Samedi matin, fin mai, région du Sud-Ouest du Burkina Faso, site minier de Gombèlèdougou (commune de Koumbia, province du Tuy). Un négociant local est en train d’acheter de l’or aux mineurs, par décigrammes. Ce métal jaune, en gros, sera revendu à un autre négociant; régional cette fois-ci.
Une fois une certaine quantité d’or engrangée, le négociant de la région Sud-Ouest se rend dans la capitale, Ouagadougou, pour le renégocier. L’acquéreur ouagalais exportera ensuite cet or à l’étranger.
Deux possibilités s’offrent alors à lui:
Exporter légalement l’or en soumettant sa marchandise à une taxe à l’export s’élevant à 1,75% de la valeur au London Bullion Market Association (LMBA), en sus des frais de titrage auprès du laboratoire d’État de 0,2%. Au total, le coût pour l’exporter s’élèverait ainsi à près de 2% de la valeur de la marchandise.
Aller vendre clandestinement son or dans un pays frontalier où le prix d’achat se situera en dessous du prix mondial ; c’est-à-dire à 97-98% du prix LBMA, selon nos estimations ; mais au gré d’une transaction où le vendeur n’aura pas à payer de taxes officielles.
En le vendant dans un pays frontalier, le commerçant réussit à localiser des devises à l’étranger; lesquelles lui permettront d’y acquérir puis d’importer des marchandises en les déclarant à des prix moindres ou en les faisant passer en contrebande. C’est principalement pour cette raison que l’or de Gombèlèdougou, et plus généralement l’or burkinabè, après être passé par Ouagadougou, finit par franchir la frontière pour être vendu en majorité sur le marché togolais et, dans une moindre mesure, sur le marché ivoirien ou ghanéen.
La route de l’or vers le Togo est confirmée par les statistiques d’exportation, car ce pays constitue une place d’achat à des prix plus élevés qu’au Liberia. Si la plupart de l’or artisanal échappent au secteur formel au Burkina Faso, il existe pourtant une voie légale que les artisans miniers devraient emprunter pour commercialiser leur or. Selon le ministère des Mines, le Burkina Faso comptait 105 comptoirs d’achat et de vente d’or déclarés en 2016. Mais, selon la direction générale des impôts, sur les 105 comptoirs déclarés, seulement 40 seraient en règle vis-à-vis de l’administration fiscale. La situation de 65 comptoirs reste donc à être élucidée. «Au cours de l’année 2013, seuls 37 comptoirs sur les 63 agréés pour l’achat, la vente et l’exportation d’or au Burkina Faso se sont présentés au BUMIGEB pour le contrôle de leur or», ont déclaré les parlementaires lors de l’enquête sur la fraude de l’or.
Un processus national d’exportation contraignant
Si le processus de commercialisation à l’intérieur du pays pour les comptoirs est relativement encadré au point de devoir céder une partie de leur production si les bijoutiers burkinabè le requièrent (art. 11 de l’arrêté interministériel), le processus d’exportation se trouve être encore plus contraignant. Le comptoir doit ainsi, dans un premier temps, procéder au titrage de son or auprès du Bumigeb (art. 8 du décret 2006-629). Cette procédure a un coût de 25 FCFA/g (0,038 €/g) auxquels s’ajoutent 2.000 FCFA (3 €) par lingot et une taxe de 1,75%; soit 400.000 FCFA/kg (610 €/kg). L’exportateur doit par ailleurs obtenir un titre d’exportation auprès de la Chambre de commerce et d’industrie; lequel est visé par le service des douanes et la banque domiciliaire de l’exportateur – laquelle banque doit également être agréée au Burkina.
Le décret 2006-629 ajoute que ce document «permet aux autorités burkinabè d’obtenir des informations relatives à la destination de la marchandise, à sa nature et au règlement financier de l’exportation».
L’exportation est donc à la fois une opération au coût conséquent, une opération qui est plus lourde en termes de procédures, et particulièrement contraignante du fait de l’obligation de rapatrier les fonds.
Le système réglementaire est tel qu’il est beaucoup plus aisé et moins coûteux de passer l’or en contrebande pour un pays voisin que de mener à bien une exportation en bonne et due forme.
En septembre 2016, un rapport de la commission d’enquête parlementaire sur la gestion des titres miniers et la responsabilité sociale des entreprises minières affirmait que l’or produit artisanalement et qui a été sorti frauduleusement du Burkina Faso représente entre 15 et 30 tonnes par an. Ce volume titille la production industrielle de l’or évaluée à 36,350 tonnes en 2015.
Sur la base de ce calcul, les parlementaires estiment que «300 milliards de F CFA, en 10 ans, se seraient évaporés au détriment du Trésor public». En guise de comparaison, ce montant est supérieur au budget annuel alloué à l’éducation qui tourne autour de 200 milliards de FCFA.
Les raisons de cette fraude à grande échelle
L’un des propriétaires de comptoir, M. Sita, a accepté de nous recevoir. Interrogé sur la fraude dans l’orpaillage, il confirme les soupçons et les justifie: «Une fois que nous achetons l’or avec les orpailleurs, il nous faut le revendre; mais au Burkina, le montant de la taxe à l’exportation de l’or est trop élevé». Selon les textes en vigueur, sur chaque kilogramme d’or exporté, une taxe de 450.000 FCFA est prélevée pour le compte du budget national. Comparativement à un pays voisin comme le Togo, pays vers lequel l’or est frauduleusement acheminé, la taxe à l’exportation serait de 45.000 FCFA le kilogramme. «C’est la première raison qui nous pousse à sortir clandestinement l’or vers le Togo», explique-t-il.
Ce manège fait du Togo le pays privilégié par les revendeurs d’or du Burkina, selon notre source. Une réalité qui corrobore les résultats d’une enquête menée en 2014 par l’ ONG suisse la «Déclaration de Berne» pour qui: «7 tonnes d’or burkinabè ont été frauduleusement expédiées au Togo, puis exportées vers la Suisse la même année, représentant près de 20% de la production industrielle d’or du pays». L’ONG estime que le Burkina Faso a perdu des recettes fiscales de près de 4 milliards de CFA rien que pour l’année 2014, suite à cette fraude. «Cela équivaut à 24,32% de toutes les aides cumulées de la Coopération suisse au Burkina Faso en 2014», indique la «Déclaration de Berne».
Pour cet exploitant d’un site d’orpaillage et responsable d’un comptoir d’achat (il parle sous le couvert de l’anonymat), le Niger, le Ghana et la Côte d’Ivoire, qui appliquent une fiscalité plus faible, seraient aussi des pays de destination de l’or qu’il sort frauduleusement du Burkina.
NK
Saisies d’or, une longue liste
Au Burkina Faso, les saisies d’or aux mains de personnes qui tentaient de l’exporter frauduleusement du pays sont récurrentes. En mars 2013, les services des douanes de Tenkodogo ont saisi 22 kg d’une valeur de 500 millions de F CFA en partance pour le Togo. Une année après, soit le 2 décembre 2014, le ministère des Mines a informé que 77 kg d’or d’une valeur de 1,5 milliard de FCFA ont été saisis par les douanes de l’aéroport de Ouagadougou aux mains d’individus qui tentaient de l’exporter illégalement.
Récemment, en mars 2016, ce sont encore les douanes de Tenkodogo qui ont saisi 16,55 kg d’or d’une valeur estimée à 391 millions de FCFA. La liste est longue.