Ce lundi matin-là, lorsque nous avons fait sa connaissance, nous avons tout de suite réalisé que Mahamoudou Zi est de ceux qui ont toujours une anecdote à raconter. En effet, des histoires, il en a vécu, surtout depuis le moment où il a décidé d’abandonner l’école, après la classe de seconde, pour se consacrer à la production de briques, un métier qui, selon certains, ne nourrit pas son homme. Le jeune garçon de l’époque a renoncé à faire des études pour donner cette chance à ces jeunes frères, d’autant plus que son géniteur a mis au monde une trentaine d’enfants.
«Un homme dynamique et responsable»
Au départ, son entourage a eu du mal à accepter sa décision. «Comment peux-tu laisser les bancs pour devenir un ouvrier?» C’est l’un des reproches qu’il a très souvent entendus. Des propos qui n’auront aucune incidence sur le « vingtenaire » qu’il était, car l’amour qu’il avait pour la terre était plus fort que tout. Et Dieu faisant bien les choses, le jeune homme va tomber sur un bon samaritain du nom de Jean Marie Lacroix. Arrivé au Burkina il y a trente ans, le Belge évoluait dans une société d’import-export. Plus tard, il décide de se concentrer sur deux domaines principaux: la production de matériaux locaux et une entreprise de nettoyage de sésame pour l’exportation. «Zi faisait partie de nos employés et très vite, il a fait preuve de grandes qualités de dynamisme et de responsabilité. Il a gravi plusieurs échelons jusqu’à devenir le gérant au niveau de la fabrication des matériaux locaux», nous a expliqué l’homme d’affaires.
Voyant son talent en la matière, il convainc son protégé qu’il peut véritablement gagner correctement sa vie dans ce domaine. Celui qui continuait alors à passer les concours de la Fonction publique décide alors de s’inscrire à l’Institut international de l’eau et de l’environnement (2ie) pour se former à la production et à la mise en œuvre des matériaux locaux de manière générale. Jean Marie Lacroix lui facilite l’acquisition des machines et Zi reprend à son compte la première branche de la société pendant que son bienfaiteur se penche sur le nettoyage du sésame destiné à l’exportation. En 1996, la société «Établissement Zi Mahamoudou» voit le jour et petit à petit, l’oiseau fait son nid. Avec le temps, le jeune entrepreneur décide de prendre un nom commercial à travers la dénomination «Zi matériaux».
Il occupe deux hectares et demi d’une propriété qui se trouve à douze kilomètres sur la route de Ziniaré. C’est non loin de là d’ailleurs qu’il a acheté une carrière d’où il extrait la latérite dont il a besoin. Aujourd’hui, il dispose de plusieurs «show-room» dans la ville de Ouagadougou, d’un bureau sur la route de Komsilga et est en partenariat avec plusieurs revendeurs. «J’ai treize employés déclarés et environ soixante-dix occasionnels. On sous- traite avec des tacherons et des ouvriers qu’on a formés (lire encadré 2)», nous a-t-il expliqué avant de conclure: «Nous travaillons avec une centaine de personnes au moins». Les produits Zi matériaux ont acquis une grande renommée au Niger, au Togo et au Mali. Ses ouvriers se rendent même sur place pour procéder à la construction car, comme il l’a dit, «une bonne tuile sur une mauvaise charpente donne une mauvaise toiture».
Fier de payer ses impôts
Fier de s’acquitter de son devoir fiscal, notre hôte, qui nous a fait visiter son site, a déclaré qu’en 2012, l’entreprise avait été obligée d’aller en régime réel parce que le chiffre d’affaires était trop élevé. «En 96, quand je suis allé pour demander le régime simplifié, c’est à peine si on ne m’a pas ri au nez parce que je suis un fabricant de briques», s’est-il remémoré, le sourire aux lèvres.
S’il y a un point sur lequel son entourage est d’accord, c’est bien le fait que Zi est apprécié pour son abnégation au travail et il est présenté comme étant celui qui met toujours la main à la pâte. «Je suis très content. L’entreprise se développe et pour moi, c’est une satisfaction d’avoir été à l’origine de cette activité. Voir la société prendre de l’ampleur sous la direction de ce garçon, c’est une fierté pour moi», a déclaré Jean Marie Lacroix. Même son de cloche chez Bruno Kaboré, camarade de classe de Zi.
Inspiré par son ami d’enfance, il décide de le suivre et de mettre, lui aussi, son talent en exergue, même si les débuts n’ont pas été faciles. «Nos parents ne pouvaient pas comprendre pourquoi on a choisi ce métier. Aujourd’hui, ils sont surpris de voir ce qu’on est devenu», a confié celui qui est maintenant le chef du personnel et le Contrôleur général des matériaux en termes de qualité.
Mahamoudou Zi a permis à plusieurs jeunes d’apprendre le métier. Beaucoup volent de leurs propres ailes et certains travaillent encore pour lui. C’est le cas, par exemple, d’Oumarou Dipama, responsable de la production des pavés et tuiles. Âgé de quarante ans, c’est en 2002 qu’il est entré dans l’entreprise. C’est grâce à ce travail qu’il a pu former une famille. «J’arrive à subvenir aux besoins des miens, j’ai une moto, une maison dans un non-loti», a fièrement énuméré le père de trois enfants.
«Les matériaux en terre ne sont pas réservés aux pauvres»
Aujourd’hui encore, les producteurs de matériaux locaux sont confrontés à des difficultés liées surtout à l’acceptation des gens. En effet, tous ceux qui ont un minimum vital croient que c’est pour les pauvres. «C’est une mentalité qu’on essaie de changer. Même les professionnels du secteur, les architectes et les ingénieurs ne voulaient pas entendre parler de ça. Ils étaient trop centrés sur les matériaux classiques», a indiqué notre hôte. Il va relever aussi le manque d’engagement fort de la part des autorités pour lancer ce secteur. Néanmoins, il estime que les mentalités sont en train de changer.
A la question de savoir comment il a su résister alors que beaucoup qui ont commencé en même temps que lui ont dû fermer boutique à un moment donné, notre interlocuteur est catégorique: «Dans un travail, il y a le savoir-faire et la personnalité. Nous, on a eu une conscience professionnelle. Il faut se dire que la personne qu’on a en face a cru en nous et en ce que nous faisons. On ne doit pas le décevoir. Malheureusement, beaucoup ne voyaient que le côté financier. Pourtant, ici, ce n’est pas comme les constructions classiques où on crépit et on met de l’enduit pour masquer les éventuelles imperfections.
Chez nous, l’ouvrage va parler s’il y a un problème et on le saura. C’est ce que beaucoup ont oublié.
Quand on n’est pas honnête, on peut monter vite mais ça ne dure pas. En termes de perspectives, le gérant de la société n’a pas tourné autour du pot: «Rehausser la qualité, développer d’autres produits à base de matériaux locaux et nous délocaliser dans d’autres parties du pays». Son objectif c’est faire en sorte que les produits soient disponibles dans toutes les communes du pays en permettant aux jeunes de ces localités de s’installer à leur compte et d’être assez compétitifs pour satisfaire le besoin.
Z.S.
Pourquoi construire en matériaux locaux
Que faut-il entendre par matériaux locaux ? Voilà une question que beaucoup doivent être en train de se poser. Selon Mahamoudou Zi, ce sont des produits composés principalement de la terre. Le ciment est utilisé mais en très faible proportion, en plus bien sûr d’autres produits. «Si on prend, par exemple, les ouvrages en terre stabilisée, ce sont les matériaux que nos parents utilisaient qui ont simplement connu quelques innovations. Au cours de ces dernières années, ils ont été étudiés par de grandes entreprises pour améliorer l’habitat en terre en rehaussant la qualité des briques. De plus en plus, nous proposons aux gens des produits plus solides, plus résistants et comprenant la caractéristique isolant thermique», a précisé notre interlocuteur, ajoutant: «La terre est un très bon isolant. C’est le cas du banco. Si vous utilisez ces éléments, vous économisez sur tous les niveaux. Il y a d’abord l’isolation thermique de la maison qui est très importante par rapport aux matériaux classiques. Il y a le confort du bâtiment, l’esthétique et la durabilité. La personne n’aura pas à entretenir la construction. L’économie d’énergie aussi est non négligeable».
Selon les explications de l’expert, il y a d’autres avantages liés à l’environnement, car il y a moins de CO2 qui est dégagé. De plus, c’est un secteur qui demande de la main d’œuvre sur toute la chaîne, donc un secteur pourvoyeur d’emploi. Selon les estimations, les blocs unitaires peuvent sembler chers mais en termes de finition, c’est une bonne affaire.