Avec une production moyenne de 600.000 tonnes de coton-graine par an, presque intégralement destinée à l’international, le coton est le principal bien d’exportation du Burkina Faso après l’or. Grâce à ces sociétés cotonnières, la filière organise la production du petit champ de l’agriculteur local jusqu’à la vente aux traders internationaux. Comptant pour environ 10% du commerce extérieur, l’or blanc fait vivre, directement et indirectement, environ 4 millions de personnes, selon les chiffres du CERFODES (Centre d’études, de recherches et de formation pour le développement économique et social). Mais le prix à payer est lourd.
Si dans ce système bien rodé, les paysans en sont les perdants, une autre couche de la population, la plus fragile, subit les conséquences de cette ruée vers l’or blanc. Activité pénible et dangereuse, en raison des accidents et de l’exposition aux pesticides, le coton nuit à la santé des agriculteurs. Pire: sa forte intensité en main d’œuvre se traduit par une large mobilisation de bras, souvent ceux d’enfants. Et ce sont ces enfants qui paient un lourd tribut en matière scolaire et sanitaire.
«J’ai commencé à travailler aux champs à l’âge de cinq ans. Je sème, je laboure et je récolte le maïs, le coton et le sésame. Travailler quand on est petit est très difficile, car nous sommes à la fin de la journée très fatigués. Moi, j’ai été piquée par un scorpion quand j’avais dix ans parce qu’on travaille dans les champs sans chaussures. J’ai eu tellement mal que je croyais que j’allais avoir des séquelles au pied. Une de nos cousines s’est fait mordre par un serpent. Le temps de la transporter au centre médical le plus proche d’ici, elle est décédée. Mais aucun enfant ne peut refuser de travailler pour ses parents, car c’est ce qui nous nourrit, nous habille et paye nos frais de scolarité. Je veux continuer d’aider mes parents. Moi, je recommande à tous les parents qu’ils mettent à notre disposition des moyens de protection», ce témoignage est de Monique O. 14 ans. Cela fait 9 ans qu’elle est confrontée à la réalité du travail dans les champs de coton.
Et Monique n’est malheureusement pas la seule. Selon des études de CERFODES, publiées en janvier 2019, au moins 200.000 enfants, âgés de 5 à 17 ans, travaillent dans la culture du coton au Burkina Faso, soit un enfant sur cinq dans les zones cotonnières.
Actifs dans l’ensemble des étapes de la production, ils sarclent, labourent, sèment, épandent engrais et pesticides et récoltent. C’est lors de cette dernière étape qui a lieu entre octobre et novembre qu’ils sont le plus sollicités, car il s’agit de la phase la plus intensive en matière de main d’œuvre.Les journées sont longues: les enfants commencent en général à 7h, et travaillent entre 9 et 10 heures par jour, parfois plus. Certains enfants travaillent dans les champs pour soutenir leurs parents ou la famille qui n’ont pas les moyens d’embaucher du personnel. Ceux qui sont rémunérés reçoivent entre 500 et 700 francs CFA par jour.
Aminata, jeune fille de 15 ans, relate comment elle s’est retrouvée à travailler dans les champs.
«Depuis le décès de mes parents, je suis très malheureuse. J’ai dû abandonner l’école pour travailler et pouvoir soutenir et nourrir mes frères et sœurs. Les champs de coton sont souvent des endroits où je vais et je ne manque pas aussi d’aller sur les sites aurifères. Entre le travail dans les champs de coton et celui des sites aurifères, il n’y a pas de différence dans la souffrance et l’exploitation des enfants. Dans les champs de coton, je travaille en contractuelle où mes gains vont de 750 FCFA à 1.500 FCFA par jour. Mes journées de travail commencent au lever du soleil, vers 7h, et nous retournons au village vers 18h au coucher du soleil. Le peu d’argent que je gagne avec les petits boulots me permet de soutenir l’école de mes petits frères et surtout de leur donner à manger. Je suis devenue leur espoir».
De lourds impacts sur la santé…
Activité laborieuse où les accidents sont nombreux, le travail agricole fait partie des secteurs économiques les plus dangereux, aux côtés de la construction et de l’exploitation minière, selon l’OIT. La présence des enfants dans les champs de coton est particulièrement problématique pour leur développement. Les trois quarts des enfants interrogés se plaignent d’une fatigue intense. Certains enfants prennent des stimulants afin de supporter la pénibilité du travail, mais qui ont des impacts négatifs. C’est le cas de Nafi, 16 ans, qui prend, chaque matin, un produit qu’elle appelle «tout-puissant»: «J’en ai vraiment marre de prendre des médicaments pour travailler et de me retrouver quasiment chaque nuit avec des insomnies».
La grande majorité des enfants sont confrontés à des problèmes de santé. En premier lieu, viennent les blessures liées à la manipulation d’outils dangereux, tels le daba, la houe manga et le coupe-coupe. Les piqûres de scorpions et morsures de serpents constituent aussi un risque de blessures graves aux conséquences lourdes. Peut-être plus inquiétants encore sont les symptômes tels que l’irruption cutanée, les problèmes respiratoires ou les maux d’yeux. Les causes sont très certainement à chercher dans la manipulation d’engrais chimiques et de pesticides aux noms évocateurs: Action 80, Attakan, Grand Super, Caïman, Poison. Le plus souvent utilisés sans protection, ils constituent un enjeu sanitaire majeur.
…et la scolarisation
Le Burkina Faso a réalisé, ces dernières années, d’importants progrès en termes de scolarisation des enfants. Malheureusement, un grand nombre d’entre eux doit toujours concilier activité professionnelle et école. Beaucoup avouent ne pas être en mesure d’étudier correctement ou se plaignent de la fatigue résultant du cumul des deux activités. Un problème particulièrement prégnant chez les enfants travaillant dans les champs de coton. A l’image de Noumontié, 16 ans: «Je m’efforce de bien travailler à l’école, même si je sais qu’il n’est pas facile d’être parmi les meilleurs en ayant autant de travaux domestiques et champêtres ». Statistiquement, les études confirment que le fait de travailler impacte négativement la capacité à suivre l’école : si le taux de fréquentation scolaire atteint près de 90% chez les enfants qui ne travaillent pas (entre 12 et 16 ans), il baisse à 70% chez les enfants obligés de travailler.
Les moins chanceux se retrouvent complètement déscolarisés. Issus de famille particulièrement pauvres ou à la suite du décès des parents, ils sont obligés de travailler pour subvenir à leurs besoins et parfois à ceux de leur entourage. Aminata, 15 ans, explique crûment cette réalité: «Depuis le décès de mes parents, j’ai dû abandonner l’école pour travailler et pouvoir soutenir et nourrir mes frères et sœurs. Je suis devenue leur espoir». Des enfants sans formation, sur lesquels se ferme la trappe à pauvreté.
ESS
Premières études statistiques
L’utilisation intensive d’une main d’œuvre infantile dans la culture du coton est bien connue au Burkina Faso, mais il manquait une enquête statistique récente pour mieux comprendre l’évolution du phénomène. Une première étape pour documenter le phénomène a été réalisée par l’Institut de recherche burkinabè CERFODES, qui combine analyse quantitative et qualitative. Réalisée en 2017, elle a été complétée par une seconde étude, financée par l’Organisation internationale du travail (OIT) et la Banque mondiale, publiée à l’été 2018.