Selon le Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples (MBDHP), 34 personnes ont été tuées lors de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, sur l’ensemble du territoire national. Parmi ces personnes, 21 ont trouvé la mort à Ouagadougou, 7 à Sebba, 3 à Ouahigouya, 2 à Bobo-Dioulasso et 1 à Léo.
Sur les 34 personnes tuées, 19 l’ont été par balles. Du côté du gouvernement, on parle de 24 morts dont 19 par balles.
Quelles sont ces victimes ? Quelles sont les circonstances de leur mort ? A l’ occasion du 3e anniversaire de l’insurrection, les langues se délient. L’Economiste du Faso a tenté de recouper les informations récoltées, afin de faire le jour sur les présumés auteurs de ces tueries.
Le 21 octobre 2014, une séance extraordinaire du Conseil des ministres s’est tenue de 9h00 à 11h45 mn et a adopté le seul dossier inscrit à son ordre du jour : le projet de loi portant révision de la Constitution, conformément aux dispositions des articles 161 à 165 du titre XV de la Constitution. «Le Conseil a marqué son accord pour la transmission de ce projet de loi à l’Assemblée nationale, conformément à l’article 163 de la Constitution, en vue de la convocation d’un référendum», pouvait-on lire dans le compte rendu.
Dès le 22 octobre, l’opposition politique informait qu’elle compte lancer une campagne de désobéissance civile par une journée nationale de protestation, dans tout le pays, le 28 octobre 2014. Dans l’après-midi du 27 octobre 2014, les femmes effectuaient une marche à Ouagadougou contre ce projet de modification de la Constitution.
La manifestation de l’opposition le 28 octobre 2014
La manifestation de l’opposition, le 28 octobre, a mobilisé des milliers de personnes à Ouagadougou et dans les provinces. Pendant que l’opposition avançait le chiffre de plus d’un million de manifestants à Ouagadougou, la police parlait de 50.000 personnes.
Suite à cette manifestation, l’heure du vote du projet de loi portant révision de la Constitution qui était prévue pour le jeudi 30 octobre 2014 à 16h est ramenée à 10h par l’Assemblée nationale.
Si ce projet était adopté par la majorité simple des députés, c’est-à-dire 64 voix, il devrait être soumis au référendum. Mais si les 3/4 des députés (96 députés) l’adoptaient, le référendum n’avait plus de raison d’être. Le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) était confiant en ce vote, puisqu’il avait le soutient de l’ADF/RDA.
Cette révision de l’heure du vote a contribué à aggraver la crise. En a témoigné ce communiqué du chef de file de l’opposition, Zéphirin Diabré, qui invitait le peuple burkinabè à assister à la séance de vote, conformément à l’article 63 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale qui indique que les séances de celle-ci sont publiques. Toute la ville de Ouagadougou va alors connaitre des manifestations spontanées que la police va tenter difficilement de contenir.
Selon une source bien introduite dans le milieu politique en ce moment-là, le ministre de la Sécurité de l’époque, Jérôme Bougouma, a mis en place une cellule de crise comme cela se fait lorsqu’une manifestation d’envergure nationale est organisée par l’opposition ou par les syndicats. Cette cellule mise en place à la faveur de la manifestation du 28 octobre 2014 était composée des différents corps chargés de maintien de l’ordre public au sein de la police nationale, la gendarmerie, de l’armée et du Régiment de sécurité présidentielle (RSP). La cellule était dirigée par le Colonel Remi Kaboré, conseiller technique du ministère de la Sécurité. La cellule avait pour membres le Colonel Boubacar Ba pour le compte de l’armée nationale. Ce dernier a occupé le poste de ministre en charge des Mines sous la transition. Le Colonel-Major Boureima Kéré pour le compte du RSP, le Général Gilbert Diendéré en sa qualité de chef d’état-major particulier de la présidence du Faso. L’ampleur de la mobilisation du 28 octobre 2014 n’a pas laissé le gouvernement indifférent. Luc Adophe Tiao convoquera une réunion d’urgence pour s’assurer de l’efficacité du dispositif sécuritaire (Lire encadré).
Dans la matinée du 30 octobre 2014, très tôt, de nombreuses personnes commencent à converger vers l’Assemblée nationale. La police, la gendarmerie et le RSP étaient déjà en position à certains lieux stratégiques.
Dispositif de maintien de l’ordre le 30 octobre 2014
Selon la répartition, le maintien de l’ordre le 30 octobre 2014 devait être assuré par les éléments de la police nationale ; précisément la Compagnie républicaine de sécurité (CRS) ; la gendarmerie et le RSP.
Le RSP était présent dans le dispositif parce qu’il recevait ses instructions du chef d’état-major particulier de la présidence.
Le chef d’état-major général de l’ar Insurrection d’octobre 2014: au moins 6 personnes tuées par le RSP mée, qui n’avait pas encore reçu la réquisition du Premier ministre, n’a pas engagé des éléments ce jour-là. Toutefois, les militaires ont été déployés pour surveiller certains sites comme l’ONEA, la SONABEL, etc.
Ils étaient environ 250 éléments de la CRS mobilisés ce jour-là sous les ordres du Commissaire Olivier Sanou. Ils occupaient le rond-point des Nations-Unies et les voies d’accès de l’Assemblée nationale du côté du lycée Philippe Zinda Kaboré. Le nombre des éléments de la gendarmerie mobilisés ce jour avoisinait les 250. Sous les ordres du Commandant Coulibaly Kanou, ils étaient postés essentiellement sur l’Avenue Charles de Gaulles, au-delà de l’Université de Ouagadougou. Cette présence visait à protéger le domicile de François Compaoré.
Quant au RSP commandé par le Lieutenant-Colonel Yacouba Isaac Zida, au centre-ville, ses éléments étaient positionnés derrière la CRS, au niveau du rond-point des Nations-Unies et sur la route qui passe devant la direction générale des impôts et l’hôtel Azalaï.
On les retrouvait également après l’échangeur route de Pô en direction de Ouaga 2000, devant l’hôtel Laïco, et au rond-point de la télévision BF1. Le RSP occupait également ses anciennes positions comme le domicile de François Compaoré, la radio nationale, la télévision nationale et le «Conseil» qui abritait le bureau de François Compaoré et les domiciles de certains hauts gradés du RSP. Mais après l’incendie de l’Assemblée nationale, le saccage de la télévision nationale et du domicile de François Compaoré, les éléments du RSP en poste à ces différents sites ont regagné le camp Naaba-Koom.
Localisation des personnes tuées
Une personne (Gaston Karambiri) a retrouvé la mort vers le domicile de François Compaoré le 30 octobre 2014, par une balle. Il revenait du centre-ville avec d’autres personnes lorsque les coups de feu ont été tirés du domicile de François Compaoré. De nombreux blessés ont aussi été enregistrés en ce lieu.
4 personnes ont été tuées dans la zone de Ouaga 2000, précisément sur la route qui passe devant l’hôtel Laïco jusqu’au siège de la télévision BF1. De nombreux blessés ont aussi été enregistrés en ces lieux gardés par le RSP. Selon les témoignages, le 30 octobre 2014, après l’incendie de l’Assemblée nationale, les manifestants se sont dirigés vers Kosyam. Face à la pression exercée par les manifestants, les hommes de Zida positionnés vers les hôtels Palace et Laïco ont commencé à replier. C’est pendant leur repli qu’ils ont tiré sur les manifestants.
Une personne (Yempabou Fabrice Aristide Ouoba) a été tuée dans la zone de Boins yaaré, non loin de la pharmacie Saint Lazare, le 30 octobre 2014, après le passage d’un cortège de véhicules occupés par des éléments du RSP. Ce cortège qui semblait regagner Ouaga 2000 après l’incendie de l’Assemblée nationale était occupé soit par les éléments en poste chez François Compaoré, soit par les RSP qui ont quitté le «Conseil», soit par ceux venus de l’Assemblée nationale.
Le 2 novembre 2014, à la télévision nationale, 2 morts (Moubarak Belem et Ouébidoua Aouedri) ont été enregistrés, alors que Saran Séré Sermé et Kouamé Lougué se sont succédé dans les locaux de la télévision. Un groupe de militaires du RSP venus vraisemblablement de camp Naaba-Koom a tiré sur la foule, occasionnant les 2 morts. Le 2 novembre 2014, Yacouba Isaac Zida s’était déjà auto-proclamé chef de l’Etat. Il est à même de dire avec exactitude quels sont les hommes qui constituaient ce groupe. De nombreux blessés ont été enregistrés sur les sites gardés par la CRS. Mais on retiendra qu’au moins 6 personnes ont été tuées sur des sites gardés par le RSP, le 30 octobre et le 2 novembre 2014. Le RSP était dirigé ce moment-là par Yacouba Isaac Zida, secondé par le Capitaine Hamidou Kouda et le Lieutenant Noumoutié Traoré.
Joël BOUDA
Rejet de la demande de réquisition du gouverneur de la région du Centre
Sentant que la police et la gendarmerie ne pouvaient plus rien face aux manifestants, le gouverneur de la région du Centre, le Colonel Georges Marie Compaoré, s’est adressé au responsable de la 3e région militaire basée à Ouagadougou pour réquisitionner les éléments de l’armée. Cette demande de réquisition a été simplement rejetée pour la simple raison que seul le Premier ministre pouvait saisir le chef d’état-major général des armées pour une telle réquisition.o
Ben Youssouf Minoungou: victime de tortures par 4 éléments du RSP
Le 30 octobre 2014, derrière Top 2000, Ben Youssouf Minoungou, journaliste de son état, a fait l’objet de tortures infligées par 4 éléments du RSP. Il raconte :
«Après la manifestation en ville, je suis revenu à la maison pour prendre ma tablette et me diriger vers le palais de Kosyam.
Au niveau de la radio Ouaga FM, j’ai constaté que les manifestants avaient dépassé l’hôtel Palace. J’ai alors décidé d’emprunter la rue parallèle qui mène à la Salle de Conférences. 2 militaires sur une moto ont foncé sur moi. En tentant de leur échapper, je suis tombé et ma moto s’est retrouvée dans le caniveau. Je me suis abrité dans une touffe d’épineux, avant de constater des blessures aux genoux et aux paumes.
Après, quand j’ai tenté de sortir de la zone, pour aller vers la clinique les Genets, je suis encore tombé sur 4 militaires qui m’ont obligé à me coucher sur le bitume chaud avant de me battre». « Tapez sa bouche, ses yeux. Ce sont les journalistes qui racontent n’importe quoi pour envenimer la situation, pourtant il n’y a rien», vociférait un d’eux.
Après lui avoir demandé de se rhabiller, ils ont confisqué sa tablette et son passeport. C’est ainsi, Ben a été conduit au CMA du 30 par un ami pour les premiers soins.
La réquisition spéciale du Premier ministre Luc Adolphe Tiao
Le Premier ministre Luc Adolphe Tiao a rencontré les membres de la cellule de crise le 28 octobre dans la soirée, pour s’assurer que le dispositif qui sera mis en place le 30 octobre permettra aux députés d’adopter la loi en toute sérénité. Cette réunion a vu la présence d’autres membres du gouvernement, des premiers responsables de la police, de la gendarmerie, de l’armée nationale, de l’intendant militaire, du génie militaire, des renseignements et d’autres personnes comme le maire de la commune de Ouagadougou.
Selon nos informations ; à cette rencontre, les responsables des unités chargées du maintien de l’ordre de la police et de la gendarmerie ont avoué que leurs éléments étaient totalement débordés par l’ampleur des manifestations. En plus de la fatigue dont souffrent ces éléments, ils font face à un manque crucial de moyens matériels pour les interventions.
Après cet état des lieux, il a été décidé que l’armée nationale intervienne aux côtés de la police et de la gendarmerie.
Cependant, le Général Honoré Nabéré Traoré, chef d’état-major général des armées, a fait remarquer que cela nécessiterait une réquisition spéciale. Un des participants à cette réunion a fait remarquer que Luc Adolphe Tiao a insisté sur le fait qu’il ne voulait pas d’effusion de sang.
Le compte rendu de la rencontre a été fait à Blaise Compaoré qui a proposé de soumettre la proposition de réquisition au Conseil des ministres du 29 octobre 2014. Tous les ministres présents à ce conseil des ministres ont adhéré à cette idée. C’est ainsi que Luc Adolphe Tiao a été instruit de prendre cette réquisition.
Des témoignages tendent à indiquer que le ministre de la Sécurité, Jérôme Bougouma, et le chef d’état-major général des armées, Honoré Traoré, ne se sont pas accordés sur qui devait initier cette réquisition pour le Premier ministre. Finalement, c’est en fin de soirée du 29 octobre 2014 que le projet a été envoyé au Premier ministre qui l’a signé. Cette réquisition n’arrivera aux mains du Général Honoré Nabéré Traoré, le 30 octobre 2014, qu’après l’incendie de l’Assemblée nationale.