Les élections aux USA peuvent paraitre comme un éternel recommencement. Tous les deux ans, des machines politiques organisées se remettent en position pour assister ou faire élire qui un sénateur, un membre de la Chambre des représentants, un gouverneur, un procureur, un sheriff, un maire, un procureur, ou pour procéder à une consultation pour légaliser la vente de cannabis, baisser des taxes locales ou permettre l’euthanasie, selon les États. Un mélange de démocratie directe, locale et nationale refait surface avec ses débats, ses caucus télévisés, ses spots publicitaires et ses inévitables tripatouillages relatifs aux découpages de circonscriptions ou de rejets d’électeurs potentiellement indésirables. En fait, les confrontations de cette année reflètent une forte polarisation, avec une importante présence féminine en candidatures pour un vote de colère et de protestation, s’apparentant davantage à un referendum qui ne dit pas son nom ; pour ou contre le chef de l’exécutif en place certes disposant de solides soutiens, mais également objet de nombreuses controverses.
Test essentiel
Un scrutin qui intervient au moment où une société américaine se pose, non sans colère, des questions sur la coupure qu’elle connait depuis la dernière décennie et qui semble s’exacerber, souvent amplifiée ici ou là par les propos des politiciens aux commandes et relayés par des médias en continu. Aussi, les résultats des élections de l’actuel mi-mandat, le mardi 6 novembre, sont jugés relativement cruciaux pour le devenir d’une grande démocratie jusque-là donnée en modèle, comme pour le reste d’une partie de la planète qui en suit l’évolution, non sans crainte d’éventuels dérapages pouvant survenir à tout instant. La future composition des deux chambres du Congrès, seules habilitées à faire et à défaire les lois de l’Union, actuellement dominées par les Républicains, sera un test essentiel pour indiquer l’orientation générale à venir des législateurs qui seront en charge de la politique au jour le jour de cette superpuissance. D’aucuns avancent qu’une telle emprise serait remise en question, en particulier pour la Chambre des représentants qui doit être renouvelée intégralement tous les deux ans comme chacun sait, en vertu des dispositions constitutionnelles. Le pronostic demeure plus réservé quant au remplacement des trente-cinq membres sortants de la chambre haute, le Sénat ; l’issue du scrutin étant jugée relativement serrée par les derniers sondages des grandes chaines américaines, compte tenu des États concernés et de la diversité des situations interdisant toute extrapolation.
Le réel contre-pouvoir instauré par les pères fondateurs
Si la fonction exercée par ces deux chambres est stratégique dans la confection des lois d’abord, elle l’est aussi dans la nomination ou la destitution des officiels fédéraux en cas d’infractions constatées, comme dans le cas de la dernière en date ; celle évitée de justesse par le président Clinton dans la tristement célèbre histoire Monica Lewinsky. C’est illustrer le réel contre-pouvoir instauré par les pères fondateurs, contrebalançant celui d’une présidence élue également au suffrage universel aux termes des stipulations de la Constitution ratifiée par les États en 1787, et dont l’objectif est d’asseoir un gouvernement démocratique pour l’Union. Ces élections ont lieu dans un contexte économique relativement favorable à l’équipe actuellement en charge du gouvernement du pays, marqué par un réel plein emploi qui semble durer depuis quelques années déjà, ainsi qu’une baisse de la fiscalité votée par le Congrès l’année dernière et qui constitua la première victoire de la nouvelle administration ; la seconde devait concerner une désignation fort controversée et contestée d’un juge à la Cour suprême de la fédération. Comme de coutume, quelques confrontations se déroulant dans un certain nombre d’États et constitueront autant de marqueurs des nouvelles tendances politiques à travers le vaste territoire de l’Union par la nature de leurs résultats et expliquent les déplacements incessants d’un président sillonnant le pays dans tous les sens ; plaidant sa cause à sa manière.
Il en sera ainsi, par exemple, du Texas longtemps républicain pour un poste de sénateur convoité par un démocrate contre un sortant, Ted Cruz, un ancien candidat à la présidence en 2016. Il en est de même de quelques postes de gouverneur, comme en Géorgie, en Floride ou au Vermont. Dans le premier cas, il s’agit d’une afro-américaine démocrate qui veut conquérir le poste dans un État historiquement républicain ; un autre afro-américain démocrate est en course en Floride, un autre État fief républicain et riche. L’autre cas intéressant, un peu provocateur, est celui d’un transgenre démocrate qui se présente contre le gouverneur républicain sortant dans un petit Etat. Ceci n’empêche pas que plusieurs afro-américains à la recherche d’emplois qui soutiennent l’administration républicaine, nuançant la version lancée un peu vite voulant que tout afro-américain vote démocrate. Selon de nombreux observateurs, une partie des classes laborieuses, toutes ethnies confondues, semble éprouver une aversion pour les carriéristes politiques de tous bords, les associant au fameux establishment exécré, encourageant l’abstention, en particulier dans ce type de scrutins, en dépit du déplacement «des grandes vedettes» comme Oprah Winfrey, appelant les électeurs afro-américains à exercer leur droit de vote. Par ailleurs, contrairement à une coutume de courtoisie et de réserve respectée par les présidents sortants, l’ancien président démocrate, observant non sans frustration les rejets successifs de l’actuelle administration des diverses initiatives et mesures qu’il avait fait adopter, est présent aux principaux meetings électoraux, à défaut de leadership démocrate actuellement. Il n’échappe pas lui-même à la critique d’un bilan social jugé limité au vu de la faible évolution du statut des afro-américains et des latinos lors de ses deux mandats consécutifs. Ainsi, l’assurance-santé adoptée par le Congrès n’est autre que celle confectionnée auparavant par les démocrates, mais sans le label «Obama care» jugé repoussoir. Indéniablement, un climat de violence verbale larvée semble être attisé par les surenchères de propos souvent rapportés par les médias, suscitant par exemple le triste carnage opéré dans une synagogue de Pittsburgh dernièrement, crée manifestement une atmosphère d’insécurité parmi des minorités, notamment religieuses. L’immigration en général continue d’être instrumentalisée, en lien avec la question de la sécurité, par la fraction radicale des Républicains et de rencontrer un écho favorable paradoxalement même parmi les Hispaniques, dans un vaste pays qui a été peuplé par des flux provenant de diverses parties de la planète au cours des deux derniers siècles.
L’Economiste de l’Edition N°5387
La démocratie, encore le moins mauvais des systèmes
Ces élections sont suivies aussi, sinon même plus guettées avec les moyens techniques d’aujourd’hui, un peu partout dans le monde. Le chef d’État américain y a acquis une plus grande célébrité que celle d’un Bush avant lui, depuis la Chine, la Russie jusqu’à l’Union européenne, en passant par l’Iran ou l’Arabie Saoudite ; tant leurs rapports plus ou moins distants ou complexes avec cette hyper-puissance demeureront toujours d’actualité.
Au lendemain des résultats d’une élection qui en a surpris plus d’un, dans un pays-continent comme le Brésil, rappelant certains traits de régimes européens qui s’étaient proclamés ouvertement du fascisme et de ses formes d’organisation (Italie, Hongrie, Espagne, Portugal) au cours des années vingt et trente du siècle dernier, paraissent être de retour comme si de rien n’était ; et une issue des élections américaines favorisant le renforcement des valeurs démocratiques pourrait constituer au moins un signal décourageant, pareilles velléités ici ou là. La démocratie demeure encore le moins mauvais des systèmes de gouvernement.