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Tarifs industriels et domestiques de l’électricité dans les pays de la CEDEAO et de l’UE

Le tarif d’électricité est un instrument majeur de politique économique qu’il convient de manier avec précaution. Il doit remplir trois fonctions essentielles, à savoir la fonction politique et stratégique, la fonction financière et la fonction économique et sociale.
En effet, le tarif d’électricité, dans sa fonction politique et stratégique, est un message économique adressé aux clients en vue de leur permettre d’adopter un comportement responsable qui leur soit profitable et allant dans le sens de l’intérêt collectif. Ce souci devrait se traduire par la construction d’une structure tarifaire simple et claire permettant à chacun de savoir comment maximiser son intérêt.
Dans sa fonction financière, le tarif d’électricité détermine l’essentiel des recettes d’une société d’électricité. Son adéquation avec les contraintes et les engagements financiers est une condition nécessaire pour assurer l’autonomie financière de la société, voire son efficacité et sa viabilité.
Enfin, dans sa fonction économique et sociale, la fixation des tarifs dépasse généralement la compétence des sociétés d’électricité, et les gouvernements sont souvent tentés de les utiliser pour accompagner des politiques industrielles ou opérer des redistributions de revenus. Cette utilisation des tarifs est parfaitement légitime, mais il faut que ses conséquences économiques et financières soient complètement évaluées et assumées.
Une politique tarifaire peut aisément concilier les fonctions financière, politique et stratégique. Par contre, l’inéluctable contradiction entre ces fonctions et la fonction sociale et économique nécessite généralement un compromis à l’issue duquel certaines catégories acceptent ou tolèrent de supporter le manque à gagner induit par les avantages accordés à d’autres catégories.
Le présent article fait une analyse comparative des tarifs d’électricité pratiqués dans les 15 pays de la CEDEAO et dans les 28 pays de l’UE.
Les tarifs présentés dans cet écrit n’incluent pas les impôts et taxes pratiqués dans les deux espaces. Ce choix est dû à la non-disponibilité d’informations fiables sur les impôts et taxes pratiqués sur les ventes d’électricité dans l’espace CEDEAO. Pourtant, le montant des impôts et taxes n’est pas négligeable dans le tarif payé par les usagers. Il représente 67,8%, 53,6% et 47,3% du tarif payé par les ménages au Danemark, en Allemagne et au Portugal, respectivement. Dans l’espace CEDEAO, il couvre la TVA, les prélèvements destinés à financer l’électrification rurale, les activités audiovisuelles et même des activités sans lien direct avec l’électricité (enlèvement d’ordures en Côte d’Ivoire). Dans l’EU, le poids moyen des impôts et taxes est de 29,1% ; alors qu’il est d’environ 22% dans l’espace CEDEAO.
Les unités monétaires des pays étudiés ont été converties en Dollar des Etats-Unis d’Amérique (USD) pour mieux faire les comparaisons.

1- Résultat de l’analyse des tarifs domestiques
Relativement aux tarifs appliqués aux ménages, le graphique suivant permet de voir que l’espace CEDEAO (histogrammes en bleu) propose les 2 tarifs les plus bas (Guinée et Nigeria), mais aussi les 4 tarifs les plus hauts (Libéria, Guinée Bissau, Cap-Vert et Mali). Parmi les 30 pays pratiquant les tarifs les plus faibles sur les 43 étudiés, seul 6 (Guinée, Nigeria, Côte d’Ivoire, Ghana, Sierra Leone et Niger) sont en Afrique de l’Ouest.


En moyenne arithmétique simple, les tarifs appliqués aux ménages dans l’espace CEDEAO sont de 18,52 cents USD, contre 13,66 dans l’UE. L’écart moyen entre les tarifs de la CEDEAO est de 9,10 cents USD, contre 3,12 cents USD pour l’UE. La variation des tarifs est plus forte dans l’espace CEDEAO.
Cependant, cette comparaison, en valeur absolue ne permet pas d’apprécier la capacité des ménages à s’offrir les services de l’électricité, vu qu’elle est déconnectée du revenu. Pour y remédier, une analyse croisée avec Revenu national brut (RNB) a été faite. Comme l’indique le graphique suivant, le niveau des tarifs dans l’EU (points verts) est globalement croisant avec le revenu. Cette tendance n’est pas observée dans l’espace CEDEAO (points bleu).


Pour mieux affiner l’analyse, la quantité d’énergie qu’un ménage d’un pays peut s’offrir avec son RNB a été calculée. Cette analyse permet de voir qu’au Libéria, par exemple, pour consommer 975 kWh par an, un ménage de la classe moyenne dépenserait 100% de son revenu ; tandis qu’il ne dépenserait que 0,21% de son revenu au Luxembourg. Le graphique suivant présente la situation de l’ensemble des 43 pays étudiés.


Cette analyse permet de ressortir clairement que l’électricité revient relativement plus chère dans l’espace CEDEAO que dans l’UE, quel que soit le pays considéré. Un ménage de l’EU pourrait s’offrir plus d’énergie qu’un ménage de la CEDEAO, au regard de leurs revenus et des tarifs pratiqués.

2- Résultat de l’analyse des tarifs industriels
Relativement aux tarifs appliqués aux industriels, le graphique suivant permet de voir que l’espace CEDEAO propose des tarifs nettement plus élevés que l’EU. Seul le Nigeria (en huitième position) figure parmi les 23 pays pratiquant les tarifs les plus faibles dans les deux espaces. Les 7 pays pratiquant les tarifs industriels les plus élevés sont tous de l’espace CEDEAO.

En moyenne arithmétique simple, les tarifs appliqués aux industriels dans l’espace CEDEAO sont de 17,70 cents USD, contre 9,44 dans l’UE. L’écart moyen entre les tarifs de la CEDEAO est de 7,17 cents USD, contre 2,12 cents USD pour l’UE. La variation des tarifs est plus forte dans l’espace CEDEAO.
Les pays de l’UE pratiquent clairement une politique tarifaire de soutien à l’industrie, avec des tarifs industriels deux fois plus faibles que les tarifs domestiques, comme l’illustre le graphique suivant. Dans plus de la moitié des pays de la CEDEAO, le niveau des tarifs industriels est relativement plus élevé que celui des ménages.


Dans l’UE, seule la Malte pratique un tarif industriel relativement plus élevé que le tarif domestique.

3- Raisons des tarifs élevés dans l’espace CEDEAO
Les sociétés d’électricité dans l’UE proposent des tarifs plus bas et arrivent pour la plupart à avoir une situation financière équilibrée sans subvention de l’Etat. Paradoxalement, les sociétés d’électricité de la CEDEAO proposent des tarifs plus élevés sans pour autant être en mesure d’avoir une situation financière équilibrée, malgré les importantes subventions apportées par les Etats.
Cette situation peut s’expliquer par la composition du bouquet énergétique, la faible densité des réseaux (interconnexion embryonnaire), le niveau élevé de pertes techniques et non-techniques, la faible optimisation dans l’exploitation et le mauvais dimensionnement des ouvrages électriques.

Conclusion
Les tarifs domestiques et industriels dans les pays de la CEDEAO sont plus élevés que ceux de l’UE. Dans l’espace EU, la politique tarifaire est clairement axée sur la promotion des industries ; les ménages assumant un coût du kWh plus élevé.
Cette stratégie est mitigée dans l’espace CEDEAO où les industriels supportent quasiment le même tarif que les ménages. Les tarifs industriels demeurent très élevés dans les pays d’Afrique de l’Ouest et ne permettent pas aux industries d’être compétitives.
Pourtant, des pays comme le Nigeria, la Guinée, la Côte d’Ivoire et le Ghana disposent d’un potentiel immense dont l’exploitation, dans un contexte d’interconnexion des systèmes électriques, pourrait permettre de réduire les tarifs de l’électricité pour les porter à des niveaux raisonnables.

Souleymane Ouédraogo
Ingénieur-statisticien-économiste-financier


  1. Les grilles tarifaires de certains pays ne présentent pas de façon exhaustives les impôts et taxes pratiqués dans le secteur.
  2. Données de quelques pays
  3. Ces points ont fait l’objet d’une autre publication : Comment réduire les tarifs d’électricité dans l’espace CEDEAO ?
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