Qu’est-ce qui différencie scientifiquement un travail de recherche dévolu à la compréhension du mode d’implantation des enseignes de franchises à l’étranger selon qu’il aura été opté pour l’une des deux démarches suivantes? Une équipe de chercheurs A retient une approche multi-secteurs, les principaux secteurs d’activités où s’exerce la franchise et multi-méthodes: exploration qualitative et validation quantitative sur de larges échantillons de réseau. Une équipe de chercheurs B retient une approche exclusivement qualitative en cherchant à donner du sens à la décision d’internationalisation et au choix du mode d’implantation: franchise directe, master franchise, filiale franchisante… à travers des entretiens semi-directifs au sein d’une seule et même organisation. L’équipe A est dans une démarche hypothético-déductive à travers un modèle de recherche défini a priori sur des fondements conceptuels issus de la littérature. Elle recourt, après une phase exploratoire, à des traitements statistiques pour valider (ou infirmer) ses hypothèses. L’équipe A se situe dans un positionnement épistémologique positiviste (voir encadré).
L’équipe B est dans une démarche inductive. Elle considère que le mécanisme décisionnel est naturellement contextuel et que sa compréhension dépend largement de ceux qui l’observent. Seule la compréhension des motivations, attentes, croyances et pratiques des acteurs permet de donner du sens aux décisions prises dans l’organisation. C’est en fait l’étude de cas que l’on utilise dans l’enseignement, sans pour autant se demander si sa spécificité sectorielle ou contextuelle constitue un handicap pédagogique quant à la généralisation des recommandations. L’équipe B se situe dans un positionnement épistémologique constructiviste (voir encadré). Les deux équipes arrivent à des résultats très similaires, le mode d’implantation dominant des enseignes de franchises à l’international se révélant être la master franchise, option citée par l’une comme par l’autre, avec des attributs très proches et un processus décisionnel comparable. On pourrait en conclure que cette catégorisation des positionnements épistémologiques de la recherche, notamment en sciences de gestion, présente un intérêt limité, alors qu’il fait néanmoins encore débat ; l’un, positiviste, se prévalant traditionnellement plus scientifique que l’autre ; constructiviste, par la rigueur de l’outil statistique mis en œuvre et sa légitimité à généraliser ses résultats. L’approche positiviste domine encore très largement la recherche en sciences de gestion. Ce constat s’applique dans les différentes disciplines du domaine, notamment en marketing et subséquemment en distribution/franchise. La franchise s’est affirmée depuis une trentaine d’années comme objet de recherche au cœur de courants académiques centrés sur la rareté des ressources, la théorie des coûts de transaction, la théorie de l’agence et plus généralement sur les apports conceptuels en lien avec la dimension psychosociologique caractéristique d’une relation dyadique. Ces évolutions vers une reconnaissance académique de la franchise et un isomorphisme institutionnel croissant des pratiques ont conduit à la constitution de communautés scientifiques internationales dévolues à la recherche universitaire dans cette spécialité fonctionnelle, ainsi qu’à l’initiation et la mise en œuvre d’un important programme de recherche commanditée de la part de la représentation professionnelle en France. Il existe deux communautés académiques internationales dédiées à la recherche sur la franchise ; l’une d’origine américaine: l’ISoF, The International Society of Franchising, dont la première conférence annuelle s’est tenue en 1986 à Omaha, Nebraska ; l’autre: EMNet, Economics and Management of Networks, d’origine européenne, créée à Vienne en 2003 et dont les champs de recherche incluent toutes les formes de réseaux et partenariats. Ces instances organisent des conférences internationales sur appel à communication, les comités de lecture et publication d’actes. Les travaux produits dans le cadre de ces communautés académiques abordent les différentes dimensions managériales de la franchise en s’inscrivant dans les courants de recherche ; les thèmes étant traités davantage dans un objectif d’avancées scientifiques propres à la production de connaissances qu’à une réponse à des problématiques managériales formulées par la profession. C’est dans ce contexte que la représentation professionnelle française de la franchise, la FFF (Fédération française de la franchise) s’est organisée en 1997 pour favoriser et stimuler une recherche scientifique commanditée par appel d’offres auprès des laboratoires universitaires, dans une perspective plus proactive, proche des questionnements des réseaux. En vingt ans l’instance professionnelle ont ainsi été mobilisés 78 enseignants-chercheurs appartenant à 18 laboratoires universitaires. L’analyse des travaux de recherche commandités par la profession sur la période 1998-2013 indique une démarche s’inscrivant résolument dans un paradigme positiviste (Nègre C., Bennaghmouch S., 2014*). Elle est essentiellement fondée sur un raisonnement de type hypothético-déductif et nombre de présupposés existant dans l’environnement des praticiens de la franchise ont été balayés à la lumière d’hypothèses infirmées. Ainsi, pour chaque problématique, un modèle théorique est construit à partir de l’analyse de la littérature existante, puis testé qualitativement et quantitativement sur de larges échantillons de franchiseurs et franchisés. Les problématiques prennent la forme d’un questionnement formulé par les professionnels, portant sur un ou plusieurs aspects du management des réseaux de franchises. La problématique, soumise aux chercheurs dans le cadre d’un appel annuel d’offres, traduit une préoccupation managériale à laquelle le praticien souhaite voir apporter des éléments de compréhension et une opérationnalisation des résultats via la recherche scientifique. Dans leur grande majorité, les échantillons sont multisectoriels et constitués de franchiseurs, de franchisés ou d’experts. Les réseaux sont différenciés sur des caractéristiques d’âge, de taille, de secteur, de mixité (franchise/succursalisme). Cette approche, caractéristique des méthodes hypothético-déductives en sciences de gestion, a généré de très nombreux résultats utiles à la compréhension des mécanismes propres au management de la franchise. Les thèmes de recherche et les problématiques afférentes présentent des similitudes au regard des dimensions managériales connues de la franchise et peuvent être regroupés en 5 catégories:
– Les stratégies spatiales de développement des réseaux et leurs performances économiques.
– Le processus de formation de la relation de franchise.
– La psychosociologie de la relation de franchises.
– La gestion des savoir-faire dans la franchise.
– Les aspects concurrentiels de la franchise.
Les implications managériales suggèrent des modèles décisionnels. On observe une prépondérance, en fréquences de thèmes, des préoccupations professionnelles centrées sur les stratégies spatiales de développement des réseaux et leurs performances, ainsi que sur la spécificité de la relation de franchise. Qu’elle soit initiée par les instances académiques ou commanditée par la profession, la recherche sur la franchise est donc d’essence positiviste. Elle valide ou infirme des hypothèses managériales et permet ainsi au praticien, franchiseur, master franchisé ou franchisé d’enrichir son processus décisionnel sur des fondements robustes. De nouvelles thématiques de recherche émergent, notamment au regard de l’évolution du parcours client, de la digitalisation des points de vente ou de la gestion des données clients dans un réseau de franchises. Souhaitons en bon usage aux acteurs de la franchise.
L’Economiste/ Edition N°5362
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* Nègre C., Bennaghmouch S., 2014, «Catégorisation d’une recherche commanditée en sciences de gestion: le cas de la franchise de 1998 à 2013», Ecole doctorale du Groupe ISCAE, Colloque international, Recherche en sciences de gestion: Contexte, Benchmark et Nouvelles Tendances, 27 et 28 février 2014 à l’ISCAE, Casablanca, Maroc.