La société sucrière de la Comoé (SOSUCO) est une des victimes de la fraude à l’importation pratiquée par certains commerçants. La conséquence de cette pratique est l’étouffement progressif des unités industrielles locales qui n’arrivent plus à écouler leurs stocks. Pis, à côté de la fraude, l’Etat lui-même subventionnerait à l’importation des produits concurrents. Telles sont les inquiétudes de Mouctar Koné Dg de la SOSUCO, dans cette interview qui fait suite à la sortie des huiliers sur les menaces qui pèsent sur l’industrie nationale.
La SOSUCO est en phase de production de la canne en cette saison hivernale. Comment se passe cette phase ?
Avant de répondre, je voudrais préciser que la dernière campagne qui s’est achevée en mars dernier a vu la production de 31.200 tonnes de sucre ; et à ce jour, nous avons sous les bras environ 15.000 tonnes. Nous produisons à peine 30 % des besoins du pays. Ce qui veut dire que normalement on devrait pouvoir écouler tranquillement notre production. Ce qui n’est malheureusement pas le cas. Selon les sources, le pays consomme autour de 120.000 tonnes de sucre/an. Nous n’en produisons qu’entre 30 et 35.000 tonnes que nous n’arrivons pas écouler.
Et, selon vous, qu’est-ce qui explique cette situation qui persiste ?
Nous constatons sur le marché national la présence de sucre vendu moins cher que le nôtre. Alors que quand on observe le cours du sucre sur le marché international, avec les coûts de revient, il est impossible de le vendre à ce prix sur le marché. Il y a donc un gros problème à l’importation : c’est la fraude ! Il y a un autre problème que nous avons seulement découvert sous la transition : en réalité, c’est l’Etat qui subventionne le sucre à l’importation.
Expliquez à nos lecteurs comment ça marche ?
Le sucre arrive à nos frontières à un certain prix, et l’Etat accepte qu’on le dédouane en dessous de ce prix-là. Concrètement, cela veut dire que l’Etat renonce à une partie de ses taxes sur le sucre importé. C’est ce qu’on appelle de la subvention. Alors que tous les sucres qui nous arrivent de par le monde sont subventionnés par les pays exportateurs. Les Européens subventionnaient leur sucre, même s’ils sont en train d’y mettre fin ; les Américains, les Brésiliens, etc. Pour les Brésiliens, le sucre est un sous-produit, puisqu’ils utilisent la canne pour produire de l’alcool. Ils ont donc une alternative et exporte quand le cours sur le marché mondial est favorable.
Vous en tant que producteur national vous ne bénéficiez pas du soutien de l’Etat ?
Nous n’avons pas de soutien de l’Etat. Depuis quelques années, nous nous battons pour avoir des exonérations sur nos investissements afin d’améliorer les performances de nos outils de production et de réduire les coûts de production. Nous espérons au moins avoir cela pour améliorer nos capacités de production ; histoire d’avoir des prix de production encore plus bas. On nous demande de faire des efforts à chaque fois. Dans ces conditions, que voulez-vous que l’on fasse comme efforts supplémentaires ?
Réduire les coûts de production suffirait-il à atténuer vos problèmes ?
Non ! On a aussi un problème de quantité qui n’est pas maitrisée. Ce problème dure depuis l’ancien régime. Il a traversé la Transition et est toujours là. Nous n’arrêtons pas de crier qu’il faut protéger l’industrie locale, mais en vain.
Mais, il fut une époque où les commerçants s’étaient engagés à enlever vos stocks avant d’en importer. Ce mécanisme est-il toujours d’actualité ?
Non ! Sous le ministre Mamadou Sanou, il y a eu un accord entre les gros clients et nous, sous l’égide du ministère. Ils achetaient via une société (la SODISUCRE) toute notre production et importaient le complément. Pendant la durée de ce mécanisme, la SOSUCO n’a pas eu de problème, et l’Etat a recouvré toutes les taxes dues dans le cadre de cette opération. Le système a fonctionné pendant deux ans et demi. L’Etat a récupéré près de 26 milliards de FCFA, et les actionnaires de la SODISUCRE avaient reçu de gros bénéfices (voir encadré) . Le sucre n’a jamais manqué en ce temps-là, et les prix aussi sont restés stables. Mais certains parmi eux ont sabordé l’opération, parce qu’ils voulaient toujours un peu plus en retournant aux pratiques anciennes. On est retombé dans les mêmes travers.
Quelles sont les solutions que vous envisagez pour sauver vos outils de production ?
Quand on parle, les gens disent que «l’industrie est un pan de l’économie et que le commerce en est un autre. Il faut que chacun puisse mener son activité ». Nous n’avons jamais dit le contraire. Nous aussi, nous sommes commerçants d’une certaine façon. Ce que nous demandons, c’est l’assainissement du milieu des affaires. Que tout le monde soit traité sur le même pied d’égalité. Nous ne demandons pas des avantages particuliers. Il s’agit de renforcer la lutte contre la fraude. Ne pas laisser certains s’enrichir par ce biais, sans payer aucun impôt, avec en plus des produits subventionnés.
Vos actionnaires, qu’est-ce qu’ils en disent ?
Notre chance, c’est que l’actionnaire majoritaire fait plus dans le social que dans le mercantilisme. Sinon, on aurait depuis longtemps fermé.
Comment gérez-vous cette situation ?
Nous sommes un peu blasés. On ne peut plus compter vraiment sur quelqu’un. On fait autant qu’on peut pour baisser nos coûts de production. Ça ne marche pour nous que lorsque les prix à l’international montent. Mais, ce n’est pas souvent le cas. Dès que les prix baissent, les trafiquants de tous acabits deviennent des importateurs et inondent le marché, comme c’est le cas actuellement. L’année dernière, j’ai cru que la SOSUCO était seule dans ce cas, mais je constate aujourd’hui que les huiliers sont embarqués dans le même bateau que nous. C’est sérieux ! Dans ces conditions, il est difficile pour nous d’envisager des plans développement de notre entreprise. A l’heure actuelle, nous nous demandons comment nous allons démarrer la campagne. On a réduit ce mois-ci le nombre d’employés temporaires de l’usine pour la révision de l’usine. Nous avons été obligés de vendre à perte une partie de nos stocks pour préparer la campagne qui arrive. Même là, depuis un mois, on n’est pas arrivé à vendre assez pour être sûr de commander tous les produits nécessaires pour la campagne ; parce qu’il y a des produits dont les délais de livraison peuvent prendre un ou deux mois, et il faut en plus payer les fournisseurs avant livraison.
Malgré le fait que la SOSUCO reste un des gros employeurs de la région, avez-vous l’impression que l’Etat vous a abandonnée ?
On se pose la question. La SOSUCO, c’est bon an mal an 3.000 emplois équivalent à temps plein, sans compter les autres sociétés qui dépendent de notre activité. La SOSUCO, c’est également près de 6 à 7 milliards de FCFA d’achats de biens au niveau national, sans compter les 3 milliards de FCFA de salaires que nous versons, le centre de santé que nous avons mis à la disposition des populations, les aides scolaires aux deux écoles qui fonctionnent grâce à nous. Il y a un impact économique et social assez important autour de l’entreprise. L’impact social d’un complexe sucrier est énorme.
Par exemple, au Sénégal, le gouvernement a voulu entre-temps donner une autorisation d’implantation à une raffinerie de sucre pour compléter la production nationale. Mais, cet operateur voulait installer une usine d’à peine 100 personnes pour importer du sucre brut afin de produire tout le sucre dont le Sénégal a besoin. Alors que la campagne sucrière du Sénégal crée plus de 6.000 emplois et irrigue gratuitement 400 hectares pour les populations environnantes afin de produire du riz et autres produits maraichers. C’est ainsi que ce complexe sucrier a demandé aussi une autorisation pour faire également une raffinerie, puisque c’était plus commode. Et le gouvernement a dû reculer. Il faut savoir ce qu’on veut. Veut-on le développement ou juste que quelques personnes puissent se mettre de l’argent dans les poches ? On ne peut pas avoir des industries comme la nôtre et comme les huileries et subventionner les produits concurrents. Je n’arrive toujours pas à me l’expliquer. Il y a la question de la fraude. On a l’impression qu’elle est devenue légale, et certains pensent que faire des affaires, c’est faire de la fraude. L’Etat doit lutter sérieusement contre ce fléau qui est un véritable danger pour notre économie.
La campagne qui arrive est donc mal partie alors ?
Si on n’arrive pas à vendre, ça va être difficile. Sans argent, on ne peut pas travailler. Les fournisseurs, ce ne sont pas des philanthropes. Déjà, nous sommes en retard de paiement un peu partout : impôts, CNSS, patente et certains fournisseurs. L’argent est là (NDLR : il fait allusion au stock), mais il faut vendre pour faire face à nos obligations.
Par AT
Ce que la SODISUCRE a rapporté à l’Etat
L’expérience de la SODISUCRE a tourné court pour diverses raisons, mais financièrement et en matière de recouvrement de taxes pour l’Etat. c’était un outil performant, à en croire les chiffres ci-dessus, tirés d’un rapport d’activité de la structure .
Ce bilan fait ressortir au titre de divers impôts et taxes versés à l’Etat:
-26 131 805 480 F CFA représentant 31,5% du chiffres d’affaires total. Cette somme a été repartie de la manière suivante :
– 14 805 686 158 F CFA collecté
– 9 608 090 000 F CFA de droits et taxes de douanes
– 1 222 730 601 F CFA d’impôts (impôts sur les sociétés, patente et IUTS/TPA
Le montant des dividendes nets payés aux actionnaires est de 1,2 milliards F CFA. Les rémunérations nettes versées aux salariés s’élèvent à 106 022 759 F CFA et les cotisations sociales y afférentes payées à 18 806 179 F CFA.