De 2016 à 2018, le Burkina Faso a accordé 1.538 mesures fiscales dérogatioires en faveur des ménages, de l’administration publique mais surtout en faveur des entreprises (les potentiels investisseurs). Selon une étude du Centre d’études et de recherche appliquée en finances publiques (CERA-FP) rendue publique le 6 décembre 2019, l’année 2018 a enregistré 862 mesures fiscales dérogatoires, dont 117 au titre du Code général des impôts et 24 au titre du Code minier.
En 2017, ce sont 405 mesures inventoriées, dont 54 au niveau du Code des impôts et 17 au niveau du Code minier. Alors qu’au titre de l’année 2016, l’évaluation des dérogations fiscales est de 271, dont 57 au titre du Code des impôts et 17 au niveau du Code minier. En plus de répertorier le nombre de mesures fiscales dérogatoires, CERA-FP, qui fait du contrôle citoyen des finances publiques sa raison d’être, a évalué le manque à gagner dans le budget de l’Etat. A ce niveau, la note est salée. En effet, en 2018, les mesures dérogatoires se chiffrent à 68.911.411.284 FCFA, contre 87.213.182.796 FCFA en 2017 et 92.543.419.070 FCFA en 2016, soit un montant total de 248.668.013.150 FCFA en trois ans.
Les mesures fiscales dérogatoires ont triplé
Au regard de ce manque à gagner financier, le Secrétaire exécutif du CERA-FP, Hermann Doanio, s’interroge sur leur pertinence, sinon sur ce que l’Etat burkinabè gagne en contrepartie en termes de retombées économiques ou sociales. Même si les montants sont en baisse, il reste que d’année en année, les mesures fiscales dérogatoires ont triplé. Autre constat auquel l’étude est parvenue est que ces mesures fiscales profitent plus aux entreprises qu’aux ménages.
Cette réalité a amené Hermann Doanio à parler d’injustice sociale vis-à-vis des ménages. Pour preuve, en 2018, la part relative de l’incitation aux investissements dans les dépenses fiscales est de 75,45%, contre 62,31% et 43,36% respectivement en 2017 et 2016. Au titre du renforcement de la coopération internationale, les taux ont été de 7,99% en 2018, contre 20,73% en 2017 et 19,87% en 2016 des dépenses fiscales. Pour ce qui est de la promotion de l’énergie solaire, elle a pesé 10,31% ; 10,56% et 10,36% des dépenses fiscales respectivement en 2016, 2017 et 2018. Tout en ne déniant pas le droit à l’Exécutif son rôle régalien d’appliquer sa volonté politique en matière de fiscalité, le Secrétaire exécutif exhorte le gouvernement à être plus regardant sur les dépenses fiscales. « La fiscalité est un instrument politique, bien utilisé, c’est une bonne chose pour le pays », ajoute-il. Sur ce, il émet un bémol sur les exonérations tous azimuts aux investisseurs. Hermann Doanio confesse que les exonérations accordées par le gouvernement ne sont pas de trop, mais que c’est leur pertinence qui pose un véritable problème. « Il n’y a pas de visibilité, encore moins de lisibilité. Ces dérogations fiscales ne sont pas annexées aux objectifs du budget programme, encore moins aux lois de finances.
Pour étayer sur la pertinence de ces mesures fiscales dérogatoires, Hermann Doanio cite le cas des cimenteries qui bénéficient d’un certain nombre de taxes (TVA intérieur, TVA à l’importation…). Passé d’une société, à ce jour, le pays dispose de 5 cimenteries, mais le constat est que le prix du ciment n’a pas baissé, pire, il est l’un des plus élevés de la sous-région, a-t-il déclaré. Or, dit-il, la pertinence en accordant les exonérations à ces cimenteries est d’une part, rendre le produit moins cher aux Burkinabè, et d’autre part, être source de création d’emplois. Autre cas, les sociétés immobilières qui bénéficient d’exonérations sur l’importation des matériaux de construction afin de permettre aux populations d’avoir accès à des logements décents, mais au final, leur cauchemar, la cherté et le manque de disponibilité de ces logements. La télécommunication bénéficie aussi des fiscalités dérogatoires, mais pour autant, le coût de la communication est décrié par les consommateurs, car jugé très élevé. En plus du secteur de la cimenterie, de la construction, il y a aussi le transport, les sociétés minières, le partenariat public-privé (PPP) et les BTP. Sur le cas particulier de la cimenterie et des sociétés minières, Hermann Doanio note que ces dernières possèdent déjà un gros chiffre d’affaires et par conséquent, peuvent se passer des avantages fiscaux. Il faut noter que rapportées aux recettes fiscales, les dépenses fiscales sont ressorties à 5,09% en 2018, contre 7,04% en 2017 et 8,61% en 2016. Il recommande que les fiscalités dérogatoires soient plus dirigées vers le développement des PME/PMI pour créer de l’emploi et de la richesse nationale. Il faut noter que cette étude est le deuxième du genre. Elle entre dans le cadre de la mise en œuvre du projet «Initiative multipartite pour une économie humaine en Afrique».
Ambèternifa Crépin SOMDA
A propos de l’étude
L’évaluation des dépenses fiscales à mi-2019 n’étant pas disponibles, il convient cependant de noter qu’en examinant le budget, exercice 2019, il a été prévu 20 milliards FCFA pour les exonérations des marchés financés sur ressources extérieures. Aussi, les remboursements des crédits TVA qui étaient auparavant inclus dans les dépenses de transferts courants ne sont plus budgétisés mais sont gérés à travers un compte d’affectation spéciale.
Recommandations à l’endroit de l’Etat
-Compléter les documents budgétaires en classant les dépenses fiscales en fonction des objectifs du programme auquel elles se rattachent;
-Mettre à jour le système de référence des dépenses fiscales en adéquation avec le nouveau Code général des impôts;
-Systématiser l’évaluation des dépenses fiscales et annexer les rapports d’évaluation aux lois de finances;
-Faire paraitre dans les rapports, l’efficacité en termes d’effets et d’impact socioéconomique de ses dépenses fiscales;
-Rationnaliser les dépenses fiscales en vue d’accroître la mobilisation des ressources intérieures et d’assurer l’efficience et l’efficacité de la dépense fiscale;
-Produire et diffuser dans les délais, le rapport d’évaluation des dépenses fiscales;
-Impliquer la société civile dans le processus d’évaluation des dépenses fiscales;
-Publier périodiquement la liste des bénéficiaires des dépenses fiscales dans un souci de transparence.
Les dépenses fiscales en bref
Les dépenses fiscales font partie des outils du gouvernement et, dans certains cas, peuvent constituer un moyen efficace de fournir des mesures incitatives pour les citoyens et les sociétés. Elles sont généralement définies comme étant une perte de revenu estimée du gouvernement en raison du fait qu’il a accordé des allègements fiscaux ou des préférences à une classe particulière de contribuables ou d’activités. Les dépenses fiscales (exonérations fiscales et douanières et autres incitations fiscales) sont effectuées chaque année par le gouvernement pour divers raisons et objectifs et au profit de bénéficiaires donnés. Ces dépenses fiscales sont réalisées suivant les choix révélés ou discrétionnaires des dirigeants.