«Les principaux groupes jihadistes au Sahel tirent un intérêt financier de l’extraction aurifère, activité halal (licite), dans leurs zones d’influence». Ce constat est de International crisis group, une ONG internationale, créée en 1995, dont la mission est de prévenir et d’aider à résoudre les conflits meurtriers grâce à un travail de recherche sur le terrain, des analyses et des recommandations indépendantes. Dans son rapport de novembre 2019, ICG a affirmé que les sites aurifères restaient pour l’instant une source de financement secondaire et aussi des lieux de recrutement pour les groupes jihadistes.
Les modes de financement varient d’une région à l’autre. Selon le document publié sur le site de ICG, au Burkina Faso, dans le Soum, des unités jihadistes sont rémunérées par les orpailleurs pour effectuer des missions de sécurité sur les sites. Dans les zones de Tinzawaten, Intabzaz ou Talahandak, au nord de la région de Kidal au Mali, le groupe jihadiste Ansar Eddine (membre du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM)) n’exerce pas une présence armée destinée à la sécurisation du site, mais prélève la zakat (impôt religieux) auprès des orpailleurs et du reste de la population.
Sécuriser les mines d’or artisanales
Comment changer la donne? Pour ICG, la solution est de restaurer la présence d’un Etat régulateur. Et pour cela, il faut impérativement reprendre en main la sécurité des zones aurifères; sécuriser les mines d’or artisanales. Cette présence renforcée de la force publique devrait s’accompagner d’un effort en matière de gouvernance. La présence des forces de l’ordre est requise autour des sites aurifères dont des groupes armés hostiles pourraient tenter de s’emparer. Et pour appuyer ses déclarations, Crisisgroup a évoqué le cas à l’Est du Burkina Faso. «L’Etat devrait déployer ses forces sur certains sites d’orpaillage artisanaux qui ont été désertés par les jihadistes lors de l’opération Otapuanu, en mai dernier». «En sécurisant les sites artisanaux de la même manière, le Burkina contribuerait à restaurer la confiance entre ses forces armées et les populations. Une fois la sécurité assurée, les gouvernements devraient s’efforcer de retirer leurs forces armées des mines, tout en maintenant des forces de police mobile à proximité», prévient Crisisgroup.
Impliquer les acteurs locaux
«L’Etat devra aussi s’appuyer sur les acteurs non étatiques qui mènent déjà des opérations de sécurité sur certains sites aurifères», propose aussi ICG. Le nombre de sites à sécuriser constitue en effet un défi majeur pour des Forces de défense et de sécurité qui manquent de moyens et sont engagées sur bien d’autres terrains.
Toutefois, il ne s’agit pas de déléguer la sécurisation des mines à des groupes militarisés qui pourraient échapper au contrôle de l’Etat et commettre des exactions contre des civils, mais plutôt de reconnaître le rôle des acteurs locaux de sécurité, qui assurent déjà de facto des missions de police dans les mines et leurs alentours, et de mieux les encadrer. Cela peut passer, par exemple, par la création de comités locaux – inclusifs sur le plan communautaire – qui relèveraient de l’autorité des Maires ou des chefferies traditionnelles, à l’instar des Coordinations communales de sécurité (CCS) au Burkina Faso, chargées de l’encadrement de certains groupes d’autodéfense.
Quels que soient les acteurs impliqués dans la sécurité (Forces de défense et de sécurité ou acteurs privés), les pouvoirs publics devront veiller à ce qu’ils ne se comportent pas en forces de prédation sur les sites miniers.
JB
Limiter le commerce informel transfrontalier de l’or
Les groupes armés qui exploitent les sites aurifères dépendent de circuits commerciaux d’exportation. Dans les zones qu’ils contrôlent, l’or exploité par des orpailleurs ou des membres de ces groupes est souvent vendu par des réseaux informels connectés à des pays frontaliers: l’Est du Burkina Faso et la région de Tillabéri (Sud-Ouest du Niger) sont ainsi connectés à des circuits de revente au Ghana et au Togo, le Sud du Mali à la Guinée, la région de Kidal (Nord du Mali) à l’Algérie et le nord d’Agadez (Centre du Niger) à la Libye. En bout de chaîne, les exportations se destinent principalement à la Suisse, la Chine, et surtout Dubaï.
Limiter le commerce informel transfrontalier de l’or, associé à un risque accru de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme, passe avant tout par une réduction de l’attractivité de certains régimes fiscaux et par l’élaboration de politiques publiques incitatives pour que la production d’or emprunte des réseaux formels de commercialisation plutôt que des réseaux informels. Une harmonisation de la fiscalité entre les pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) permettrait d’éviter que des pays comme le Togo, le Mali et la Guinée, dont la fiscalité est avantageuse, ne deviennent des destinations d’or de contrebande.
Encourager le secteur privé dans l’exploitation minière artisanale
L’International crisis group a envisagé deux solutions afin de favoriser les circuits formels de commercialisation d’or.
D’abord, à travers la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), les Etats sahéliens pourraient acquérir l’or artisanal extrait sur leurs territoires, comme le fait déjà la Guinée, par exemple. Une possibilité qui sera quand même difficile à réaliser. La BCEAO ne peut imprimer du franc CFA, pour acheter de l’or sans affaiblir la valeur de sa monnaie, ce qui n’est pas possible dans le cadre de la parité fixe qui unit le Franc CFA à l’euro. Pour acheter de l’or sans imprimer de monnaie, la BCEAO devrait puiser dans ses propres réserves en devises.
Une autre alternative, les Etats sahéliens peuvent encourager la participation du secteur privé formel dans l’exploitation minière artisanale. «Ces acteurs privés devraient tenter de capter la chaîne d’approvisionnement de l’or en offrant aux acteurs artisanaux des prix supérieurs à ceux du marché. Le manque à gagner que cela engendre à court terme serait compensé par les profits réalisés plus tard grâce aux économies d’échelle et au développement de moyens de production plus effectifs», explique ICG.
Sous réserve de mettre en place des mécanismes nationaux de traçabilité efficaces, cela permettrait de réduire le risque de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme en récupérant le contrôle d’une partie des flux informels. Cela présenterait également d’importants avantages financiers pour l’UEMOA et la zone du franc CFA. Les autorités des différents pays doivent donc renforcer les contrôles dans les aéroports, les exportations clandestines vers Dubaï se faisant principalement par voie aérienne.
Les Etats sahéliens devraient interdire aux particuliers de transporter de l’or dans leurs bagages, un procédé qui permet de contourner les contrôles opérés par le fret aérien.