Deux experts burkinabè ont participé du 10 au 21 juin 2019 à Nairobi au Kenya, à une formation certifiante sur le thème « La conduite et le management des investigations financières », organisée par l’Académie africaine pour les enquêtes fiscales et financières. Ils ont présenté le point de l’exploitation des conventions fiscales dans la conduite justement des investigations fiscales. Pour en savoir davantage sur les conventions fiscales, leurs forces et faiblesses, L’Economiste du Faso a donné la parole à un des participants. Amos Zong-Naba, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est inspecteur des Impôts en service. Il est par ailleurs membre du Groupe d’action pour la promotion du civisme fiscal (GAPCIF).
L’Economiste du Faso : Vous avez présenté une communication à Nairobi sur le thème : « L’exploitation des conventions fiscales dans la conduite et le management des investigations financières ». Dans quel contexte cette communication a-t-elle été donnée.
Permettez-moi de vous remercier pour l’opportunité qui est offerte d’échanger autour des questions fiscales. Pour répondre à votre question, la communication a été donnée dans le cadre d’une formation certifiante sur le thème « La conduite et le management des investigations financières » qui a eu lieu à Nairobi (Kenya) du 10 au 21 juin 2019. Et l’une des conditions est que chaque pays participant puisse faire une présentation sur un sous-thème attribué par le programme. Il se trouve que notre pays, le Burkina Faso, qui était représenté par Karim Sanou et moi-même (tous deux de la Direction générale des Impôts), devait faire le point de l’exploitation des conventions fiscales dans la conduite justement des investigations fiscales.
La formation a été organisée par l’Académie africaine pour les enquêtes fiscales et financières qui est un programme de l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) installée à Nairobi.
Les objectifs poursuivis par ce programme sont de plusieurs ordres. Il s’agit notamment, de développer la capacité des investigateurs africains en matière de criminalité fiscale et financière, grâce à une formation sur les compétences et techniques clés requises dans les enquêtes financières, pour lutter efficacement contre les délits financiers et enrayer les flux financiers illicites. Le programme ambitionne de sensibiliser davantage les pays aux risques posés par la corruption et le blanchiment d’argent et à la capacité de mieux lutter contre ces infractions, développer une compréhension globale de l’importance d’une coopération efficace avec d’autres agences gouvernementales et d’autres pays, et tirer parti de la participation au programme pilote pour connecter les différentes agences impliquées dans la lutte contre les crimes fiscaux et les crimes financiers en Afrique, fournir aux pays participants les outils nécessaires pour évaluer leur cadre législatif, règlementaire et opérationnel par rapport aux meilleures pratiques internationales et fournir un soutien et une capacité aux pays participants pour traduire les meilleures pratiques internationales dans leurs lois et opérations nationales.
Le Burkina Faso s’est-il engagé dans combien de conventions fiscales bilatérales et multilatérales ? Avec quels pays et quelles institutions ?
Une convention fiscale est un traité entre deux ou plusieurs pays visant à éviter la double imposition des personnes et des entreprises et/ou à échanger des informations à caractère fiscal. En particulier, elle définit comment est déterminée la résidence fiscale, c’est-à-dire le lieu d’imposition, de sorte que le citoyen ou l’entreprise d’un pays résidant dans un autre pays ne soit pas imposé une fois dans chaque pays pour le même revenu.
Sous réserve des conventions fiscales en cours de négociation (non encore signées et ratifiées), le Burkina Faso a signé et ratifié deux (02) conventions fiscales bilatérales qui sont en vigueur, à savoir celle de la France qui est la plus vieille. Cette convention date du 11 août 1965 et est entrée en vigueur le 15 février 1967. Elle a fait l’objet d’un avenant signé le 03 juin 1971, entré en vigueur le 1er octobre 1974.
La 2e convention fiscale bilatérale est celle avec la Tunisie qui, elle, date de 15 avril 2003 et est entrée en vigueur le 1er avril 2013. Il est à noter que notre pays est aussi engagé dans des conventions fiscales avec le Maroc, signées en 2012, les Emirats Arabes Unis, une autre avec la Turquie en attente de signature. Mais jusque-là, elles ne sont pas encore ratifiées et ne sont donc pas en vigueur.
Quant aux conventions multilatérales, nous pouvons les classer en deux catégories : les conventions fiscales régionales (UEMOA et CEDEAO) et les conventions fiscales internationales qui concernent notamment celles de l’OCDE.
La convention fiscale régionale de l’UEMOA à laquelle le Burkina Faso fait partie est le Règlement N°08/CM/UEMOA du 26 septembre 2008 portant adoption des règles visant à éviter la double imposition au sein de l’UEMOA et des règles d’assistance en matière fiscale. C’est une convention qui est en vigueur dans tous les 08 pays Etats membres de l’UEMOA et abroge et remplace toutes les conventions bilatérales ou multilatérales entre ces pays.
Quant à la convention fiscale de la CEDEAO, elle est encore au stade de projet et n’a pas encore été signée par les pays membres. Au cas échéant, la convention fiscale de l’UEMOA pourrait être caduque, vu que tous les pays de l’UEMOA font partie de la CEDEAO, ou voir les deux conventions fiscales coexister.
Les conventions fiscales internationales sont principalement le plan BEPS (Base erosion and profit Shifting en anglais et qui signifie ensemble des mesures pour lutter contre l’érosion de la base d’imposition et du transfert de bénéfices) qui est carrément un plan avec plusieurs instruments fiscaux à l’intérieur. La convention multilatérale qui implémente les mesures fiscales de ce plan pour prévenir l’érosion des bases d’imposition a été signée par notre pays le 07 juin 2017 et ratifiée en avril 2019. Néanmoins, elle n’est pas encore en vigueur, car l’instrument est en attente d’être introduit à l’OCDE pour ratification.
Quelles sont les forces et les faiblesses de ces conventions fiscales ?
Les conventions fiscales sont dans leur lettre vertueuse puisqu’elles visent à promouvoir le déploiement des entreprises et l’installation des personnes physiques dans plusieurs Etats sans courir le risque de la double imposition. C’est un outil de coopération qui permet de partager des informations et de se porter une assistance mutuelle en matière de recouvrement principalement. Cependant le phénomène de la mondialisation et les formes d’organisations des entreprises que cela a engendré a favorisé l’émergence de groupes composés de nombreuses sociétés situées un peu partout dans le monde. Des filiales peuvent par des montages juridiques et tenant compte des différences de niveau de taxation transférer les bénéfices vers des pays à faible niveau d’imposition Il en résulte ce qu’on peut qualifier d’abus de conventions fiscale.
Du fait que les conventions fiscales ont une primauté sur le droit interne une fois publiées au Journal officiel, elles peuvent être un grand avantage si elles sont bien négociées et bien exploitées ou des faiblesses liées à son exploitation et les abus.
Les conventions fiscales arborent des forces mais révèlent aussi des faiblesses dues à plusieurs abus dans sa mise en œuvre.
Les forces des conventions fiscales résident dans le fait qu’elles permettent de lutter contre la double imposition et contre la fraude et l’évasion fiscales internationales. Ces forces qui sont en réalité les objectifs visés sont généralement précisées dès l’article premier ou dans l’énoncé même de la convention fiscale. Elles visent à éliminer la double imposition. En effet, la double imposition internationale résulte de la superposition des souverainetés fiscales internationales qui conduit à imposer deux fois la même personne, le même revenu ou le même bien.
On a la double imposition juridique qui résulte de l’imposition d’un même contribuable par deux Etats au titre d’un même revenu.
Exemple : prenons un contribuable burkinabè (résidant fiscalement au Burkina Faso) qui a eu un contrat de prestation en Côte d’Ivoire pour un montant de 20 millions FCFA. S’il n’y avait pas la convention fiscale de l’UEMOA dont les deux pays sont membres, ces 20 millions de ce contribuable allaient être imposés et en RCI et au Burkina. Mais avec la convention fiscale, le revenu sera imposé dans le pays où a lieu le paiement sous réserve de certaines dispositions contraires.
On a aussi la double imposition économique qui intervient dans les cas où deux personnes différentes établies dans deux Etats étaient imposables au titre d’un même revenu (exemple d’une société mère et de sa filiale, par exemple à la suite d’une procédure de vérification de comptabilité dans l’un des deux Etats). Dans ce cas, la convention précise comment seront imposées les deux personnes.
Les conventions fiscales luttent contre la fraude et l’évasion fiscales. Grâce à l’assistance en matière fiscale, notamment l’échange des renseignements à caractère fiscal, les pays signataires de convention fiscale arrivent à lutter contre la fraude et l’évasion fiscales. Pour ma part, c’est surtout cette force qui est l’avantage des pays comme le nôtre qui n’a pas beaucoup d’affaires avec certains pays dont on a signé une convention fiscale.
Quant aux faiblesses de ces conventions fiscales, il faut dire qu’elles résident principalement dans les négociations, à mon avis, qui sont souvent menées dans des contextes particuliers et aussi dans l’exploitation et les abus lors de sa mise en œuvre. Souvent, le but recherché est d’avoir un financement ou d’attirer des investisseurs étrangers. Dans un tel cas, il est difficile de négocier convenablement ou techniquement la convention fiscale sans tenir compte de cet état de fait. La conséquence est que souvent, nous accordons des avantages ou n’arrivons pas à faire accepter certaines de nos propositions. Si vous signez des conventions fiscales afin d’obtenir des financements avec certains pays, ces derniers pourraient profiter pour permettre à leurs entreprises de ne pas être imposées doublement. Il est vrai que nous gagnons de l’argent frais ou même des infrastructures mais une partie des revenus se dissipe sous forme d’exonérations fiscales.
L’autre faiblesse réside dans l’exploitation de nos conventions fiscales. Beaucoup de pays n’exploitent pas comme il se doit ces conventions, surtout en matière d’assistance administrative. Par exemple, dans le chapitre 5 de la convention fiscale de l’UEMOA, qui traite de l’échange de renseignements, d’assistance en matière de recouvrement des impôts ou de contrôle conjoint, les Etats membres n’en font pas recours systématiquement pour le moment.
L’absence de délai de réponse de certaines conventions fiscales concernant les demandes de renseignement fiscal ou même le fait que ces renseignements ne soient pas d’office… sont aussi des faiblesses. A cela, il faut ajouter l’évolution de certaines notions aujourd’hui comme celles d’établissement stable telles que décrites dans les conventions fiscales qui n’est plus seulement physique. En effet, l’économie est de plus en plus dématérialisée et numérique et la plupart des entreprises font un chiffre d’affaires important sur Internet ou sur les plateformes digitales qui n’appartiennent pas à un territoire d’un seul pays mais universel.
Il y a aussi la clause de sauvegarde en matière d’abus de droit qui est décriée par certains. Cette clause veut que les Etats dans les conventions multilatérales, refusent le bénéfice de la convention s’il est établi que des opérations couvrent en réalité des montages financiers au détriment des Etats.
Comment un pays comme le Burkina peut-il exploiter ces conventions fiscales pour les investigations financières ?
Je le disais plus haut au niveau des forces que l’assistance administrative, notamment l’échange de renseignements à caractère fiscal, est l’un des gros avantages des conventions fiscales, surtout pour les pays en développement comme le nôtre. En effet, dans les investigations financières, l’information est la première denrée et la plus importante. Souvent, l’information qu’on recherche se trouve dans un autre Etat ou un autre territoire dans lequel on n’a pas accès, souveraineté des Etats oblige !
Mais cette difficulté est contournée si vous avez des conventions fiscales qui vous permettent d’échanger des renseignements à caractère fiscal ou financier. Ces échanges de renseignements peuvent aider à déterminer le chiffre d’affaires, les bénéfices de certains contribuables, à découvrir des cas de fraude ou d’évasion fiscale et même dans certains cas, du blanchiment de capitaux.
Y-a-t-il des cas que vous pouvez expliquer ?
Oui, il y a eu des cas mais je n’ai pas le droit d’en parler ici. Les conventions fiscales interdisent souvent de divulguer les informations obtenues. C’est le cas de la convention fiscale, par exemple, avec la France en son article 37-2 qui dit en substance que les renseignements obtenus conservent un caractère secret et ne peuvent être communiqués à des personnes autres que des impôts.
Un dernier mot ?
Je voudrais une fois de plus, réitérer mes remerciements au Journal l’Economiste du Faso. Merci aussi à l’Académie des investigations fiscales et financières de l’OCDE qui nous a apporté un plus à travers cette formation dont nous avons bénéficié. Ma gratitude à la hiérarchie et aux collègues pour le travail au quotidien pour que le civisme fiscal soit une réalité dans notre pays.
Je voudrais inviter l’ensemble des contribuables que nous sommes à éviter la fraude et l’évasion fiscales. Le monde est devenu un village planétaire, comme on le dit, et avec la coopération fiscale, notamment l’échange des renseignements, les fraudeurs fiscaux seront démasqués et subiront la rigueur de la loi. Aujourd’hui, les conventions fiscales autorisent le contrôle conjoint et l’assistance en matière de recouvrement.
A nos dirigeants, je leur demande de revoir certaines de nos conventions fiscales et même la négociation de ces conventions.
Il y a un service des relations fiscales internationales qui a été créé à la Direction générale des Impôts de notre pays qui a besoin de plus de formation dans la négociation des conventions fiscales. Je vous remercie !
Interview réalisée par Elie KABORE
Blanchiment de capitaux et financement du terrorisme : Toute information fiscale peut aider dans la lutte
L’actualité nationale est dominée par le sujet en lien avec le blanchiment de capitaux et la lutte contre le terrorisme. Comment les conventions fiscales et les investigations financières peuvent-elles contribuer à la lutte ? Pour Amos Zong-Naba, les conventions fiscales peuvent aider à lutter contre le blanchiment des capitaux en ce sens que ces conventions ont pour but aussi de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales. Et selon la loi No. 016-2016/AN du 3 mai 2016 portant lutte contre le financement du terrorisme et le blanchiment des capitaux au Burkina Faso, la fraude fiscale est un cas de blanchiment d’argent. Le blanchiment des capitaux est l’un des canaux utilisés aussi par les terroristes pour se financer. C’est pourquoi toute information fiscale ou tout simplement financière pouvant aider à détecter et à lutter contre les blanchiments est aussi importante pour lutter potentiellement contre le terrorisme.