Le Burkina, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, a annoncé le jeudi 24 mai 2018 sa décision de rompre les liens diplomotatiques avec Taiwan. Une dicision qui s’accompagne de la fermeture immédiate des ambassades dans les deux pays et le rappel du personnel diplomatique de part et d’autre. C’est la fin de l’épisode 2 du mariage de raison lié en 1994 par le régime de l’ancien président Blaise Compaoré. En effet, dans ses «coopérations chinoises», le Burkina avait, dans un premier temps, cheminé avec Taiwan entre 1964 et 1973, pour après rejoindre la Chine populaire (Pékin) entre 1973 et 1994. Le rétablissement des liens diplomatiques avec Taiwan, de 1994 à 2018, avait donc constitué des rétrouvailles entre anciens amis.
C’est en appliquant la «diplomatie du chéquier», une nouvelle stratégie de reconquête des pays africains lancée au début des années 1990, que Taiwan avait réussi à remettre le Burkina Faso et d’autres pays comme le Liberia et le Sénégal dans sa poche. «Le Burkina était confronté à de profondes difficultés budgétaires. Le plan d’ajustement structurel imposé depuis mars 1991 a contraint Ouagadougou à rechercher des financements étrangers, de préférence non occidentaux», explique-t-on. Avec les impacts probables de la dévaluation du Franc CFA et la situation économique générale du pays, le président Compaoré a trouvé en Taiwan un partenaire capable de financer rapidement et sans condition ses futurs «engagements nationaux». En retour, Ouagadougou devait aider Taipeh dans sa perpétuelle quête de porte-parole sur la scène internationale.
C’est sur la base de ces intérêts que le partenariat a été scellé. Taiwan s’est installé au Burkina, en lieu et place de la Chine populaire. Reprenant ainsi les principaux projets abandonnés par son grand voisin, notamment l’aménagement des vallées du Kou, du Sourou ou de la plaine de Banzon pour la riziculture, et a élargi sa coopération à presque tous les domaines. On y retrouve l’agriculture, la santé, la culture, la défense, les BTP et les infrastructures, l’éducation et la recherche, le sport, l’environnement et même l’administration de l’État.
Aujourd’hui, la nouvelle volte-face du Burkina ouvre la voie à un retour à Pékin. C’est un nouveau rébondissement dans ce véritable ping-pong diplomatique qui dure depuis presque 60 ans.
De nombreux observateurs avaient prédit ce scénario, estimant que le retour à la Grande Chine n’était qu’une question temps. Leurs avis rejoignaient ceux de certaines figures de l’échiquier politique nationale.
Le départ de Taiwan va sans doute entrainer des bouleversements et des désagréments dans de nombreux domaines où elle était impliquée. Des secteurs économiques s’en sortiront affectés. Mais, ces retrouvailles annoncées avec Pékin sont loin d’être dénuées de sens et d’intérêts pour le Burkina. Il appartient à l’Etat de s’assurer de la continuité des différents projets abandonnés par Taiwan en les proposant notamment à la reprise de Pékin, à l’image de ce qui avait été fait en 1994 quand Taiwan avait mis dehors la Chine populaire.
Avec un marché de plus de 1,3 milliard d’habitants, la Chine est la seconde puissance économique mondiale. Elle a même été parfois placée en tête devant les Etats-Unis. Elle est devenue le premier investisseur étranger en Afrique sub-saharienne. Pour ce qui concerne précisément le Burkina, les données de l’Institut national de la statistique et de la démographie (INSD), jusqu’en 2017, indiquent que la République populaire de Chine se maintient au rang de premier fournisseur du Burkina. Elle est suivie par la Côte d’Ivoire, la France, les Etats-Unis d’Amériques et le Ghana.
Beaucoup de commerçants burkinabè font affaires en Chine populaire. Ne serait-ce que pour faciliter les questions de visas et de mobilité de nos commerçants en Chine populaire, le Burkina devait s’ouvrir à Pékin. En termes de besoins également, la Chine populaire est celle qui offre des produits adaptés au Burkina, à la bourse de la majorité de Burkinabè; pendant que Taiwan est plutôt spécialisé dans le luxe.
En termes d’investissements, Pékin est adepte des grandes réalisations dans les pays africains. Or, le Burkina est porteur de grands projets d’infrastructures telles que l’autoroute entre Ouaga et Abidjan, le prolongement du chemin de fer vers la frontière nigérienne ou la réalisation de voies ferroviaires reliant le pays au Ghana et au Togo. Il y a également le nouvel aéroport de Donssin, l’exploitation du gisement de manganèse et d’autres ressources minières. Tous ces projets peuvent amener à regarder vers la Chine populaire.
D’ailleurs, concernant le projet de la Boucle ferroviaire impliquant le Burkina et les pays voisins, le président béninois a clairement émis son souhait de le voir confié à la Chine populaire. Pour des questions de concordance, le Burkina pourrait avoir envie de s’aligner sur le Bénin. On comprend donc certains termes du chef de la diplomatie burkinabè sur la justification de la rupture des liens avec Taiwan. «Cette décision est guidée par la volonté du gouvernement du Burkina Faso et de son peuple, dans le concert des nations, de nouer le meilleur partenariat afin de consolider le développement socio-économique de notre pays et de faciliter les projets régionaux et sous-régionaux», a-t-il affirmé.
Karim GADIAGA
Départ de l’un des derniers «résistants africains»
Au deuxième Sommet de coopération Chine-Afrique (FOCAC), tenu du 4 au 5 décembre 2015 en Afrique du Sud et qui a réuni une cinquantaine de pays africains, seuls 3 pays du continent n’étaient pas invités. Il s’agissait du Burkina Faso, du royaume du Swaziland et Sao Tomé-et-Principe. Ces pays avaient été écartés à cause de leurs liens avec Taiwan.
Bon nombre de pays africains qui avaient été attirés par les promesses financières de Taiwan avaient fini par retourner à la Grande Chine, à l’exception de ces trois qui apparaissaient comme les derniers résistants.
En 2015, il y avait à travers le monde un total de 22 pays qui entretenaient des relations diplomatiques avec Taipei. Au fil des ans, la liste des alliés diplomatiques de Taipei ne fait que se rétrécir comme une peau de chagrin.