Avec l’usage d’Internet et la montée des réseaux sociaux, le Bangladesh a connu une hausse du cyberharcèlement sexiste. En 2016 uniquement, 73 % des femmes et des jeunes filles bangladaises ont subi ce type de cybercriminalité. Or, elles ne représentent que près d’un cinquième des utilisateurs de réseaux sociaux du pays.
En l’absence de réponse adéquate des pouvoirs publics, une poignée d’organisations s’est engagée dans la lutte contre la cybercriminalité dirigée contre les femmes. Crée en 2016, FEM (de l’anglais « Female Empowerment Movement »), en fait partie. Situé à Dacca, la capitale bangladaise, le mouvement a lancé un programme − d’autodéfense numérique − « Cyber Attorokkha » en Bengali −, pour former les femmes et les jeunes filles à la sécurité en ligne.
Au cours du déploiement d’un programme phare visant à garantir la mobilité et la sécurité des habitantes des quartiers déshérités de Dacca – « Project Attorokkha » −, Zaiba Tahyya, cofondatrice du mouvement, a pris conscience « des lacunes des femmes en matière de cybersécurité », d’où leur extrême vulnérabilité face aux prédateurs.
Résolu à agir, le coordonnateur du projet, Tajwar Hoque, a conçu le programme « Cyber Attorokkha » pour transmettre aux femmes et aux jeunes filles – en particulier dans les zones défavorisées –, le b.a.-ba de l’informatique, de l’autodéfense sur les réseaux sociaux et des risques associés aux courriers indésirables et au hameçonnage (tactique des fraudeurs pour tenter d’obtenir des données personnelles sensibles en se faisant passer pour un tiers de confiance).
Tania Tanjina Akhter, diplômée du programme « Cyber Attorokkha », se souvient que nombre de ses amies du bidonville de Korail à Dacca ont fait les frais de ces mauvaises rencontres sur les réseaux sociaux. L’une d’elle aurait même songé au suicide. Une connaissance en ligne la faisait chanter au moyen de photos intimes, pour la forcer à l’épouser. Mais avec l’aide de Tania, la jeune fille a tenu bon et repris le contrôle de son identité en ligne. Des histoires comme celles-ci, Zaiba Tahyya en a malheureusement entendu beaucoup.
Pour créer un faux profil, il suffit aux cyberprédateurs de télécharger l’ensemble des photos publiées par la jeune fille sur Facebook ; puis d’envoyer des demandes d’ami à ses connaissances. Nombreux les accepteront, sans se méfier du danger. S’ensuivent, enfin, la diffamation ou l’opprobre – parfois, au moyen d’un montage photo du visage de la jeune fille sur des corps de femmes nues –, pour attiser les rumeurs du voisinage, des amis ou de la famille. Les cybercriminels exploitent le sentiment de honte des victimes. Car les jeunes filles n’osent en général pas signaler ces délits, de peur d’aggraver la situation et d’entraîner davantage de cyberagressions.
Hormis les réseaux sociaux, « Cyber Attorokkha » aborde également d’autres dimensions de la sécurité en ligne. « Nous enseignons aux élèves de nombreux aspects concernant la sécurité des appareils et des connexions à Internet, comme le wifi public et les risques qu’il présente », explique Zaiba Tahyya. « Nous abordons avec elles les principales techniques de piratage et leurs parades – au premier rang desquelles le piratage psychologique. Nos cours ne portent pas uniquement sur Facebook, mais s’inscrivent dans une vision plus large de la vie privée et de la sécurité sur Internet. »
Ces méthodes portent leurs fruits. « Les jeunes filles qui suivent aujourd’hui nos cours appliquent ces principes chez elles. Elles prennent des initiatives et incitent les autres jeunes filles à préserver leur vie privée et à réfléchir aux conséquences que peut entraîner le partage d’informations », poursuit Zaiba Tahyya. « La formation d’une seule jeune fille au sein d’une même communauté exerce un effet d’entraînement. »
Tania, diplômée du programme, dresse le bilan de son expérience : « D’abord, je sais maintenant me défendre sur Internet. Ensuite, si le harcèlement continue, quel qu’il soit, je sais que je peux le signaler à la police. » Sûre de ses droits, Tania ajoute « Se taire n’est pas une option ».
Hormis la sécurité en ligne, « Cyber Attorokkha » enseigne aux jeunes filles les rudiments de l’informatique indispensables au monde professionnel. Comme la plupart des jeunes filles sont encore scolarisées, le programme porte sur les principaux composants du circuit intégré, la programmation et le codage. « Certaines mettent au point des alarmes de sécurité à bas coût », indique Zaiba Tahyya avec une pointe de fierté.
Son parcours a pourtant été semé d’embûches. Certains parents trouvaient imprudent d’envoyer leurs enfants dans un lieu méconnu. Recruter des jeunes femmes représentait un défi de taille. « Nous avons dû partir de zéro, bâtir des relations et gagner les confiances », se souvient la cofondatrice. Dans une société bangladaise conservatrice, être une femme aux commandes constituait un handicap supplémentaire. Les propriétaires souhaitaient hélas s’adresser à un homme et refusaient l’idée même d’allouer un local à l’usage exclusif de femmes.
Pour la suite, Zaiba Tahyya affiche son ambition : « J’ai pour principal objectif et vocation d’améliorer la mobilité et la visibilité des Bangladaises dans l’espace public réel comme virtuel », dit-elle. « Je veux réduire leur vulnérabilité. »
https://www.fem.org.bd/copy-of-cyber-attorokkha
Nazmul Ahasan appartient à l’équipe de rédaction du quotidien bangladais The Daily Star.