercialisation et de garantir l’approvisionnement des unités locales de transformation. L’agrément permettra également d’éviter l’intervention des acheteurs opportunistes venus parfois de l’extérieur et qui perturbent les règles du marché.
En outre, il sera exigé une autorisation spéciale pour chaque opération d’exportation. Cette formalité va permettre de mieux contrôler l’application de la règlementation en matière d’exportation.
L’avant-projet de loi prévoit également l’instauration de prélèvements de taxes sur les volumes des exportations en vue de financer les activités de promotion et de développement des filières. Ces prélèvements serviront à appuyer les activités de développement des filières. Enfin, pour mieux suivre les activités des interprofessions et d’harmoniser et coordonner les interventions des différents acteurs directs et indirects dans les filières concernées, une structure de régulation sera mise en place. Cette structure qui sera créée avec la participation de tous les acteurs permettra de mieux surveiller le marché des produits des filières porteuses, renforcer les capacités des acteurs, promouvoir la transformation et la commercialisation des produits, assurer des prix rémunérateurs aux producteurs, contribuer à veiller au respect des normes de qualité des produits, etc.
Propos recueillis par JB
A propos du projet de loi sur les filières porteuses
Il s’agit d’un projet de loi portant organisation de la commercialisation et de la transformation des produits des filières porteuses au Burkina Faso.
Il est connu de tous les acteurs que la promotion des filières est confrontée à de nombreuses difficultés, liées surtout à la commercialisation et à la transformation des produits. Ces difficultés sont essentiellement, la faible organisation du marché marquée par la persistance des achats bords-champs, la difficulté d’accès aux financements conventionnels, le faible niveau de transformation des produits qui sont exportés à l’état brute sans la moindre valeur ajoutée, l’absence d’une règlementation adéquate, l’instabilité des prix au producteur, etc.
Le projet de loi est élaboré pour répondre durablement à ces contraintes auxquelles les filières font face. Son élaboration s’est faite de façon participative en consultant les acteurs directs et indirects des filières. Des rencontres bilatérales ont été organisées avec les différentes interprofessions à leur siège. Par la suite, le ministre Harouna Kaboré a personnellement reçu les acteurs pour s’assurer que toutes leurs préoccupations ont été consignées dans le projet de texte.