Sur les différents avis juridiques sollicités par le gouvernement, c’est l’avis N°5 qui défraie la chronique. Cela, pour la seule raison qu’il porte sur le caractère déclaré illégal des sit-in. Les syndicats protestent ; et c’est de bonne guerre ! Pendant que les syndicats abusaient des sit-in l’année dernière, le gouvernement, lui, réfléchissait à comment y mettre fin. Si la grève est réglementée et prévue par la loi N°45-60 portant réglementation du droit de grève des fonctionnaires et des agents de l’Etat, le sit-in, lui, n’y figure pas comme acte par lequel les travailleurs marquent un arrêt de travail. Le gouvernement tient là un important moyen de dissuasion pour empêcher désormais cette forme de manifestation qui, sans porter le nom grève, a les mêmes conséquences que celle-ci. Une curiosité cependant : les sit-in, comme récemment pratiqués par les syndicats de la Fonction publique, sont-ils réprimés par le Code du travail burkinabè ? Il semble le cas à travers l’article 386 dudit Code : «L’exercice du droit de grève ne doit s’accompagner, en aucun cas, d’occupation des lieux de travail ou de leurs abords immédiats, sous peine des sanctions pénales prévues par la législation en vigueur». Mais, il y a tout de même quelque équivoque : cet article ne semble pas être, dans son esprit, opposable aux fonctionnaires puisqu’il s’adresse en priorité au secteur privé. Pour fonder donc son avis juridique, le Conseil d’Etat s’est appuyé sur loi N°45-60 du 25 juillet 1960 portant réglementation du droit de grève des fonctionnaires et des agents de l’Etat, en son article 70, plutôt que sur l’article 386 du Code de travail, pour trancher de la légalité ou non des sit-in. Lisez plutôt !
AVIS JURIDIQUE N°05-/2017-2018
Vu la lettre n°2018-087/MFPTPS/CAB du 04 avril 2018 de Monsieur le Ministre de la Fonction publique, du Travail et de la Protection sociale ;
Vu la loi organique n°15-2000/AN du 23 mai 2000 portant composition, attributions, fonctionnement du Conseil d’Etat et procédure applicable devant lui ;
Vu la décision n°2000-001/CE CAB du 12 décembre 2002 portant règlement intérieur du Conseil d’Etat ;
Par lettre ci-dessus rappelée en référence, Monsieur le Ministre de la Fonction publique, du Travail et de la Protection sociale sollicite l’avis du Conseil d’Etat sur l’interprétation qui doit être faite d’abord :
Des cessations irrégulières de travail communément appelés sit-in ;
De l’occupation des lieux de travail visant à empêcher leur accès par divers moyens (barricades, nuisances sonores, menaces verbales et/ou physiques) par les agents non engagés dans les démarches revendicatives ;
De la procédure à suivre en cas de réquisition des agents publics pour assurer le service minimum en cas de débrayage ;
Ensuite de l’identification :
Des moyens dont l’Administration dispose pour contraindre et/ou pour sanctionner les agents publics qui refusent les notifications de réquisitions ;
Enfin, de l’exécution de la retenue du salaire pour fait de grève.
A l’appui de sa demande d’avis, il explique que de façon récurrente des pratiques de cessation concertée de travail de la part des organisations syndicales sont observées. Or, ces pratiques ne sont aucunement admises ni consacrées comme étant des situations de grève tant dans la loi n°45/60/AN du 25 juillet 1960 portant réglementation du droit de grève des fonctionnaires et agents de l’Etat que dans la loi n°028-2008/AN du 13 mai portant code du travail. Alors, le Gouvernement, face à ces agissements qui compromettent gravement le service public, requiert l’avis du Conseil d’Etat sur les préoccupations sus-exposées.
AVIS
Sur la compétence du Conseil d’Etat
La loi organique n°15-2000/AN du 23 mai 2000 portant composition, organisation, attributions, fonctionnement du Conseil d’Etat et procédure applicable devant lui, en son article 15, dispose que : « le Conseil d’Etat donne son avis sur tous les projets de décrets qui lui sont soumis par le gouvernement et, en général, sur toutes les questions pour lesquelles son intervention est prévue par les dispositions législatives ou réglementaires. Il peut notamment être consulté par les ministres sur les difficultés qui s’élèvent en matière administrative».
En nous fondant sur la disposition ci-dessus citée, dans le cas d’espèce, Monsieur le Ministre de Fonction Publique, du Travail et de la Protection sociale entre dans la catégorie des personnes habilitées à demander un avis juridique au Conseil d’Etat ; par conséquent, le Conseil d’Etat se déclare compétent pour lui faire parvenir les observations ci-après :
Sur la notion de sit-in :
Le mot «sit-in», d’origine anglaise et signifiant «s’asseoir sur» est défini dans le dictionnaire le Petit Larousse illustré comme étant «une manifestation non violente consistant à s’asseoir en groupe sur la voie publique». Cette notion, telle que définie, ne figure pas dans notre législation nationale ; en effet, seule la grève, définie comme étant une cessation concertée du travail en vue d’appuyer des revendications professionnelles et d’assurer la défense des intérêts matériels et moraux des travailleurs, est reconnue aussi bien dans le statut général de la Fonction publique d’Etat (article 70) que dans le code du travail.
De ce qui précède, il s’ensuit que le « sit-in » n’est pas légal au Burkina Faso et que les agents qui s’adonnent à ces pratiques sont dans l’illégalité totale ; et commettent une faute passible de sanction disciplinaire dont le quantum est laissé à l’appréciation du supérieur hiérarchique des agents concernés.
Sur l’occupation des lieux de travail empêchant leur accès aux agents non engagés dans les démarches revendicatives ;
En partant du principe que le « sit-in » est illégal, il s’ensuit qu’interdire l’accès des services aux agents non engagés dans les démarches revendicatives est interdit également. Tout agent non gréviste ou non syndiqué est en droit d’accéder à son poste de travail.
Sur la procédure à suivre en cas de réquisition d’agents publics pour assurer le service minimum en cas de débrayage ;
La loi n°45/60/AN du 25 juillet 1960 portant réglementation du droit de grève des fonctionnaires et agents de l’Etat, en son article 6, a réglé la question. En effet, aux termes de cette disposition, il ressort qu’afin d’assurer la permanence de l’Administration et la sécurité des personnes et des biens, les fonctionnaires et agents peuvent être requis d’assurer leurs fonctions. Ainsi :
Les réquisitions sont prononcées par ordres individuels par les Ministres concernés ;
En cas d’urgence, le droit de réquisition peut être délégué par eux aux chefs de circonscriptions administratives pour les fonctionnaires et agents relevant de leur autorité et en service dans lesdites circonscriptions ;
Les maires, dans leurs communes ; les directeurs, dans leurs entreprises, procèdent de même en ce qui concerne les fonctionnaires et agents relevant de leur autorité.
NB : En cas de besoin, le gouvernement peut, par décret pris en Conseil des Ministres, procéder à une réquisition collective de fonctionnaires et agents d’une ou de plusieurs administrations, services, établissements ou entreprises d’Etat.
Sur les moyens d’action et de sanction dont dispose l’Administration en cas de refus de déférer aux notifications de réquisitions
Il ressort de l’article 7 de la loi n°45/60/AN du 25 juillet 1960 portant réglementation du droit de grève que tout fonctionnaire ou agent qui violerait ou qui refuserait de déférer à une réquisition dûment/légalement faite s’expose à des sanctions disciplinaires sans que lui soit accordé le bénéfice des garanties du droit à la défense prévues à l’article 49 de la loi n°081-2015/CNT du 24 novembre 2015 portant statut général de la Fonction publique d’Etat.
Sur l’exécution de la retenue du salaire pour fait de grève
En rappel, le traitement est servi seulement après service fait. Et l’article 40 de la loi n°081-2015/CNT du 24 novembre 2015 portant statut général de la Fonction publique d’Etat dispose clairement que : «Le fonctionnaire est tenu de consacrer l’intégralité de son activité professionnelle à l’exercice de son emploi, d’être présent à son service pendant les heures légales de travail et d’accomplir par lui-même les tâches qui lui sont confiées…».
Par conséquent, toute absence non justifiée du poste de travail expose non seulement le fonctionnaire concerné à la retenue opérée sur son traitement en fonction de la durée de l’absence, mais l’expose également à une sanction disciplinaire prononcée par son supérieur hiérarchique.
NB : La retenue du salaire pour fait de grève signifie que l’Administration est en droit de récupérer les sommes versées à tort, en émettant un ordre de recette contre un agent qu’il aurait indûment été payé. Cet ordre est exécutoire.
Autrement dit, l’agent perçoit une rémunération au prorata de sa présence effective à son poste de travail.
Ouagadougou, le 11 avril 2018
COULIBALY Souleymane
Commandeur de l’Ordre National