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Impôt unique sur les traitements et les salaires Une injustice à l’égard du privé, Daouda Diallo, Docteur en finances publiques, Associé-Gérant Fisc Consulting International

La non-perception par l’État de l’IUTS sur les primes et indemnités des agents publics est une faute qui aurait dû faire l’objet d’un redressement fiscal.
Le débat fiscal s’est focalisé, ces derniers mois, sur le paiement de l’IUTS qui connaît un rejet de la part de certains agents publics. Les motifs évoqués sont divers et pourraient se résumer en une volonté de préservation de leur pouvoir d’achat. Il faut rappeler que l’Impôt unique sur les traitements et les salaires (IUTS), dans son énonciation actuelle (article 105 du CGI), existe depuis l’Ordonnance 70-43 du 17/09/70. Elle est intervenue après la fusion en un impôt unique de tous les impôts portant sur les traitements et les salaires. Cet impôt, dans sa mise en œuvre, n’appréhendait pas les primes et indemnités des travailleurs du public en violation de la loi sans aucune explication officielle. C’est donc une situation de fait qui a perduré dans le temps mais qui ne crée aucun droit à leur égard.
Aujourd’hui, le débat semble être largement biaisé, parce que la communication qui est faite autour de cet impôt laisse quelque peu à désirer. Elle tend à faire croire à l’opinion publique que nous sommes dans une situation nouvelle et qu’il s’agirait d’une imposition qui venait d’être instituée à l’encontre des travailleurs du public. Il n’en est rien du tout. En effet, le Code général des impôts en son article 105 disposait et dispose toujours que «L’impôt unique sur les traitements et les salaires (IUTS), perçu au profit du budget de l’État, est applicable à l’ensemble des traitements publics et privés, indemnités, émoluments et salaires de toutes natures perçus, y compris les avantages en nature, à l’exception des avantages en nature supportés par l’État, les collectivités territoriales et les établissements publics n’ayant pas un caractère industriel et commercial». «Sont également imposables à l’Impôt unique sur les traitements et les salaires : les primes et gratifications de toutes natures servies aux travailleurs des secteurs public et privé…».
A la lecture de cette règle générale s’appliquant à tous les travailleurs, on peut légitimement s’interroger sur l’intérêt du débat actuel avec certains syndicats. Ceux-ci sont « vent debout » pour refuser l’application de ce texte aux agents publics avant de se raviser pour demander la suppression de cet impôt à l’égard de tous les travailleurs. La problématique en cause, c’est l’application au travailleur du public de l’impôt sur le revenu du travail. Les travailleurs du public sont-ils exonérés ou, doivent-ils faire face, comme tous les autres citoyens, à leur obligation de solidarité vis-à-vis des charges publiques? Est-il juste que dans un même État, pour la même catégorie de contribuables et pour le même revenu, il puisse exister une discrimination en matière d’assiette? Après plus de 50 ans d’imposition d’une catégorie de contribuables, est-il possible de procéder à la suppression de cet impôt sans créer des frustrations et des demandes de remboursement ou même des poursuites pour discrimination fiscale? Dans une telle hypothèse, qu’en sera-t-il du manque à gagner dans la couverture des charges publiques? Telles sont les principales interrogations qui méritent des réponses objectives dénuées de toute émotion.

I – Les bases légales de la discussion
L’article 17 de la Constitution dispose que « le devoir de s’acquitter de ses obligations fiscales conformément à la loi s’impose à chacun ». C’est une disposition générale qui s’applique à tous les Burkinabè sans discrimination et qui permet de générer des ressources publiques pour la prise en charge des besoins de tous. Au Burkina Faso, les impôts perçus auprès des citoyens couvrent à peine 70% des besoins budgétaires. Il faut alors recourir soit à des prêts avec des conditionnalités, soit à des demandes auprès des partenaires techniques et financiers, soit à des emprunts obligataires ou à des ventes de divers bons ou de titres du Trésor public. Ce sont ces ressources collectées de toutes parts qui constituent la cagnotte commune destinée à la prise en charge de notre vivre en commun. Chacun contribuant en fonction de ses facultés contributives pour la paix et la sécurité de tous, pour la prise en charge de l’Administration, pour le fonctionnement des services sociaux, pour les interventions diverses de la puissance publique.
Pour ce qui est de l’Impôt unique sur les traitements et les salaires, il faut tout de suite signaler qu’il fait partie des impôts majeurs, en ce sens qu’il vient en 3e rang des recettes fiscales et en 4e des recettes budgétaires. Il a toujours été liquidé et payé par les contribuables du secteur privé et cela, jusqu’au dernier centime de l’ensemble de leur revenu depuis maintenant 50 ans. En effet, l’Ordonnance 70-43 du 17 septembre 1970 (JO n° 42 du 8 octobre 1970) énonçait à son article 55, la formulation encore en vigueur dans l’actuel Code général des impôts en instituant «au profit du budget de l’État, un Impôt unique sur les traitements et les salaires (IUTS) applicable à l’ensemble des traitements publics et privés, indemnités, émoluments et salaires de toute nature perçus au cours de la même année». Aux termes de l’article 57 de l’Ordonnance, «l’impôt est dû par tous les salariés de la Haute Volta, bénéficiaires des revenus visés à l’article 55, quel que soit leur statut ou leur nationalité». Il n’est donc pas juste de développer des arguments tendant à faire croire que c’est une imposition récente.
C’est une imposition vieille d’un demi-siècle. Si la franchise en matière d’indemnités de fonction (exonération à hauteur de 30.000 FCFA) avait existé dans cette mouture de la loi, les autres franchises, notamment, celles sur l’indemnité de logement et de transport, ne sont intervenues que par la suite.
L’Ordonnance 70-43 à son article 66 dernier alinéa repris à l’article 117 du Code général des impôts exigeait et exige encore aujourd’hui que les «ordonnateurs, ordonnateurs-délégués ou sous-ordonnateurs des budgets de l’Etat, des collectivités territoriales et établissements publics n’ayant pas un caractère industriel ou commercial sont tenus de fournir, dans le même délai, les mêmes renseignements concernant le personnel qu’ils administrent», pour leur imposition sur leur revenu du travail.
Certainement, pour des raisons d’opportunité, l’Etat n’avait pas jugé nécessaire d’imposer les indemnités des travailleurs du public, mais cela ne crée pas de droit à leur égard. Mais l’État a, cependant, commis une faute en sa qualité de redevable légal de cet impôt, en ne procédant pas à la satisfaction de cette obligation de liquidation et de paiement. Dans le cadre du privé, un tel manquement se serait traduit par un redressement fiscal sur les périodes non couvertes par la prescription.

II – Les implications fiscales

A l’étape actuelle de la discussion, la position des tenants de l’imposition discriminatoire est difficilement tenable, en ce sens que les travailleurs du privé, qui n’avaient pas connaissance de cette application différenciée, n’accepteront plus d’avoir une contribution plus importante. Étant entendu que chaque citoyen devrait avoir une participation aux charges publiques à la hauteur de ses facultés contributives.
Au plan financier, l’IUTS est une imposition rentable comme toutes les autres impositions faisant l’objet d’une retenue à la source. Il génère ainsi très peu de coût pour son recouvrement et occupe une place importante dans les ressources de l’État. Sa suppression totale nous semble être pratiquement impossible, au regard de la modestie des ressources du pays et face à l’immensité des besoins.
Au-delà des questions financières de collecte des ressources publiques, l’impôt est un facteur d’union autour d’objectifs majoritairement admis dont la mise en œuvre permet le maintien harmonieux de la vie en société. Il repose, de ce point de vue, sur certains éléments essentiels que sont la légalité, l’égalité, la capacité contributive et la solidarité. Ce sont eux qui doivent faire l’objet de convocation dans le débat en cours.
La légalité pour faire plus simple, c’est le caractère d’un acte ou d’un fait qui est conforme à la loi et qui doit faire l’objet d’une application à l’égard de tous comme l’expression de la volonté générale. A moins qu’un texte postérieur ou une décision de Justice ne vienne paralyser ce caractère général. Or, l’Ordonnance 70-43 et tous les autres textes de loi applicables en matière d’impôt sur le revenu du travail n’ont pas, à notre connaissance, fait l’objet d’abrogation ou de suspension.
Ces textes obligent tous les Burkinabè sans distinction, dès l’instant où ils sont bénéficiaires d’un revenu selon les modalités définies par la loi. Ils ne peuvent normalement y déroger. Mais dans l’application de cette loi, il peut être tenu compte de la situation personnelle de chaque contribuable en modulant l’impôt pour l’adapter à la faculté contributive des redevables.
Pour ce qui est de l’IUTS, il a été prévu un taux progressif par tranche qui ménage les petits revenus mais aussi la prise en compte des charges de famille avec des abattements en fonction de ces charges. Cette contribution de tous en considération de la situation personnelle de chaque contributeur permet de remplir un principe essentiel de la vie en commun qui est le principe d’équité en matière fiscale – l’équité verticale. Il s’agit de distribuer les charges entre les citoyens en tenant compte de la réalité de leur pouvoir économique. Mais l’ensemble de ces principes exige que les règles de forme et de procédure qui s’appliquent à l’assiette de l’impôt au recouvrement et au contentieux de celui-ci soit égal pour tous en application d’un autre principe, celui d’égalité. Dans les mêmes conditions d’imposition, il permet d’atteindre l’équité horizontale.

Être un citoyen et membre d’une communauté, c’est tenir compte au moins de ces principes qui fondent les grandes nations et qui ont été construits dans le temps au cours de l’histoire de l’impôt. La déclaration des droits de l’Homme et du citoyen le résume si bien dans son article 13 en énonçant que «pour l’entretien de la force publique et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable et doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leur faculté».

Si beaucoup de Burkinabè ne sont pas capables d’avoir cette approche en considération de leur niveau de connaissance des choses, la réaction de certains autres, intellectuels, suscite de profondes interrogations. La parade a été de requérir avec véhémence, l’abandon pur et simple de l’imposition portant sur les salaires avec même le soutien de leaders d’opinion qui prétendent gouverner la cité. Il nous semble difficile d’être responsable et vouloir l’advenue d’une société de défiance dans laquelle l’autorité de l’État et des institutions est remise en cause, où l’équité, l’égalité et la légalité sont compromises.
L’impôt est le serviteur de l’intérêt général et non des intérêts corporatistes, partisans et sectaires. Il doit permettre notre vivre en commun, par le financement de l’ordre public grâce auquel nous pourrons mener nos activités économiques de façon pacifique, efficiente, et satisfaire ainsi l’essentiel des intérêts particuliers. Cela suppose une Administration générale, une Justice, une police, une diplomatie, une défense, tous les services ayant un coût et qui doivent être supportés par tous les citoyens. Il ne saurait y avoir une catégorie qui n’a que des droits et une autre que des obligations.
L’impôt est enfin un instrument de solidarité nationale. Il doit permettre de créer des biens et des services indispensables à la vie sociale. Le secours public étant une dette sacrée, il revient à la société de donner effet, à travers le paiement de l’impôt dont l’IUTS est une composante à ce devoir de solidarité. Quelle peut être la valeur de votre argent devant votre fils agonisant dans un service d’urgence médical ou chirurgical démuni. Quel intérêt d’avoir une voiture si vous n’aviez aucune infrastructure sur laquelle l’utiliser.
En faisant cet effort de développement de la place de l’impôt qui semble méconnu de certains, nous voudrions qu’ils comprennent qu’en ne le payant pas selon la loi depuis maintenant plusieurs années, ils ont failli à leurs obligations de solidarité vis-à-vis de tous. Ils sont dans une forme d’enrichissement sans cause, parce que bénéficiant de biens et de services collectifs pour lesquels ils ont une contribution, au mieux partielle au moment où le simple vigile, selon sa faculté contributive, a une pleine contribution.

Daouda Diallo
Docteur en finances publiques
Associé-Gérant Fisc Consulting International

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