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Flux financiers illicites: 13 économies criminelles qui plombent l’Afrique de l’Ouest

 

Les Flux financiers illicites (FFI), définis comme «les capitaux acquis, transférés ou utilisés illégalement», sont de plus en plus perçus comme une menace pour le développement durable, et l’un des plus grands défis actuels pour le développement mondial.
Et pour cause : les FFI coûtent cher ; ils sont souvent associés au trafic d’armes, au trafic de stupéfiants et aux marchandises qui alimentent les conflits.
Comparée à l’ensemble du continent africain, l’Afrique de l’Ouest souffre certainement le plus sévèrement de l’impact des flux illicites. Ses indicateurs de développement modestes, ses institutions étatiques faibles et sa capacité réglementaire limitée favorisent le détournement de ressources et l’accomplissement d’actes illégaux. S’appuyant sur une collaboration avec la Banque africaine de développement (BAD), le Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique de l’Ouest (GIABA), le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) et la Banque mondiale, l’OCDE a produit un rapport qui examine la nature de treize économies criminelles et illicites, en vue d’identifier les interrelations qu’elles entretiennent avec les processus de développement et les flux financiers qui en résultent.
Rendu public le 20 février dernier, le rapport identifie les réseaux et les facteurs qui permettent à ces économies criminelles de prospérer, en mettant particulièrement l’accent sur les acteurs et leurs motivations.

Trafic de drogues
Trois flux majeurs de drogues illicites transitent par l’Afrique de l’Ouest: la cocaïne, le cannabis et les méthamphétamines. Le trafic de cocaïne serait le plus lucratif. Quelle est la nature et l’échelle de ce flux ? Selon le rapport de l’OCDE, depuis 2007 environ, l’Afrique de l’Ouest s’est fait connaître comme une zone de transit pour la cocaïne en provenance d’Amérique latine, destinée aux marchés européens. La cocaïne est communément considérée comme le «fer de lance» du trafic de drogues, parce qu’elle génère des profits plus importants que n’importe quel autre marché illicite non seulement dans la région, mais aussi à l’échelle
mondiale. L’étude de cas sur les stupéfiants illicites transitant par l’Afrique de l’Ouest (OCDE) estime que les acteurs ouest-africains gagnent 40 millions USD par an grâce au trafic de drogues.
En termes de flux financiers illicites, le trafic de cocaïne est évalué à environ 2 milliards USD. Si sur le marché mondial cela peut être considéré comme de la petite monnaie ; en Afrique de l’Ouest, cela représente une somme considérable. En 2009, ce montant aurait dépassé le PIB total de nombreux États, avec des effets importants sur les économies politiques des pays en question.

Enlèvements contre rançons
Les enlèvements contre rançons constituent l’un des crimes en plein essor qui génèrent des revenus illicites. Bien qu’étroitement liés au terrorisme dans la région, les enlèvements contre rançons ne sont pas limités à des groupes terroristes, et constituent actuellement un moyen préféré et opportuniste des groupes criminels de lever des fonds.
En 2004, le continent africain comptabilisait seulement 2% d’enlèvements contre rançons dans le monde (JLT Group, 2012). Depuis, les enlèvements contre rançons ont connu une croissance exponentielle : en 2015, 13 % d’enlèvements mondiaux ont été perpétrés sur le continent africain et visaient principalement la population locale (Control Risks, 2016).
Au Sahel, les paiements de rançons semblent étroitement liés aux gouvernements locaux et centraux de la région. Plusieurs négociateurs et intermédiaires privilégiés se sont fait connaître, souvent étroitement associés aux chefs d’État (Reitano et Shaw, 2015). Il est communément supposé qu’ils gardent un pourcentage de la rançon et en remettent une part à leurs patrons (Lacher, 2012). Les négociateurs perçoivent 10 % du montant total de la rançon, un effet pervers qui les dissuade de chercher à réduire le montant à payer (National Public Radio, 2014).

Pirateries maritimes
La piraterie maritime et les vols à main armée sur les navires sont de plus en plus préoccupants dans le Golfe de Guinée en raison de leurs conséquences économiques et sécuritaires importantes. Selon l’International Maritime Bureau, 41 des incidents enregistrés ont eu lieu en Afrique de l’Ouest, dont 18 attaques au Nigeria (14 contre des pétroliers et autres vaisseaux associés à l’industrie du pétrole). En Afrique de l’Ouest, les attaques surviennent généralement lors des transferts entre navires, avec l’intention de voler la cargaison de pétrole et les autres avoirs de grande valeur.
D’après les estimations, les coûts annuels de la piraterie en Afrique de l’Ouest avoisineraient 565 millions USD à 2 milliards USD.
Cependant, la plupart des coûts liés à la piraterie sont des coûts indirects, subis par les pays ou entreprises chargés d’assurer ou de protéger les cargaisons ou de répondre aux attaques, et les pertes nettes associées. La plupart des attaques sont de simples vols de marchandises, évalués dans une fourchette de 10.000 USD à 15.000 USD chacun. Ainsi, au cours des dernières années, les pirates eux-mêmes ne
gagneraient que 1,3 million USD par an (ONUDC, 2013b).
Dans l’absolu, les coûts réels de la piraterie maritime et des vols à main armée sont moins élevés que les pertes considérables engendrées par le détournement de pétrole, estimées à 2-3 milliards USD par an. Le coût économique de la piraterie maritime dans le Golfe de Guinée a été estimé à 982 millions USD en 2014 ; 47 % de ces coûts sont supportés par l’industrie (Oceans Beyond Piracy, 2014).

Cybercriminalité
Les pays d’Afrique de l’Ouest jouent un rôle primordial dans la croissance et l’innovation de la cybercriminalité. En règle générale, la cybercriminalité a évolué ; passant des arnaques sur les avances de frais («arnaques 419») émanant principalement du Nigeria et du Ghana à des opérations plus complexes perpétrées dans un plus grand nombre de pays. Alors que la cybercriminalité revêt de nombreuses formes, elle peut être divisée, pour l’Afrique de l’Ouest, en trois catégories: l’activité criminelle traditionnelle rendue possible par les avancées technologiques; la cybercriminalité de première génération (la lettre nigériane), et la cybercriminalité de deuxième génération.
En 2013, les pertes estimées émanant des «arnaques 419» s’élevaient à 12,7 milliards USD; plus de 78 % des responsables étaient nigérians ou membres de la diaspora nigériane.
Depuis 2011, les ‘’arnaques 419’’ font l’objet de signalements élevés dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest tels que le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Cameroun, la Sierra Leone, la Gambie, le Bénin et le Ghana.
L’unité anti-cybercriminalité de Côte d’Ivoire signale des arnaques totalisant 6,2 millions USD en 2012 et 6,6 millions USD en 2013 ; un nombre croissant d’arnaques cible maintenant la population autochtone, ainsi que les victimes internationales.
En 2009, MoneyGram International, Inc. a déboursé 18 millions USD pour régler les chefs d’accusations de la Federal Trade Commission (Commission fédérale du commerce des États-Unis) selon lesquels la société avait permis à des télévendeurs frauduleux de se servir de son système de transfert d’argent pour duper des consommateurs américains en
les persuadant de virer plus de 84 millions USD à l’intérieur des États-Unis, ainsi qu’au Canada.

Trafics des migrants
La migration n’est pas un crime en soi, mais de nombreux migrants ont recours aux services de trafiquants-à savoir, des intermédiaires qui organisent le passage des migrants sur un tronçon du voyage ou pendant la durée du voyage. Selon la convention des Nations-Unies contre la criminalité transnationale organisée, le trafic des migrants est illégal.
En 2014, les Nigérians et les Gambiens étaient les nationalités les plus souvent détectées ; en augmentation de plus de 80 % sur l’année précédente – le niveau le plus élevé jamais enregistré dans la région. Les Maliens représentaient le troisième flux de migrants en termes de volumes globaux, après les Syriens et les Erythréens.
En parallèle, sur la même période, l’Italie enregistrait un nombre important d’Africains subsahariens de nationalité non identifiée.
D’après les estimations préalables, les bénéfices générés en Afrique de l’Ouest totalisaient 155 millions USD en 2010 et environ 105 millions USD en 2011 (ONUDC, 2013b). Compte tenu du volume accru du flux au cours des dernières années, avec un pic en 2015 (Global Initiative, 2016), ces chiffres sont sans doute montés en flèche. Un rapport produit en 2015 estime qu’une tribu africaine très impliquée dans le trafic des migrants au nord du Niger et au sud de la Libye gagnerait environ 60.000 USD par semaine (Reitano et Tinti, 2015).

NK


Le saviez-vous?

Stupéfiants
Avec un bénéfice annuel estimé à près de 40 millions de Dollars, le trafic de cocaïne a un impact délétère sur le développement ; moins en termes monétaires que par la corruption des décideurs qu’il nourrit dans la région.

Produits contrefaits et de qualité inférieure
• Selon l’Union européenne, 60% de la valeur marchande de tous les médicaments en Afrique de l’Ouest seraient attribuables à des médicaments contrefaits ou de qualité inférieure.
• Les médicaments de qualité inférieure et contrefaits posent de très graves risques pour la santé. L’Afrique de l’Ouest, l’une des régions les plus touchées par le paludisme, est particulièrement vulnérable aux médicaments antipaludiques contrefaits.

Extraction illégale de pétrole et de minerais
• En 2013, le Nigeria perdait 100.000-250.000 barils de pétrole par jour, soit des pertes estimées à environ 3-8 milliards USD par an. Il est estimé que cette somme pourrait financer l’accès à l’électricité pour tous les Nigérians d’ici à 2030.
• Les estimations du coût annuel de la piraterie en Afrique de l’Ouest varient entre 565 millions USD et 2 milliards USD, bien que le montant supérieur soit basé sur les estimations de détournements de pétrole originaire du Golfe de Guinée ou transitant par celui-ci
• Entre 50 % et 90 % des diamants de la Sierra Leone sont trafiqués. En même temps, des cinq entreprises minières principales du pays, une seule a payé l’impôt sur les sociétés en 2011.

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