A l’occasion du mini-Fespaco à BoboDioulasso, une table ronde sur le thème «L’avenir de la diffusion du film africain», a été organisée par le Centre régional des arts vivants, CERAV/Afrique et le CINE GUIMBI à Bobo-Dioulasso, le 9 mars der- nier, dans la salle de réunions du CERAV/ Afrique.
Nous avons eu l’honneur d’être convié à cette table ronde qui a réuni des experts de la culture, du cinéma, des cinéastes ainsi que des journalistes qui, deux heures du- rant, ont épilogué sur ce thème lancinant pour proposer des solutions sur l’épineuse problématique de l’accès des œuvres artis- tiques africaines au public africain.
C’est dans cette quête de perspectives que l’assistance a appris l’existence d’un projet de loi sur le mécénat culturel en gestation au ministère de la Culture du Burkina Faso. Il est facile d’imaginer que les échanges ont été quelque peu houleux sur la définition du concept «mécénat culturel», surtout lorsque la pierre angulaire de ce projet propose de faire de l’État un mécène culturel dans un cadre législatif.
Nous nous sentons interpellé par ce projet du ministère de la Culture de pro- poser une législation sur les mécanismes de financement en faveur de la culture, surtout dans le contexte actuel où apparaît un regain d’attention des plus hautes autorités de l’État pour les activités artistiques et culturelles. Ce regain est marqué clairement par des actes forts de ces trois dernières années avec la création du premier Fonds de développement culturel et touristique et, faits inédits, la décision, en 2018, du chef de l’État, le Président Kaboré, de soutenir la production cinématographique burkinabè pour un montant d’un milliard de francs CFA et d’accorder le même montant à l’organisation de la 26e édition et du cinquantenaire du Fespaco. L’espoir de tous les créateurs et des acteurs culturels est que ces actions soient consolidées dans la durée et ne soient pas comme un simple feu de paille.
L’idée donc de légiférer sur les mécanismes de financement pérenne du secteur de la culture pour les inscrire dans le marbre se présente donc comme légitime et celle sur le mécénat culturel s’inscrit, me semble-t-il, dans cette logique.
Cependant, il me semble qu’il faille éviter les amalgames et rester dans une dé- marche républicaine et du respect des principes de la bonne gouvernance.
D’entrée de jeu, il faut saluer le courage du président du Faso et de son gouverne- ment pour l’attention particulière portée à la culture et à son financement. Mais il faut aussi dire que les décisions de financement du président du Faso ne sont pas du mécénat culturel, mais relèvent plutôt d’une grande volonté politique qui est en phase avec sa vision politique inscrite dans le Programme national de développement économique et social (PNDES).
Dans les lignes qui suivent et sans mini- miser cet engagement fort du président du Faso pour la culture, nous allons tenter de cerner ce que recouvre le concept de «mécénat culturel» et pourquoi il est risqué de le considérer comme une action de mécénat culturel d’Etat.
Parler du mécénat culturel, c’est intervenir dans le champ des mécanismes du financement de la culture, c’est-à-dire de l’économie de la culture, toute chose qui requiert des connaissances à la fois historiques, juridiques et fiscales pour son traitement. En la matière, la production intellectuelle et législative de notre pays sur ce concept est très pauvre. Au niveau législatif, seul le Code de la publicité de 2001 en a fait cas pour la première fois au Burkina Faso.
Ce Code est régi par la loi n°025-2001 du 25 octobre 2001 qui tente, en son article 61, une définition du mécénat en ces termes: «Toutes contributions de personnes physiques ou morales afin de promouvoir et de financer des activités culturelles, sportives, artistiques ou scientifiques constituent une opération de mécénat».
Pour nous, cette définition est trop large pour aborder techniquement le mécénat culturel.
Pour comprendre le mécénat culturel, il faut le lier à l’essor des musées en Europe puis au Canada et ensuite aux États-Unis avec la Révolution industrielle du 19e siècle et son impact sur le développement industriel et économique. C’est le tournant important du mécénat qui a donné tout son sens au mécénat culturel par l’émergence de donateurs, non plus politiques (le roi ou le prince), mais des entreprises et individus fortunés. Car, il est vrai que les premiers mécènes de l’histoire sont à recruter dans les cours royales et dans les palais. Le mot mécène est d’ailleurs tiré du nom de Caius Cilnius Mæcenas ou Mécène (69-8 av. J.-C), homme politique romain et grand ami de l’empereur Auguste reconnu pour son engagement dans la promotion des arts et des lettres. Plus tard, c’est en France que Louis XIV monopolise le financement des arts et des lettres en instituant le mécénat royal au 17e siècle. Le mécénat culturel originel est donc intimement lié à l’empereur, au roi et au prince, jusqu’à la révolution industrielle.
Dans son article Les collectionneurs d’œuvres d’art et la donation au musée à la fin du XIXe siècle: l’exemple du Musée du Louvre, Véronique Long souligne que les legs des collectionneurs «illustrent la recherche de légitimations sociales et d’utilisation de la fortune autre qu’économique, financière ou mondaine». C’est de là que se situe la définition du mécène qui est, comme l’indique Julie Buduroi, une personne fortunée qui, par souci de favoriser le développement des lettres, des arts et des sciences, aide ceux qui les cultivent en leur procurant des moyens financiers ou des travaux, éventuellement en instituant et finançant des prix».
Cette définition est affinée juridique- ment dans l’arrêté du ministère français de la Culture du 6 janvier 1989 relatif à la terminologie économique et financière du mécénat comme «le soutien matériel ap- porté, sans contrepartie directe de la part du bénéficiaire, à une œuvre ou à une personne pour l’exercice d’activités présentant un intérêt général».
Le dictionnaire des politiques culturelles françaises (Larousse/CNRS, Mars 2001, af- firme que «Si les notions centrales de cette définition, – soutien, absence de contreparties et intérêt général -, conservent toute leur valeur, le développement du mécénat en France doit beaucoup aux mesures incitatives apportées par la loi du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations, et à ses avancées successives. Il se traduit par le versement d’un don (en numéraire, en nature ou en compétence) à un organisme pour soutenir une œuvre d’intérêt général. Si le bénéficiaire est éligible au mécénat déductible, le don ouvre droit, pour les donateurs (entreprises et particuliers), à certains avantages fiscaux».
A la lumière de tout ceci, il me semble que le terme «l’État premier mécène culturel» doit donc être compris comme une figure de style pour démontrer la volonté politique de l’État à soutenir le développe- ment culturel. Le Burkina Faso est considéré, à juste raison, comme un des pays africains pour qui la culture est un secteur important pour son économie. Cela s’est traduit dès les années 70 où le pays s’est engagé dans une politique nationale volontariste pour la culture qui, soutenue par le tandem État /Secteur associatif non étatique, a contribué à faire du Burkina Faso un carrefour de grandes rencontres culturelles d’envergure internationale, autour du cinéma et du théâtre essentiellement et dont le Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou (FESPACO) est l’exemple le plus emblématique.
Après les crises des années 1990-2000, le pays tente de renouer avec cette «principale carte de visite internationale», en changeant de cap pour prendre en compte figure de style pour démontrer la volonté politique de l’État à soutenir le développe- ment culturel. Le Burkina Faso est considéré, à juste raison, comme un des pays africains pour qui la culture est un secteur important pour son économie. Cela s’est traduit dès les années 70 où le pays s’est engagé dans une politique nationale volontariste pour la culture qui, soutenue par le tandem État /Secteur associatif non-étatique, a contribué à faire du Burkina Faso un carrefour de grandes rencontres culturelles d’envergure internationale, autour du cinéma et du théâtre essentiellement et dont le Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou (FESPACO) est l’exemple le plus emblématique.
Après les crises des années 1990-2000, le pays tente de renouer avec cette «principale carte de visite internationale», en changeant de cap pour prendre en compte Burkina Faso». La culture au Burkina Faso est un secteur économique à part entière et renforcée par l’adoption du concept d’indus- trie culturelle et créative. Toute chose qui nécessite et oblige pour le secteur culture des investissements et des financements aussi bien publics que privés au même titre, sinon plus, que tous les autres pans de l’économie pour lui permettre d’atteindre les résultats assignés dans le PNDES.
En investissant dans la culture, l’État est dans son rôle, et ne peut être mécène.
L’État ne peut être mécène non plus si l’on considère les implications fiscales du mécénat et la définition même de la fiscalité, qui font que l’État ne peut lui-même bénéficié des avantages fiscaux. La fiscalité est bel et bien cet instrument par lequel les administrations publiques (l’État) soumettent une personne morale ou physique à un impôt, une taxe, une contribution ou encore une cotisation sociale. Il est important de rappe- ler que le « milliard présidentiel » a été géré selon la gouvernance du pays, à savoir par le ministère de la Culture, tutelle du cinéma.
Cependant, l’État lui-même peut être un bénéficiaire de don comparable au mécénat pour renforcer ses interventions. D’ailleurs, c’est ce qui se passe avec plusieurs accords de financement des organisations internationales telles que l’Association internationale pour le développement (IDA), pour la construction du Centre national des arts, du spectacle et de l’audiovisuel (CENASA) et plus récemment, l’Union européenne pour le financement important accordé aux différentes éditions du FESPACO et pour les 10 millions d’euros accordés au programme d’appui aux industries créatives et à la gouvernance de la culture du Burkina Faso.
Inopportun et anachronique
UNE loi sur le mécénat culturel au Burkina Faso pourrait être la bienve- nue mais elle devra bien indiquer la chaîne des valeurs où les parties prenantes sont situées dans leur place et rôle.
L’État, les établissements culturels publics, les collectivités territoriales, les associations culturelles, les artistes, d’une part, et d’autre part, les entreprises privées à travers leurs fondations évoluant dans les secteurs de la téléphonie, du pétrole, des mines, des banques) ou parapubliques (ONEA, SONABHY…), les individus fortunés de ce pays (Opérateurs économiques) et l’administra- tion fiscale. Il nous semble que la loi 008-2017 adoptée le 23 janvier 2017 offre l’arsenal juridique indiqué pour l’encadrement du mécénat culturel en dotant le Burkina d’un référentiel législatif propre aux fondations, structures se distinguant des associations par leur mode de fonctionnement et de financement.
C’est pourquoi, un projet de loi sur le mécénat culturel étatique au Burkina Faso, un pays de démocratie, est inopportun et anachronique.