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Afrique, que fais-tu de tes talents? Faire des villes des moteurs de transformation durable  Par –  Henri-Bernard Solignac-Lecomte

L’enjeu majeur de l’urbanisation en Afrique n’est pas d’améliorer la qualité de vie des citadins des mégapoles en croissance rapide, c’est de faire des villes ; de toutes tailles ; des moteurs d’une transformation économique et sociale durable au bénéfice de tous : urbains et ruraux. La croissance démographique et l’urbanisation rapides bouleversent profondément les économies et les sociétés africaines, et continueront de les bouleverser tout au long du XXIe siècle. Alors que les citadins représentent un peu moins de 40% de la population africaine aujourd’hui, ils seront majoritaires dans une vingtaine d’années, passant d’environ 472 millions de personnes à plus d’un milliard. Est-ce une bonne nouvelle pour le développement du continent? A priori oui. L’histoire nous enseigne que les villes ont toujours joué un rôle essentiel dans la transformation structurelle des économies aujourd’hui plus avancées: la densification des populations et des facteurs de production rendent possibles une circulation plus rapide des idées, l’amélioration de la productivité et de l’accès aux services publics grâce à des économies d’échelle, une meilleure spécialisation des acteurs, la création de marchés de consommation, etc.
Mais ce n’est pas automatique. En effet, l’urbanisation n’est qu’une dimension du cercle vertueux de la transformation structurelle – synonyme d’accélération significative et durable du progrès économique et social – qui résulte en réalité d’une triple évolution:
1- Economique: Les activités fortement productives – comme l’industrie – attirent une part de croissance de l’investissement et de la main-d’œuvre, au détriment des activités moins productives, comme l’agriculture familiale; elles offrent des emplois mieux rémunérés;
2- Démographique: La fertilité décroît rapidement – les femmes ont moins d’enfants – et la part de la population en âge de travailler et de soutenir les autres augmente.
3- Spatiale: La part de la population qui vit en ville s’accroît.
Or l’expérience de l’Afrique, jusqu’à présent, illustre l’absence de lien de causalité entre ces trois dimensions: l’urbanisation n’entraîne pas nécessairement une hausse de la productivité, ni une baisse rapide de la fécondité. Si une poignée d’économies (Afrique du Sud, Cabo Verde, Égypte, Maroc, Maurice, Tunisie) semblent engagées à des degrés divers dans ce triple processus, la grande majorité des autres sont inégalement avancées dans le processus d’urbanisation, et marquées tantôt par une transition démographique lente (notamment les pays du Sahel), tantôt une absence de diversification économique et un progrès lent et inégal des secteurs les plus productifs, souvent les deux(1).
En conséquence, les villes d’Afrique grossissent mais créent peu d’emplois décents. Pauvres en ressources, elles peinent à fournir des services publics de qualité à leurs populations, en matière de  santé, éducation, énergie, transport, sécurité, etc. Davantage urbanisées, les populations restent pourtant majoritairement pauvres, et continuent à avoir des taux de fécondité élevés(2).
Aussi, la plupart des économies et des populations d’Afrique souffrent aujourd’hui des désavantages de l’urbanisation sans en tirer tous les bénéfices. Prenons l’exemple de l’étalement urbain: faute de planification efficace et d’investissements suffisants, la plupart des villes croissent de manière largement spontanée. Et comme les bidonvilles qui progressent en tache d’huile à la périphérie d’Accra ou de Nairobi sont pour la plupart des constructions à peu ou pas d’étages, la densité urbaine décroît rapidement: les grandes villes s’étalent encore plus vite qu’elles ne se remplissent(3).
La distance entre domicile et travail s’allonge d’autant, et avec elle le temps de trajet des citadins toujours plus nombreux sur des voies de transport sous-dimensionnées, entraînant congestion et hausse significative de la pollution de l’air(4). À d’autres égards, pourtant, les villes jouent déjà un rôle essentiel, et positif, dans la transformation des économies africaines, et notamment des campagnes, par les débouchés qu’elles offrent à l’agriculture et à l’agro-industrie: les citadins ont beau ne représenter que 40% de la population, ils comptent pour environ 50% de la consommation et 60% du marché des produits alimentaires (5).
Plus d’urbains, c’est plus de consommateurs nets, de clients pour les producteurs en milieu rural. Toute une petite industrie de transformation bourgeonne rapidement autour de ces nouveaux centres de consommation (voir encadré).
Alors que manque-t-il pour que les bénéfices de l’urbanisation l’emportent sur les coûts? Les politiques publiques peuvent faire la différence: elles doivent être beaucoup plus ambitieuses et plus innovantes. Trop longtemps l’urbanisation a été subie, voire freinée, car redoutée, par les gouvernements du continent.
Les contre-exemples fleurissent, néanmoins, aujourd’hui de pays qui adoptent des politiques volontaristes pour exploiter la «mégatendance» de l’urbanisation comme une source d’énergie porteuse de transformation économique et sociale: le Maroc avec ses programmes d’amélioration des logements, le Rwanda avec sa stratégie de développement de 10 villes intermédiaires, ou encore l’Éthiopie et ses efforts de développement de transports publics de masse comme le tramway d’Addis-Abeba. Le défi reste considérable, et il ne suffira pas d’améliorer la planification et les politiques sectorielles (logement, transport, assainissement…) pour faire des villes des acteurs de la transformation économique et sociale de l’Afrique: elles doivent être placées comme telles au cœur des stratégies nationales de développement à long terme.
Celles-ci varieront nécessairement en fonction de chaque situation, mais elles devront probablement toutes viser trois grandes priorités: définir plus clairement les droits fonciers; accélérer et améliorer la fourniture d’infrastructures et de services; et gérer la croissance des villes intermédiaires, afin de favoriser la constitution d’un réseau urbain qui maximise l’effet d’entraînement sur les zones rurales. Pour réussir à mettre en œuvre ces nouvelles stratégies, des systèmes de gouvernance multi-niveaux efficaces et adaptés au contexte devront être produits par la décentralisation, mais aussi un renforcement des capacités et une transparence accrue à tous les niveaux de gouvernement. Enfin, outre les sources traditionnelles de financement du développement urbain, les échelons nationaux et locaux devront utiliser une diversité de nouveaux instruments financiers pour permettre à l’Afrique d’exploiter pleinement le potentiel de ses villes.o
Par Henri-Bernard Solignac-Lecomte est chef d’unité Afrique et Moyen-Orient au Centre de développement (OCDE).
Source: www.leconomiste.com
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(1) BAD/OCDE/Pnud (2016), Perspectives économiques en Afrique 2016: Villes durables et transformation structurelle, Éditions OCDE, Paris.
(2) Contrairement à une idée répandue, la fécondité des urbains contribue aujourd’hui davantage à l’augmentation de la population des villes en Afrique que l’exode rural.
(3) Au rythme actuel, la population urbaine devrait faire un peu plus que doubler d’ici à 2050, mais la surface des villes africaines pourrait être multipliée par 6 ou 8.
(4) Les travaux récents du Centre de développement de l’OCDE montrent que les coûts humain et économique de la pollution de l’air ambiant – dont les véhicules à moteur sont la principale source en l’absence de développement industriel rapide – ont progressé si vite depuis vingt ans en Afrique qu’ils sont comparables aujourd’hui à ceux de l’insuffisance pondérale infantile. Voir Roy, R. (2016), «The cost of air pollution in Africa», OECD Development Centre Working Papers, No. 333, OECD Publishing, Paris.
(5) Reardon, T. et al. (2013), «The emerging “Quiet Revolution” in African agrifood systems», brief for Harnessing Innovation for African Agriculture and Food Systems: Meeting Challenges and Designing for the 21st Century, Addis-Abeba.


Un des visages de l’industrialisation tant attendue

La croissance urbaine en Afrique subsaharienne a deux caractéristiques assez méconnues.  D’abord, elle s’accompagne d’une croissance qui demeure soutenue de la population en milieu rural: les villes se remplissent, mais les campagnes aussi, et il faut trouver à leur main-d’œuvre des emplois agricoles et non agricoles. Ensuite, ce sont les petites villes africaines, et non pas les «mégapoles», qui voient leurs populations augmenter le plus vite, développant des réseaux commerciaux plus denses avec les zones rurales: la plupart des africains urbains de 2050 vivront dans des agglomérations de moins d’un million d’habitants.
Aussi, loin d’être un épiphénomène, cette prolifération de petits établissements de transformation des produits de l’agriculture, moins productifs que la grande industrie mais plus que l’agriculture, créateurs d’emplois et servant les marchés locaux pourrait bien être un des visages de l’industrialisation tant attendue du continent.

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