Qu’est-ce que l’Intelligence économique (IE)? Quelle est son utilité pour un Etat, un organisme ou pour une personne physique ? L’intelligence économique renvoie-t-elle à de l’espionnage ? La réponse à toutes ces questions avec le président du Centre africain de veille et d’intelligence économique (CAVIE), responsable du programme Doing Business in Africa à l’école centrale de Paris et également directeur des opérations de Nodis Consulting Group qui est le leader du conseil en intelligence économique et diligence en Afrique subsaharienne. Nous l’avons rencontré à l’occasion d’une session de formation du CAVIE qui a lieu du 9 au 12 octobre, à Ouagadougou, sous le thème «Veille stratégique et intelligence économique sur les marchés africains».
L’Economiste du Faso : Peut-on avoir une définition de ce qu’on attend par «Intelligence économique» ?
Guy Gweth, président du CAVIE : L’intelligence économique, c’est trois choses : c’est d’abord un état d’esprit ; ensuite une politique et enfin un dispositif. L’intelligence économique est mise en place lorsque qu’un Etat ou une entreprise fait face à une concurrence exacerbée. Cela part de la question d’un décideur qui voudrait savoir comment telle ou telle situation a pu survenir sur le marché. Pourquoi il est battu par la concurrence ? Par exemple, dans le cadre de la SN-SOSUCO, pourquoi est-ce qu’on produit 35.000 tonnes de sucre dans ce pays ; alors qu’on a besoin de 120.000 tonnes et que ces 35.000 tonnes ne soient pas consommées au niveau local ? A partir du moment où le décideur se questionne, on met en branle le plan d’intelligence économique qui consiste à collecter l’information qui est utile, à la traiter, à l’analyser et à la transformer à un renseignement économique qui, lui-même, devient un outil d’aide à la décision qui permet in fine au directeur de l’entreprise de comprendre pourquoi la situation qu’il décrit lui arrive, mais aussi et surtout de prendre des décisions concrètes pour changer cette situation.
Quelle est son utilité pour un Etat, un organisme ou tout simplement une personne physique ?
Vous savez qu’aujourd’hui, contrairement à ce qui était en cours pendant les indépendances, la concurrence est très exacerbée sur notre continent. Nos Etats sont même en compétition. Même si l’Afrique, dans son ensemble, est en voie d’émergence, il n’en demeure pas moins que nos Etats se présentent souvent devant les bailleurs de fonds internationaux ensemble, et tout cela nous met en compétition. D’où la nécessité d’avoir des stratégies nationales d’intelligence économique. Quand on descend à l’échelle inférieure, les entreprises sont finalement les plus fouettées par la concurrence qui s’exacerbe, parce qu’en Afrique, nous avons le territoire qui constitue la nouvelle frontière de la croissance mondiale. De ce fait, toutes les entreprises mondiales veulent venir investir sur le continent noir. Or, nous avons un tissu économique local qui est souvent composé de PME et de TTPME (Très très petites moyennes entreprises) qui doivent faire face à la concurrence des multinationales qui viennent de l’extérieur. De ce fait, il faut les outiller; dans une stratégie asymétrie, c’est-à-dire du faible au fort, pour leur montrer les voies par lesquelles «David peut vaincre Goliath». Au niveau des opérateurs économiques et des décideurs et même des opérateurs indépendants, l’intelligence économique est aussi très utile, parce que l’IE aide à renseigner sur un possible partenaire, un fournisseur. Cela aide aussi à anticiper les besoins futurs du marché et les tendances à venir. Aussi, l’IE aide à rassurer la sécurité de son patrimoine informationnel, parce que, de nos jours, tout le monde travaille avec les outils issus des TIC. Si on peut vous envoyer une pièce jointe et pouvoir accéder au contenu de votre ordinateur, vous voyez le danger que vous courez ? En résumé, on se retrouve avec une IE à trois dimensions : un aspect défensif, pour défendre son marché, ses parts de marché, défendre son patrimoine informationnel; un aspect offensif qui permet de partir à la conquête des marchés internationaux, d’avancer avec l’influence nécessaire, et le troisième aspect, c’est l’influence. On ne le dira jamais assez, dans un monde ultra-compétitif, la meilleure défense, c’est l’attaque.
Au niveau d’un Etat, comment peut s’organiser l’intelligence économique ?
C’est aussi comme pour les entreprises. Un Etat comme le Burkina Faso doit déjà pouvoir réaliser sa matrice haute. C’est-à-dire, vu son économie, identifier les points forts, les points faibles et les points sur lesquels il pourrait améliorer la compétitivité de son économie. Les menaces et les faiblesses auxquelles le pays doit répondre. Ces derniers temps, le Burkina Faso est secoué par le terrorisme.
Ce terrorisme crée une économie de guerre, et cela met une pression sur l’Etat et ses habitants. Par exemple, les opérateurs économiques peuvent commencer à s’interroger avant de venir investir. Pour cela, il faut mettre en place un dispositif qui permette de rassurer les investisseurs internationaux, de leur expliquer la réalité du terrain et de leur dire que, malgré ces difficultés, le gouvernement travaille à les juguler et qu’il y a bel et bien des opportunités d’affaires à ne pas rater. En résumé, sur cette problématique, je dirais que, comme pour les entreprises, l’Etat doit exprimer ses besoins en fonction de ses forces et de ses faiblesses, en fonction des menaces et des opportunités que présente le marché.
Pour certaines personnes, l’intelligence économique renvoie à de l’espionnage. Votre avis.
Je ne partage pas ce point de vue, même si je peux comprendre cette confusion; parce qu’au départ, l’intelligence économique est basée sur le cycle de renseignement. On part de la question du décideur, on collecte l’information, on la traite, on l’analyse et on la transforme à un outil d’aide à la décision, et on remet le livret au décideur. L’espionnage suit le même cycle. Toutefois, la différence entre espionnage et IE est que l’IE est stricto sensu porte sur de l’information de source ouverte et légale. En clair, quelqu’un qui peut envoyer un cheval de troie sur l’ordinateur de son concurrent pour prendre possession de ces informations de façon illégale ne pratique pas l’IE, il fait de l’espionnage. L’IE consiste à aller chercher l’information de façon rapide, précise et pointue, mais dans le respect des normes réglementaires, légales et culturelles qui existent sur le territoire dans lequel on opère.
Comment le Centre africain de veille et d’intelligence économie (CAVIE) dont vous êtes le président est structuré dans les pays membres ?
Le CAVIE est aujourd’hui représenté dans 28 pays, mais pas seulement que dans les pays africains.
La preuve est que parmi nos formateurs, on compte un Espagnol, un Indien, un Français… Même si on a une vision globale de l’Afrique, parce que nous rêvons d’une Afrique unie ; nous rêvons d’une structure panafricaine de l’IE, il n’en demeure pas moins que chaque pays à ses spécificités. Nous préférons que nos représentations qui connaissent mieux les besoins locaux les apprécient en fonction des besoins des opérateurs économiques locaux, pour ensuite faire remonter à notre niveau l’information justifiant les formations de renforcement des capacités des décideurs.
Dans le cadre du programme d’activités de 2018, le CAVIE a organisé, du 9 au 12 octobre, à Ouagadougou, une session de formation à l’intention de 35 décideurs privés et publics venus de 5 pays (Afrique et Europe) sous le thème «Veille stratégique et intelligence économique sur les marchés africains». Pourquoi le choix d’un tel thème ?
Le choix de ce thème se justifie par le fait qu’on s’est rendu compte qu’aujourd’hui nos Etats sont encore battus à plate- couture par la concurrence internationale. L’idée d’outiller les cadres du secteur privé comme public pour leur donner toute une série de méthodes et de techniques qui leur permettront, dans leurs environnements, de transformer le renseignement économique ainsi collecté en un outil d’aide à la décision a guidé le choix de ce thème.
Propos recueillis par Rachel DABIRE