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Héritage, libertés individuelles…., continuons à poser les questions qui fâchent! – Par Nouzha Guessous

Dans son dernier livre, Asma Lamrabet ne croyait pas si bien faire en qualifiant de «questions qui fâchent» l’interpellation des lectures traditionnelles et patriarcales du Coran sur les questions relatives aux droits des femmes en Islam(1).

Arguant «d’une  nécessité et non une provocation en vue de clarifier la confusion entre le message spirituel du Texte sacré et l’orthodoxie interprétative institutionnalisée», elle y avance que ces interprétations, encore dominantes, «se sont construites à la marge et parfois à l’encontre du Coran, porteur d’une vision beaucoup plus égalitaire et ouverte».
Conséquence: le magistère de la Rabita Mohammadia des Oulémas a estimé  qu’elle avait touché à l’intouchable, et qu’elle n’avait plus sa place auprès d’eux.  Pourquoi? Simplement parce qu’elle y a développé un peu plus ses lectures critiques des discriminations imposées aux femmes au nom de l’Islam, notamment dans le droit successoral en vigueur. Ses arguments plaidant pour l’égalité successorale comme étant au cœur de l’esprit, et les finalités de l’Islam, ont été largement relayées par les médias nationaux et internationaux.

Pourtant, ce n’était ni une première sur la place marocaine ni une nouveauté la concernant. Cela fait des années que cette question fait l’objet d’articles dans la presse marocaine, de débats publics, de productions écrites et artistiques. Les associations de droits humains et de droits des femmes et le CNDH  intègrent la révision du droit successoral dans la nécessaire refonte du Code de la famille de 2004 pour sa mise en cohérence avec l’égalité femmes/hommes proclamée dans la Constitution de 2011, et avec les engagements internationaux de l’Etat marocain. La semaine dernière, un appel pour l’abolition de la règle du taâsib a été lancé par une centaine de personnalités nationales.

Aujourd’hui que Asma Lamrabet s’est exprimée sur les circonstances de sa «démission» du Centre d’études et de recherches féminines en islam (CERFI(2), il est nécessaire et important de se poser quelques questions, et tant pis si elles fâchent encore une fois! Qu’est-ce qui est en jeu derrière? Pourquoi maintenant? Quelles conséquences peut-on en craindre?
Recul sur les finalités de la réforme du champ religieux?
Facilitée  par l’étendue des débats sur la réforme du droit familial, notamment sur  la question de la place de la religion dans la gouvernance, les lois et l’espace public, cette réforme a été institutionnalisée après les attentats de Casablanca. L’accès des femmes aux fonctions religieuses (morchidates, membres des Conseils des oulémas, etc.) et la révision des manuels scolaires, en particulier en matière d’éducation islamique, en sont des illustrations.
C’est dans ce sillage que la Rabita a été créée en 2006, que ses objectifs et missions ont été fixés. Il s’agit de «la promotion des principes et des finalités de l’Islam dans le respect des valeurs de modération… par la contribution à la revitalisationt de la vie scientifique et culturelle dans le domaine des études islamiques, en partenariat et en coopération  avec les chercheurs, les penseurs, les associations, les organismes et les institutions scientifiques et culturelles nationales et étrangères»(3).

La personnalité et les prises de positions publiques de son secrétaire général sont venues confirmer cette orientation. Prônant la démarche Maqassidia basée non sur le verbe, mais sur les finalités du message divin, ses appels à la déconstruction du discours islamique anhistorique et obscurantiste comme outil majeur de la réforme du champ religieux et de la lutte contre l’extrémisme et le fanatisme étaient clairs et répétés.

Quid de la liberté de pensée et d’expression?  
Depuis plus de 10 années, les recherches, rapports et publications sur des questions qui étaient quasiment taboues et interdites se sont multipliées et faisaient l’objet de débats nationaux, notamment sur la liberté de conscience et autres libertés individuelles, et sur la question du corpus de l’héritage. Les publications d’Asma  Lamrabet qui, faut-il le souligner, étaient en son nom et jamais au nom de la Rabita, en sont un exemple.

Sa démarche paraissait s’inscrire dans l’approche et les objectifs déclarés de son institution de recherche  jusqu’à ce que l’annonce de son remplacement à la tête du CERFI soit tombée. Au final, ce «non-évènement» est venu nous rappeler le tollé soulevé par le rapport du CNDH dans lequel il appelait à la révision du Code successoral dans le sens de l’égalité entre les femmes et les hommes, s’en suit une pluie de questions. Jusqu’à quand allons-nous vivre cette contradiction entre les lois et les pratiques? Que fait-on des libertés d’opinion, d’expression, de recherche et de publication garanties par la Constitution de 2011? Pourquoi s’acharner à étouffer la recherche et le débat sur les dispositions inégalitaires des règles de l’héritage en vigueur, alors que la loi suprême du pays bannit toute forme de discrimination sous quelque prétexte que ce soit, y compris le sexe? Que fait-on des engagements internationaux du Maroc qui, rappelons-le, a ratifié et levé les réserves sur les dispositions de la CEDAW en matière d’égalité femmes/hommes? Que fait-on de la loi suprême du pays qui a décrété la primauté des conventions internationales ratifiées sur le droit interne du pays  que l’Etat s’engage à harmoniser?

Encore une fois, face à tout questionnement sur les discriminations envers les femmes qui sont perpétuées au nom de la religion, notamment par  les règles de l’héritage en vigueur, des discours et déclarations haineuses allant parfois au Takfir, y compris dans des mosquées,  tentent d’étouffer le débat et de terroriser ses promoteurs. Cela nous rappelle les ambiances de la fin des années 80, puis la fin des années 90, que l’on pensait pourtant avoir dépassées grâce aux différentes réformes juridiques et à ladite «Réforme du champ religieux». Ne sommes-nous toujours pas capables d’avoir un débat calme et serein?
Dernière question et pas des moindres (voir encadré sur la Constitution), à quel saint doit-on se vouer en 2018? Aux injonctions souvent violentes d’une orthodoxie religieuse anhistorique et figée sur des lois datant du VIIe siècle? Ou aux dispositions de la Constitution de 2011 qui a été votée par 98,47% des Marocains?

Quelles que soient les réponses à ces questions, Asma Lamrabet et tous les esprits libres  continueront à interpeller les réalités et à questionner les certitudes; car «c’est lorsqu’on pense avoir toutes les réponses que notre intelligence s’arrête, et que notre arrogance commence!(4)» CQFD.

L’Economiste
Edition N° 5241 du 30/03/2018


La Constitution face au Fiqh traditionnel  

Le communiqué de nomination de la nouvelle directrice du CERFI peut sous-tendre un virage inquiétant. Il définit sa mission et celle du centre comme étant «la préservation des constantes religieuses… et l’accomplissement de la recherche scientifique fondée sur les enseignements des textes religieux» (cf.www.leconomiste.com). Que sont les constantes religieuses? Les cinq piliers auxquels sont tenus les musulmans n’interdisent nullement le questionnement des lois en vigueur à l’aune des changements des contextes sociétaux. Que signifie l’affirmation de «fonder la recherche scientifique sur les enseignements des textes religieux»? Quels textes et avec quels outils de lecture? Où est passée l’approche Maqassidia basée sur les finalités et les  valeurs de justice, d’égalité et de solidarité de «l’Islam modéré»  constitutionnalisé depuis 2011 comme une des «constantes fédératrices de la Nation marocaine» (art. 1)?

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