L’emploi des jeunes est en haut des agendas de développement en Afrique de l’Ouest. Le sujet est une priorité pour les pays de la région ainsi qu’au niveau continental : les emplois décents et l’autonomisation des jeunes sont des priorités de l’Agenda 2063 de l’Union africaine. « L’emploi décent des jeunes au Sahel » a figuré parmi les sujets discutés au sommet du G7 à Biarritz.
Une telle attention est légitime au vu des réalités démographiques de la région. Bien que le taux de chômage soit bas en général, les emplois disponibles sont le plus souvent informels, et un nombre croissant de jeunes a du mal à accéder à des formations ou à des sources de revenus. Les économies ouest-africaines doivent créer plus d’emplois, et de meilleurs emplois. Cependant, du point de vue des politiques publiques, les actions à mener ne sont pas toujours claires. Les arbitrages à effectuer dans la dépense publique et les manques d’information abondent.
Dans ce contexte, où sont les opportunités pour les décideurs?
L’économie alimentaire continuera à fournir la majorité des emplois
Les analyses du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest de l’OCDE indiquent que l’économie alimentaire dispose d’un potentiel très élevé de création d’emplois. Elle mérite donc qu’on la soutienne davantage. Ceci est d’abord le fait de la taille du secteur alimentaire. En moyenne, les ménages ouest-africains consacrent 50% de leurs dépenses à l’alimentation. La valeur de l’économie alimentaire régionale avoisine les 260 milliards de dollars, soit 40% du PIB régional. Cette économie accueille près de 66% des emplois (Figure 1). Le commerce alimentaire est en expansion constante: entre deux tiers et trois quarts de la nourriture consommée en Afrique de l’Ouest sont achetés sur un marché.
En outre, les transformations rapides de l’économie alimentaire créent de nouvelles opportunités ; principalement dans les segments non agricoles. L’urbanisation rapide tire la demande. Les consommateurs recherchent une plus grande diversité de produits ; plus de fruits et légumes, de viande et de poisson. Ils expriment également un intérêt grandissant pour les aliments transformés et emballés, plus pratiques et plus rapides à préparer. Les besoins de main d’œuvre et de savoir-faire dans la transformation alimentaire, le conditionnement, la logistique et le stockage s’accroissent. Les segments non agricoles de l’économie alimentaire (transformation, commercialisation et restauration hors domicile) occupent déjà 18% de la main d’œuvre régionale ; principalement des femmes (70%).
L’économie alimentaire continuera ainsi à créer la majorité des emplois. Pour optimiser ce processus et tendre vers plus d’emplois décents et accessibles aux jeunes et aux femmes, le secteur a besoin de politiques adéquates. Ceci suppose de s’appuyer sur trois principes essentiels.
Considérer l’économie alimentaire dans son ensemble
Considérer l’économie alimentaire dans son ensemble signifie prendre en compte – dans une même démarche – l’ensemble des segments des « systèmes alimentaires » ; les activités en aval de la production, la production elle-même et les activités en amont ; « de la semence à l’assiette ». Le soutien à l’agriculture est important, mais l’économie alimentaire est un réseau d’interdépendances. Les consommateurs, dont une part croissante, vit dans les zones urbaines, requièrent plus d’attention. Les villes ne sont pas uniquement des lieux de consommation – ce sont aussi des plateformes d’échange d’informations, de commerce et de services ; 45%, 57% et 65% de l’emploi dans la transformation alimentaire, la commercialisation alimentaire et la restauration hors domicile respectivement se trouve dans les zones urbaines. Les responsables politiques doivent accroître les investissements dans la planification urbaine pour la logistique et les espaces de marché. De meilleurs réseaux de routes et de distribution électrique sont également indispensables pour réduire les coûts de transport, de stockage et de mise en vente.
Identifier des territoires prometteurs
Prendre en compte les facteurs spatiaux
Les transformations des systèmes alimentaires sont spatialement hétérogènes. Dans certaines zones, la vitesse de transformation est impressionnante. Au Nigeria, par exemple, la croissance du secteur du poulet est évaluée à 20% par an sur la période 2010-2020. Des sociétés comme Zartech Agri Ltd, AnadariyaFarms, AjanlaFarms, ObasanjoFarms, Animal Care ou Amo Byng Nig Ltd approvisionnent la demande croissante des villes du Sud-Ouest du Nigeria en s’appuyant sur des réseaux de producteurs de maïs dans le Centre et le Nord du pays pour l’alimentation des volailles. Au Sénégal, la productivité de la main d’œuvre dans la région du Niayes, spécialisée en horticulture, est 17 fois plus grande que dans le bassin arachidier du fait de la proximité de villes côtières, de bonnes routes et d’investissements dans l’irrigation. Cette plus haute productivité s’est traduite par la création de plus d’emplois salariés dans les fermes du Niayes. Toutes les zones n’ont pas le même potentiel ou les mêmes besoins. L’identification des territoires prometteurs est essentielle pour la conception des politiques. Dans les zones à haut potentiel, les efforts doivent se concentrer sur les contraintes spatiales comme la connectivité, la distance aux marchés, l’électricité, et l’accès aux services administratifs et à la technologie. L’emploi augmente là où les politiques prennent en compte les réalités locales et créent un environnement favorable pour les entreprises de l’économie alimentaire qui créent les emplois. Ceci fait écho aux analyses qui indiquent que le rôle de la formation est parfois trop mis en avant. Comme le suggère Louise Fox (Chief Economist, USAID), “educational and skill-building institutions do not create jobs. Firms and people do.”[1]
Assumer l’informalité, promouvoir l’inclusion
Du fait de son omniprésence, l’informalité doit être assumée et gérée au moyen de politiques centrées sur les besoins – « l’informalité est la norme ». L’économie informelle a besoin de mesures d’accompagnement et non pas de coercition. Les interventions seront plus utiles si elles permettent de lever les contraintes les plus immédiates rencontrées par les opérateurs alimentaires. Ceci implique, par exemple, de soutenir l’échange entre les gouvernements locaux et les associations de producteurs, transformateurs et commerçants (voir cette analyse sur la situation des vendeurs de rue à Accra). Ces échanges sont cruciaux pour identifier les besoins spécifiques des groupes plus vulnérables, comme les jeunes et les femmes.
La mise en œuvre de ces trois principes doit aller de pair avec un apprentissage constant. Au niveau macro, les projections fiables sur l’emploi dans l’économie alimentaire sont encore rares. Au niveau micro, une meilleure information contextuelle sur les économies locales est nécessaire pour comprendre comment les opérateurs alimentaires recrutent, le soutien reçu du secteur public et les profils des demandeurs d’emploi.
En résumé, l’économie alimentaire ouest-africaine offre des opportunités considérables pour accélérer la création d’emplois. Les décideurs peuvent apporter un soutien plus efficace à cette économie en écoutant les besoins des producteurs, des transformateurs et des commerçants et en prenant en compte les mutations rapides des systèmes alimentaires, induites par les consommateurs. Étant liée à l’urbanisation et la croissance des secteurs non agricoles, l’économie alimentaire est aussi un levier puissant pour soutenir la transformation structurelle de la région. C’est un terrain d’action prometteur pour relever l’un des défis les plus urgents de l’Afrique de l’Ouest.
[1] « Ce ne sont pas les institutions d’éducation et de développement des compétences qui créent des emplois. Ce sont les entreprises et les personnes ».