Ce 2 octobre marque le premier jour des classes. L’Economiste du Faso s’est approché du ministère de l’Education nationale et de l’Alphabétisation pour prendre le pouls de ses préparatifs par ce département. Par l’occasion, le ministre Jean Martin Coulibaly aborde les grands chantiers en cours et le processus de règlement de la question du paiement des vacations.
L’Economiste du Faso: Etes-vous prêts pour cette rentrée 2017-2018 ?
Jean Martin Coulibaly, MENA: On peut dire que nous sommes prêts. L’idée de la rentrée administrative vise justement à préparer correctement la rentrée pédagogique. L’administration regarde tout ce qu’il faut mettre en place pour permettre que, le jour de la rentrée des enfants, tout soit prêt. Le lancement de larentrée administrative a eu lieu en premier le 8 septembre dans le Sud-Ouest. Nous avons avancé sa date là-bas, parce que cette région accueillera les festivités du 11-Décembre, qui nécessitent souvent que l’on réquisitionne des salles de classe. Au niveau national, elle a eu lieu le 18 septembre. Cela a permis aux administrations, en collaboration avec les associations de parents d’élèves, de se concerter afin d’organiser la rentrée pédagogique. Les échos que nous avons jusque-là ne font pas état de difficultés particulières.
Une rentrée scolaire, c’est aussi un mouvement de personnel, des affectations, des nominations…
En vue de la rentrée, ce que nous appelons ici le mouvement du personnel se fait avant. Nous l’avons donc fait en août. Ce que nous avons fait récemment, c’est un mouvement de fonctions, avec la nomination des chefs de circonscriptions d’éducation de base, ces vendredi et lundi (NDLR: l’interview a eu lieu le mercredi 27 septembre). Il y aura donc des transferts de charges entre ceux qui partent et ceux qui arrivent. La raison est simple: la fin de formation des élèves-inspecteurs arrive un peu tard ; et le temps d’établir tous les actes administratifs, cela nous rapproche de la rentrée ; nous travaillonsdonc à ce que ces affectations se fassent avant la rentrée administrative afin que tout le monde soit en poste à temps. Mais je voudrais signaler que l’éducation a des contraintes propres à elle qui font qu’à tout moment de l’année scolaire, nous prenons des mesures d’affectation ; mais cela reste circonscrit.
Du côté des infrastructures d’accueil des nouveaux et anciens élèves, il n’y a pas de souci particulier aussi ?
C’est clair que nous n’avons pas toutes les infrastructures dont nous avons besoin. Il faut que l’on se dise la vérité à ce niveau-là. Je voudrais aussi rappeler qu’un des engagements du chef de l’Etat pendant sa campagne est de faire qu’à l’horizon 2020 il n’y ait plus de classes sous paillottes ; en tout cas, parmi les 4.353 qui ont été identifiées.
Nous travaillons aussi à cela. Mais il faut attirer l’attention de l’opinion sur le fait qu’en plus de ce chiffre, il faut tenir compte de l’accroissement de la population et de la nécessité d’ouvrir de nouvelles classes. Ce qui est clair en ce qui concerne les ressources habituelles du département est qu’il est difficile de suivre le rythme de la croissance des effectifs avec. Ce que nous avons proposé au gouvernement, et que je pense que nous en sommes en passe de faire, c’est de réaliser d’un coup un certain nombre d’infrastructures sur lesquelles nous sommes en retard. Nous avions fait le point, et il nous fallait plus de 2.200 salles de classe pour résorber le déficit. Nous avons donc inscrit cette initiative dans la dernière loi sur les PPP. Des partenaires sont prêts à la préfinancer, pour qu’ensuite nous leurs remboursions sur le budget de l’Etat, en son volet dotation du MENA.
Si, en 2018, ces constructions commencent, cela nous permettra de loger ici et maintenant tous nos effectif. C’est l’avantage du mécanisme que nous sommes en train de mettre en place. Mais, si on attend de le faire sur le rythme du budget normal de l’Etat, nous aurons au fil des ans de nouvelles classes sous paillottes.Et cela laissera l’impression que nous sommes toujours en train de courir après ce besoin.
Je voudrais signaler la dimension de l’enseignement technique et professionnel. C’est notre second dossier PPP. Nous soumettrons au gouvernement une vingtaine, voire une trentaine, de constructions, selon le niveau de soutenabilité de l’emprunt.
En principe, la loi prévoit 6 mois pour contractualiser les projets PPP. Où en êtes-vous exactement avec les vôtres?
Pour ce qui nous concerne, nous avons des offres relatives aux écoles sous paillotes, aux infrastructures d’EFTP (Enseignement et formation techniques et professionnels). Une commission a été mise en place pour étudier toutes les propositions reçues et les compareravec les critères contenus dans loi votée. Cela nous a permis de constituer une liste restreinte. Une commission mise en place par le gouvernement et comprenant tous les ministères concernés par le secteur en question (Urbanisme et Habitat, Economie et Finances,etc.) examine la short-list pour voir quel sont les soumissionnaires qui satisfont nos exigences. Sur cette base, nous demanderons au gouvernement l’autorisation de contractualiser avec les partenaires retenus. Nous avions 6 mois pour achever ce processus. La mise en œuvre se fera après. Nous sommes prêts, et pensons que d’ici à la première quinzaine d’octobre, les commissions se teindront et les partenaires viendront défendre leurs offres.
Les résultats du BEPC-2017 n’ont pas été bons. Comment comptez-vous juguler cette situation pour les années à venir ?
En fait, c’est une tendance générale qui s’observe depuis 10 à 15 ans. Et cela est valable pour tous les examens. Il y a donc un phénomène dans notre système qu’il faut étudier. Personnellement, je pense que les enfants ne sont pas moins intelligents. De deux choses, l’une: ou bien c’est le système qui n’enseigne plus ce qu’il faut enseigner; ou bien les enfants n’arrivent plus à apprendre ce qu’ils doivent apprendre, dans les cadres que nousleur offrons; ou bien c’est le système d’évaluation qui n’arrive plus à mesurer réellement ce que les enfants ont appris.
En matière d’évaluations, il peut arriver que l’outil qu’on met en œuvre n’arrive pas à évaluer ce qu’on veut mesurer. Tout compte fait, il est clair que ces résultats n’honorent pas notre système, et il ya nécessité de réagir.
Mais, comment solutionne-t-on ce problème ?
Les pistes sont connues. Le premier déterminantde la qualité de l’enseignement, c’est l’enseignant. Est-ce que nos enseignants, dans leur grande majorité, sont bien qualifiés pour faire le travail ? Si ce n’est pas le cas, qu’est-ce qu’on doit faire ? C’est une question qui vaut la peine d’être posée; et il faut se donner le temps et les moyens d’y répondre efficacement. Tôt ou tard, il faudra qu’on en arrive à une espèce d’évaluations de l’enseignant. Avant la préoccupation de compétences, il faut poser la préoccupation relationnelle. L’enseignant qui est en face des enfants montre-t-il de l’empathie pour eux ? Démontre-t-il de l’amour pour les enfants ? Est-il enthousiaste de leur transmettre des connaissances ?
Mais, l’empathie, l’amour pour les enfants et l’enthousiasme ne sont pas enseignés dans les écoles de formation des enseignants ?
Je pense que ce sont des prérequis qu’il faut détecter au niveau des recrutements. Le processus de recrutements actuel ne me semble pas correspondre à la vision qu’on a d’avoir des gens qui sont qualifiés pour ce travail. On recrute actuellement en faisant des tests de QCM et de psychotechnique.
Quand je réfléchis à voix haute, je ne vois pas où l’on teste la capacité de maitrise du français en tant que medium de l’enseignement. Pourtant, si on n’a pas cette maitrise, tout le reste est fragile. Le deuxième élément est qu’un enseignant doit avoir de l’empathie, doit aimer son métier et aimer partager ses connaissances, aimer s’occuper des enfants. Quand est-ce qu’on teste tout cela chez le futur enseignant? Je ne vois pas encore ! Si on n’a ni l’un ni l’autre de ces deux fondamentaux, il y a un point d’interrogation sur l’habilité de la recrue comme enseignant. Si on ajoute à cela nos classes surpeuplées, il est évident que le résultat escompté ne sera pas atteint.
Avec toutes ces difficultés, on vous a reversé le préscolaire…
Oui ! Mais le continuum, nous l’avons réduit à certaines zones, parce que ce n’était pas tenable. Au rythme où on allait, nous n’avions ni les moyens ni l’organisation nécessaires pour y faire face. Avec cette génération qui arrive en 3e cette année, on va peut-être sortir de cette difficulté-là. Sinon, cette décision a créé beaucoup de difficultés au système et nuit à la qualité de l’enseignement.
Ma crainte c’est que, cette année scolaire, l’on fasse des résultats moins bons que ceux de l’année qui s’est achevée. Ce sont des enfants qui ont eu des parcours très compliqués avec leurs enseignants. On peut craindre que cela ne leur soit pas favorable si des dispositions ne sont pas prises pour y remédier.
Votre département devient l’un des plus grands après le reversement du préscolaire. Combien de fonctionnaires compte-t-il désormais ? Et combien cela coûte en termes de masse salariale?
Les derniers chiffres de juillet montrent que nous sommes autour de 92.000. Avec un effectif de cette ampleur, le ministère n’est pas adéquatement outillé pour gérer ce personnel ; même si nous avons pris des mesures palliatives. D’où certains couacs tels que ce qui est arrivé avec le retard dans le mandatement des enseignants pour lequel nous avions cru que tous les dossiers étaient traités, alors qu’ils ne l’étaient pas.
Sinon, au niveau de notre budget qui est d’environ 400 milliards de FCFA, 90% vont aux salaires.
Que se passe-t-il avec le paiement de la première tranche des dus des vacataires, qui a fait d’ailleurs des gorges chaudes dans votre département ?
C’est une question difficile, parce que j’estime que tous les acteurs ne jouent pas franc jeu. L’année dernière, au premier trimestre, on m’a dit que la vacation coûtait 1,8 milliard de FCFA ; au deuxièmetrimestre, ça coûtait encore plus cher ; et au troisième trimestre, qui ne dure que deux mois, la vacation coûtait aussi cher qu’au premier trimestre. J’ai donc réuni mon équipe pour comprendre la situation. Pour le premier trimestre, je peux comprendre que cela coûte 1,8 milliard de FCFA et faire confiance aux acteurs. Mais après le premier trimestre, on affecte généralement de nouveaux sortants pour combler le déficit ayant occasionné les vacations. Forcement, cela devrait réduire la note et non l’augmenter.
Au 3e trimestre, alors qu’on a que deux mois, et après avoir reçu des renforts en effectif, que l’on soit encore au même niveau de paiement des vacations, ce n’est pas commode. Manifestement, il y a quelque chose qui ne va pas, et je voudrais que l’on m’éclaire.
J’avais demandé alors des informations détaillées : qui a effectué des vacations? Où? Combien d’heures et dans quelle matière ? Je voulais des informations nominatives. C’est en ce moment que ça a bruité. Des plaintes ont commencé à déferler sur cette instruction donnée. J’ai donc posé les questions suivantes : sur quelles bases et comment payez-vous les vacataires ? Y a-t-il quand même des traces ? Et j’ai demandé que l’on me ressorte toutes ces informations sur des tableaux pour analyse aux fins depaiement des vacataires. Et, pendant 4 mois, les informations n’ont pas remonté. Cela s’est terminé par des menaces et des ultimatums. J’ai donc décidé de faire payer ceux dont les informations étaient disponibles. Là où ça traine, nous n’en sommes donc plus responsables, car entendant toujours ces informations nominatives.
Vous n’avez pas poussé la curiosité à enquêter ou à commanditer un audit en la matière ?
Nous y avions pensé, mais notre dispositif est tellement gigantesque que l’inspection technique des services, avec un effectif d’une quinzaine de membres, aurait mis plus d’une année à boucler ses investigations. Objectivement, ce n’était pas possible. Les établissements doivent nous faire parvenir les détails des frais de vacations ; et sur cette base, nous paierons. Quand la grogne enflait, nous avons fait un calcul. En début d’année, vous avez déclarétel déficit et, sur cette base, les heures supplémentaires sont déterminées. C’est clair que ça ne couvre pas ce qui a été déclaré.
Nous avons dit de ne payer le reste que sur la base des justificatifs. Finalement, l’approche qui a été adoptée est de solder le passif. C’est ainsi que nous avons abouti au forfait à chaque direction régionale, avec à charge pour l’établissement ayant fait des dépassements se débrouiller tout seul pour les solder. S’il ya des dettes, c’est à l’établissement de lesgérer. Nous allons travailler ainsi jusqu’à obtenir la situation réelle des vacations.
Entretien réalisé par AT
Votre message pour la rentrée…
Aux parents, je demande d’être attentifs à la scolarité de leurs enfants. L’école n’est pas un hôtel où on dépose l’enfant et on n’a plus rien à faire. L’éducation est quelque chose de collégial. Le parent doit y avoir un droit de regard et son mot à dire. Nous avons besoin de ce regard pour aller de l’avant. Dialoguer avec les enseignants et avec l’enfant, c’est comme ça qu’on réduit les difficultés. Si ce dialogue n’est pas, le maitre peut ne pas se rendre compte d’un problème chez l’enfant; tout comme le parent; pour offrir un suivi aussi individualisé que possible à l’enfant, vu les effectifs que nous avons.
Aux enseignants, je dis qu’ils sont le premier déterminantde l’éducation. Il faut qu’ils en prennent pleinement conscience malgré les conditions difficiles de travail pour tous les Burkinabè, et qu’ils puissent donner le meilleur d’eux-mêmes. A charge pour nous de travailler continuellement, avec leur contribution, à améliorer les conditions de travail à travers la formation et la construction d’infrastructures, les recrutements d’enseignants pour améliorer le ratio enseignant/élèves par classe. Notre ambition est de rentrer dans la norme de 25 à 30 élèves par classe. Mais, en attendant, il faut qu’on fasse avec ce qu’on a.
Pour les travailleurs administratifs, j’invite chacun à faire sa part de travail. C’est à ce prix que tout l’édifice fonctionnera et qu’on évitera la désagréable situation des mandatements en retard. Des gens n’ont pas fait leur travail et l’information n’est pas remontée rapidement à notre niveau, occasionnant ce que vous avez vu sur le terrai : l’impossibilité de payer les gens. On s’est retrouvé dans ces difficultés parce que les données n’ont pas été transmises à temps pour être intégrées dans le Circuit intégré de la dépense (CID). Il faut donc que chacun fasse sa part de travail, parce que s’il ne le fait pas, cela aura un impact sur toute la chaine. Je voudrais terminer mes propos par cette conviction : je fais confiance en notre capacité à changer les choses, pour peu que nous ayons la volonté d’aller dans la même direction.