Ouagadougou, capitale politique du Burkina Faso, a abrité le 5 et 6 octobre 2018, la 5e édition du Rebranding Africa Forum. Cette rencontre de haut niveau, qui se tenait pour la première fois sur le continent africain, avait pour thème général «Défis et opportunités de l’économie verte en Afrique». Pour décortiquer cette thématique, L’Economiste du Faso a rencontré l’ancien directeur général de l’Economie verte et du changement climatique du ministère en charge de l’Environnement, Dr Lamine Ouédraogo. Aujourd’hui, il est Senior Officer à Global Green Growth Week (GGGWeek)-Burkina. Cette interview est intervenue juste après sa communication sur «Comment investir dans l’économie écologique en Afrique : opportunités et secteurs clés ?» Il dit être convaincu que le décollage de l’Afrique se réalisera dans l’économie verte.
L’Economiste du Faso : «L’économie verte», une notion de plus en plus en vogue. A quoi renvoie-t-elle réellement?
Dr Lamine Ouédraogo, Senior Officer à Globa Green Growth Week (GGGWeek)-Burkina : Il n’y a pas de définition-type de l’économie verte. Au moins, ces dernières années, la définition sur laquelle les gens sont unanimes, c’est celle qui a été donnée par l’ONU-Environnement en 2010 qui la définit comme une économie qui permet d’établir l’équité sociale tout en préservant de la pénurie des ressources. Quand on prend cette définition, on peut y retrouver les trois dimensions du développement durable : la dimension sociale, la dimension économique et la dimension environnementale. Mais, de façon simplifiée, l’économie verte est une économie dans laquelle il y a moins d’émissions de gaz à effet de serre, où on fait très attention à l’utilisation des ressources naturelles et où on va travailler à l’inclusion sociale. L’économie verte est également celle qui s’oppose à l’économie brute dans laquelle nous sommes jusque-là. Cette dernière ne se soucie pas des questions environnementales, du renouvellement ou de la durabilité des ressources. L’économie verte vient comme une sorte de paradigme à notre façon de conduire l’économie nationale.
Dites-nous si la notion d’économie verte est vraiment différente de celle de croissance verte ?
Non ! Au contraire, il y a un lien entre les deux. C’est juste une question de terminologies. L’économie verte englobe beaucoup d’aspects ; alors que la croissance par définition s’adresse à des secteurs. Dès que vous parlez d’économie verte, vous êtes obligés de toucher à la question de gouvernance, à des questions sectorielles, à la question d’emplois, à des questions d’entrepreneuriat, à des questions de finance, etc. Mais, la croissance verte va se centrer sur les secteurs qui définissent la croissance. Vous savez que la mesure de la croissance est basée sur le PIB ; lui-même basé sur les trois grands secteurs de l’économie : le secteur primaire, le secteur tertiaire et le secteur secondaire. La croissance verte va toucher à la partie réelle de l’économie. C’est ainsi qu’on prendre le secteur agricole et on travaille à le verdir. C’est la même chose en ce qui concerne le tourisme et l’industrie. Dans le domaine des déchets, on les valorise de façon durable. La croissance verte est donc une composante de l’économie verte centrée sur les modes de consommation et de production durables.
Est-ce que le Burkina Faso dispose d’une politique en matière d’économie verte ?
Oui ! Le Burkina Faso dispose d’un document politique en matière d’économie verte. Il faut dire que, depuis longtemps, le Burkina Faso s’est préparé à s’engager dans une transition vers une économie verte inclusive. Et, le premier document majeur dans ce sens et qui traite de façon très claire de la question de l’économie verte est la politique nationale de développement durable qui a été adoptée en 2013. Ensuite, il y a une loi d’orientation sur le développement durable qui a été adoptée en 2014. Tous ces textes font du Burkina Faso un pays révolutionnaire en matière d’économie verte. Quand vous prenez la politique nationale de développement durable, elle contient trois orientations dont la dernière parle d’économie verte. La loi d’orientation parle aussi d’économie verte et de la nécessité que tous les acteurs du développement national (Etat, collectivités, société civile, secteur privé) apportent chacun sa contribution au verdissement de notre économie. Ces deux textes politiques et juridiques majeurs régentent le processus de transition du Burkina Faso vers une économie verte inclusive. Le pouvoir actuel accorde une place importante à l’économie verte. C’est ainsi qu’il est allé loin en changeant la dénomination du ministère de l’Environnement pour y intégrer l’économie verte et le changement climatique. Ce choix témoigne d’une politique unique au monde. La volonté politique est allée plus loin en créant une direction générale spécifiquement dédiée à la question de l’économie verte. Cela aussi, vous ne le verrez nulle part au monde si ce n’est au Burkina Faso. Dans le monde, le Burkina Faso est le seul pays qui ait pris autant d’engagements et de mesures au plan politique, juridique et institutionnel dans le cadre de l’économie verte. Le Burkina Faso va se doter très bientôt d’une stratégie nationale de l’économie verte dont le processus d’élaboration est très bien avancé et a été validé récemment en atelier national. Cette stratégie sera assortie d’un plan d’action triennal glissant.
Vous venez de prendre part, le 5 et 6 octobre 2018, à la 5e édition du Rebranding Africa Forum dont le thème général est «Défis et opportunités de l’économie verte en Afrique». En tant qu’expert de l’économie verte, que peut-on retenir du thème selon vous?
Je pense que le choix des organisateurs du Rebranding Africa Forum d’une thématique en lien avec l’économie verte me parait judicieux et pertinent ; parce que, hier, certaines personnes ont pensé que le concept économie verte est un nouveau concept créé par les pays développés pour retarder les pays en développement. Pourtant, tel n’est pas le cas. En réalité, le vrai décollage de l’Afrique va partir de l’économie verte. Ce thème va permettre aux experts des questions environnementales de se prononcer et de donner des pistes de solutions, des orientations et de faire des recommandations pour que les décideurs politiques africains puissent s’engager résolument vers ce nouveau paradigme de développement.
A cette rencontre de haut niveau, vous avez donné une communication sur le thème «Comment investir dans l’économie écologique en Afrique : opportunités et secteurs clés ?» Que peut-on retenir du sujet développé ?
Dans mon entendement, quand on parle d’économie écologique, en réalité, on parle d’économie verte. Maintenant, en termes d’opportunités, on peut dire que, de façon générale, il y a cette tendance aujourd’hui dans le monde entier qui veut que les acteurs du développement soient unanimes pour dire qu’il faut changer les paradigmes de développement. Cette vision des choses est une opportunité immense, parce que notre modèle actuel de développement n’est pas un modèle adapté et durable. La deuxième opportunité, c’est au plan politique, avec l’adoption de l’agenda 2030 et les objectifs du développement durable des Nations-Unies qui offrent une panoplie d’objectifs de développement durable en lien avec l’économie verte. Cet engagement politique constitue le référentiel de développement au niveau mondial. C’est aussi le référentiel des plans nationaux. La troisième opportunité est d’ordre juridique, avec ce corpus juridique, il y a un plan international sur les questions de développement durable, l’environnement, etc. Et cela, à travers les traités qui ont été signés, au nombre desquelles la convention sur les changements climatiques, la convention sur la biodiversité, y compris l’accord de Paris. A ces trois opportunités s’ajoute aussi l’opportunité financière avec plusieurs sources de financements. Parmi les sources de financement liées aux conventions des Nations-Unies, on a les Fonds d’adaptation, le Fonds vert climat et d’autres fonds qui ne sont pas forcément liés aux conventions existantes, tels que le fonds d’Abu Dhabi. On dit même qu’il y a jusqu’à 650 sources de financements liées à l’économie verte, notamment les énergies renouvelables, dans le monde. Il y a aussi les institutions classiques telles que la Banque mondiale, la BAD, la BOAD qui sont prêtes à accompagner la promotion de l’économie verte sur le continent africain. Nous avons aussi des opportunités au plan institutionnel par lesquelles un certain nombre d’institutions est mis en place par les différents gouvernements. La préoccupation de certains pays dés qu’on a parlé d’économie verte a été de se demander avec quels moyens techniques nos Etats vont mettre en place le processus. Mais, aujourd’hui, on constate la création d’institutions pour accompagner les pays émergents et les pays en développement. L’exemple le plus expressif est la mise en place du Global Green Growth Week (GGGWeek) qui est cette structure qui a en charge d’accompagner les pays émergents et les pays en développement dans le cadre de leur transition vers une croissance verte. Voilà un certain nombre d’opportunités, de mon point de vue, que l’Afrique doit saisir pour son décollage économique. Ce sont des moyens qui peuvent faciliter les investissements, parce que, que ça soit des investissements publics ou privés, si tous ces aspects ne sont pas présents, il faut vous dire que cela va être très compliqué. Par rapport aux secteurs clés pour lesquels ces sources de financements sont disponibles, ils peuvent aider le Burkina Faso et l’Afrique toute entière. Il s’agit notamment de l’agriculture, de la foresterie, de l’industrie extractive, de l’énergie renouvelable, de la gestion durable des déchets, du tourisme.
Interview réalisée
par Rachel DABIRE