Le docteur Kèrabouro Palé a soutenu sa thèse en sciences de gestion, le 21 février 2018, à l’Université Aube Nouvelle ; sanctionnée par une mention très honorable. Son thème était : «La Responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE) dans les grandes entreprises au Burkina Faso : déterminants et lien avec la performance». Dans cette interview, il expose quelques résultats de sa recherche.
L’Economiste du Faso : Qu’est-ce qui a motivé le choix de ce thème de recherche ?
Docteur Kèrabouro Palé : Je suis parti d’un certain type de comportements des entreprises dans presque tous les secteurs d’activités.
Dans le domaine du bâtiment, on enregistre très souvent des cas d’effondrements d’immeubles en construction. Une campagne de contrôle menée en 2011 par la Direction générale du contentieux des opérations d’aménagement et de construction (DGCOAC) du ministère de l’Habitat a révélé que sur 1.998 bâtiments (R+) contrôlés à Ouagadougou, seulement 436 disposaient d’un permis de construire ; soit environ 21%. Dans le secteur de la distribution et du commerce, il y a le phénomène de ventes des produits périmés avec la saisie par l’Unité d’intervention polyvalente de la police nationale de plus de 1.200 tonnes de boissons périmées dans un entrepôt d’une entreprise près de Ouagadougou en février 2015. Dans le secteur des services, celui des télécommunications est au centre de multiples polémiques quant à la qualité de ses prestations. L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) a infligé en 2010, 2014 et 2016 des sanctions à ces entreprises pour manquements à leurs obligations de disponibilité, de continuité et de qualité de services. Dans le secteur minier, un ensemble de faits conflictuels entre compagnies minières et certaines entités au niveau des différents sites miniers en exploitation a été rapporté. A la lumière de cet échantillon de faits qui sont tous liés aux activités des grandes entreprises, il devient légitime de s’interroger sur le niveau d’éthique, de responsabilité, ou tout simplement du respect des intérêts des différentes parties prenantes dans la conduite de leurs affaires. Une grande entreprise, selon la classification du fisc, est celle qui a un chiffre d’affaires annuel hors taxes supérieur ou égal à un milliard de FCFA.
Mais comment mesure-t-on justement le niveau de responsabilité sociétale d’une entreprise ?
La mesure du niveau de la RSE pose en effet deux problèmes. D’abord, les critères sur lesquels cette mesure doit se fonder et, ensuite, l’approche méthodologique. La responsabilité étant une notion abstraite, sa mesure directe n’est pas possible. C’est plutôt la Performance sociétale de l’entreprise (PSE) qui est mesurée. La PSE étant définie comme une configuration des principes sociaux d’une entreprise, de la réactivité sociale et des politiques, programmes et résultats observables, de ce qui touche la relation sociale entreprise avec la société. Pour notre thèse, nous avons appliqué l’approche perceptuelle par enquête. La méthode consiste en une opérationnalisation directe des différentes dimensions de la RSE.
Nous inspirant des 7 questions centrales de la RSE développées par la norme ISO 26.000, nous avons retenu pour notre recherche six dimensions pour déterminer la performance sociétale globale de l’entreprise. Les entreprises ont été notées sur 30 items couvrant les six dimensions indiquées. L’échantillon est constitué de 110 grandes entreprises sur les 727 que comptait le pays au 31 décembre 2015 ; soit un taux de sondage de 15,13%. Les données ont été recueillies à travers une enquête nationale conduite sur la période de janvier à août 2016.
Quels sont les principaux résultats auxquels vous êtes parvenus ?
Le score global de performance sociétale des grandes entreprises au Burkina Faso est de 50,14%. Ce score ne doit pas être lu littéralement. Il faut tenir compte de sa composition. Par exemple, en matière de «respect des textes régissant leurs activités», le score de performance est de 59,83% ; ce qui est très faible. Les choses se passent comme si globalement les entreprises ne respectent qu’une disposition légale sur deux dans le cadre de leurs activités. Cela permet de conclure à un niveau très faible de responsabilité sociétale des grandes entreprises au Burkina Faso ; le respect strict de la loi étant un préalable incontournable dans la logique RSE.
Par secteur d’activités, les mines viennent en tête avec un score global de performance sociétale de 70,04%. Elles sont suivies dans l’ordre par les services (54,25%), l’industrie (51,03%), la distribution (42,85%) et les BTP (39,65%). Mais, à la suite des travaux économétriques, nous avons abouti au fait que la différence de scores constatée n’est pas statistiquement significative. Cela veut dire qu’aucun secteur ne fait nettement mieux que les autres.
Dans l’ordre décroissant, la situation de performance sociétale des grandes entreprises, dans les différentes dimensions, est la suivante : «Philanthropie» (72,72%), «Gouvernance de l’entreprise» (59,09%), «Gestion du personnel» (49,22%), «Gestion de l’environnement» (47,77%), «Bonnes pratiques des affaires» (44,68%), «Non-discrimination» (37,95%). C’est donc en matière d’actions philanthropiques que les grandes entreprises burkinabè sont relativement plus performantes. Le niveau de prise en compte des intérêts du personnel et le niveau de soins portés à l’environnement sont en dessous de la moyenne. En matière de «Bonnes pratiques des affaires» qui renferment des thèmes tels que la corruption, le score est médiocre. En matière de «Non-discrimination», on a par exemple 14,5% des entreprises qui ne sont pas disposées à recruter un candidat qui serait atteint par la maladie du VIH/SIDA; en plus, 86,4% ne disposent pas de rampe d’accès à leurs locaux pour les handicapés moteurs. Ce qui est un facteur de discrimination et d’exclusion pour ces personnes.
Un autre résultat important est que les filiales des entreprises multinationales desquelles on attendait une meilleure performance par rapport aux entreprises locales ne font pas les choses différemment en matière d’actions de responsabilité sociétale. Lesdites filiales n’appliquent donc pas pleinement les standards des sociétés-mères en la matière. Elles s’alignent à beaucoup d’égards sur les mauvaises pratiques des entreprises locales.
Interview réalisée par Elie KABORE
Qui est Dr Palé ?
Docteur Kèrabouro Palé est inspecteur des impôts à la direction générale des impôts. Il est actuellement le chef du service d’assiette de la direction des moyennes entreprises du Centre I. Il est titulaire d’une maitrise en Macroéconomie et gestion du développement (MGD) de l’Université Ouaga 2 et d’un Diplôme d’études approfondies (DEA) en économie industrielle. Depuis quatre ans, il intervient aussi dans la formation des élèves inspecteurs des impôts à l’Ecole nationale des régies financières (ENAREF) dans le module «Contrôle fiscal».