Du temps du président Salif Diallo, l’Assemblée nationale avait fait au gouvernement une proposition de loi pour tenter de contenir l’explosion de revendications sociales. Cette loi, qui avait fuité, est restée dans les tiroirs du gouvernement qui avait refusé d’affronter les syndicats, de peur d’attiser un front social qu’il n’était pas sûr de contenir.
Les syndicats avaient exécuté un tir de barrage, crié à une loi liberticide et promis qu’ils la combattraient avec la dernière énergie. Le gouvernement avait alors fait profil bas ; et on le comprend. Et voici ce que L’Economiste du Faso mentionnait sur son attitude en son temps: «Le gouvernement, débordé par les grèves perlées au sein de l’administration publique, a visiblement du mal à y faire face. Il adopte un ton conciliant pour ne pas effaroucher ses vis-à-vis des syndicats, mais ce n’est pas l’envie qui lui manque de broyer ses empêcheurs de gouverner. Ce ne serait pas très responsable ; et ce serait même suicidaire. Il gagne donc du temps en espérant un renversement de l’opinion contre les syndicats, lassée par les désagréments que lui font subir les mouvements à répétition au niveau du service publique».
Ce qui vient donc de sortir du Conseil des ministres du 2 mai 2018 n’est rien d’autre qu’un remake de cette loi avortée. C’est un contrepied parfait que le gouvernement vient de faire aux syndicats. Tout en douceur, le gouvernement est en train de se donner les moyens de ne plus subir les arrêts de travail organisés par les syndicats ; et il le fait en respectant le droit et en préservant le service public. C’est ainsi qu’il a introduit auprès du Conseil d’Etat des demandes en interprétation de la loi sur un certain nombre d’articles relatifs au droit de grève. Il s’agit plus précisément du sit-in (considéré comme une cessation irrégulière de travail), de l’occupation des lieux de travail visant à empêcher leur accès par divers moyens, de la procédure à suivre en cas de réquisition dans le cadre du service minimum et des moyens de contrainte et/ou des sanctions des agents qui refusent les notifications de réquisition.
Les réponses du Conseil d’Etat, en ce qui concerne certains articles, confortent relativement le gouvernement dans sa volonté d’imposer son autorité et de faire respecter l’esprit de la loi relative au droit de grève. Pour le sit-in, l’avis du Conseil d’Etat est sans appel : le Conseil considère que cette notion définie comme «une manifestation non violente consistant à s’asseoir en groupes sur la voie publique» ne figure pas dans la législation nationale burkinabè. Pour le Conseil, seul la notion de «grève» est reconnue dans le statut général de la Fonction publique en son article 70. Il a donc déclaré que les sit-in, ainsi qu’ils sont pratiqués au Burkina, sont illégaux et que leurs auteurs commettent des fautes passibles de sanctions disciplinaires dont les quantums sont laissés à l’appréciation du supérieur hiérarchique des agents concernés. Partant du principe que le sit-in est illégal, le Conseil estime qu’interdire l’accès des services aux agents non-grévistes et non-syndiqués est tout aussi illégal.
Le gouvernement a également demandé l’avis du Conseil d’Etat sur la procédure à suivre en cas de réquisition d’agents pour faire face aux débrayages. Ici, le Conseil d’Etat a rappelé la substance de l’article 6 de la loi N°45/60/AN du 25 juillet 1960 portant réglementation du droit de grève des fonctionnaires et agents de l’Etat. Cet article dispose que les réquisitions sont prononcées par ordre individuel des ministres concernés et, en cas d’urgence, par les chefs des circonscriptions et les maires. Le gouvernement a aussi demandé l’avis du Conseil d’Etat sur les moyens d’actions et de sanctions en cas de refus ou de violation de la réquisition? A ce propos, l’autorité judiciaire a tout simplement rappelé les dispositions de l’article 6 de la loi 45/60 /AN du 25 juillet 1960 selon lesquelles quand la réquisition est dument établie, tout agent qui la violerait ou refuserait d’y déférer «s’expose à des sanctions disciplinaires sans que lui soit accordée le bénéfice des garanties du droit à la défense prévues par l’article 49 de la loi N°081-2015/CNT du 24 novembre 2015 portant statut général de la Fonction publique d’Etat».
FW
Des retenues salariales pour faits de grève
Les coupures salariales pour faits de grève opérées par l’administration ont fait également l’objet d’une demande d’avis de la part du gouvernement. Là-dessus, le Conseil d’Etat a tranché, après un rappel de l’article 40 de la loi 081-2015/CNT du 24 novembre 2015 : «Toute absence non justifiée du poste de travail expose non seulement le fonctionnaire concerné à la retenue opérée sur son traitement en fonction de la durée de l’absence, mais l’expose également à une sanction disciplinaire prononcée par son supérieur hiérarchique». Et d’expliquer que «la retenue sur salaire pour faits de grève signifie que l’administration est en droit de récupérer les sommes versées à tort, en émettant un ordre de recette contre un agent qui aurait été indûment payé». Cet ordre est exécutoire. Autrement dit, l’agent perçoit une rémunération au prorata de sa présence effective à son poste de travail.