Il s’agit d’une sorte d’attaque-réaction dans le duel entre l’Onatel, actuel leader du marché des télécoms, et Orange, le challenger nouvellement installé. Le groupe français Orange, qui s’est officiellement lancé sur le marché burkinabè le 16 mars 2017 à la suite du rachat d’Airtel, n’avait pas caché ses intentions d’occuper le premier rang.
Dès cet instant, on se doutait qu’une stratégie de conquête de la clientèle allait être mise en place pour surclasser la filiale de Maroc Télécom. Au regard de ce qu’on a comme derniers développements entre les deux opérateurs, cette logique de recrutement planifié des clients au préjudice du concurrent principal semble bien en marche. Orange n’a fait aucune communication sur ses intentions réelles mais, à l’analyse, la stratégie mise en place affiche la forme d’une asphyxie des clients chez le concurrent.
Au bout, cette asphyxie pourrait permettre de récupérer les clients qui n’auront pas pu supporter le supplice. C’est une simple interprétation, néanmoins partagée par des observateurs qui tentent de comprendre le sens de la décision prise récemment par Orange de revoir à la hausse sa facturation avec l’Onatel.
Dans l’épisode en cours, l’offensive est menée depuis l’extérieur à travers les filiales du groupe Orange au Mali et en Côte d’Ivoire. C’est le segment des appels internationaux en provenance d’Onatel et à destination d’Orange Mali et l’Orange Côte d’Ivoire qui a été ciblé par cette décision qui impacte la concurrence entre les deux groupes de télécommunications. C’est précisément la facturation des terminaisons d’appels émis depuis l’Onatel à destination des réseaux Orange dans les deux pays cités qui a été modifiée par le groupe Orange.
Par définition, la terminaison d’appels est le coût de transmission facturée par un opérateur à un autre opérateur pour faire transiter ou terminer l’appel sur son réseau. Il faut noter que chaque opérateur tient compte de ce coût dans la fixation du tarif qu’il applique à ses clients émettant des appels inter-réseaux au niveau national comme à l’international. Mais dans le cas qui concerne aujourd’hui l’Onatel et les filiales du groupe Orange, ce sont les appels à l’international qui posent problème. En effet, Orange Mali et Orange Côte d’Ivoire ont décidé de reconsidérer à la hausse les marges qu’ils font payer à l’Onatel (Burkina) sur les appels atterrissant sur leurs réseaux en provenance de l’Onatel. Au lieu de 145F/minute, l’Onatel paie désormais 183F/minute aux réseaux Orange au Mali et en Côte d’Ivoire. Conséquence: l’Onatel a estimé que par cette décision d’augmentation, Orange se démarque du tarif de 175 F CFA/minute qui est appliqué au client émettant ce type d’appels. Lequel tarif, selon lui, a été négocié dans la sous-région. Et comme s’il refusait d’être le seul perdant face à cette décision qui rogne ses marges, l’Onatel a réagi en relevant les tarifs d’appels appliqués à la clientèle émettant des appels à destination de ces réseaux. Au lieu d’être facturé à 175 F CFA/minute, les appels depuis l’Onatel à destination d’Orange Côte d’Ivoire et de Orange Mali sont passés à 240 F CFA/minute depuis le 12 mai 2017.
Au final, c’est donc le client qui est amené à payer le prix du duel entre Orange et l’Onatel. Les filiales d’Orange en Côte d’Ivoire et au Mali font payer plus cher la terminaison d’appels à l’Onatel, et en retour la filiale de Maroc Télécom s’est sentie obligée d’augmenter le tarif au niveau de la clientèle.
Au moment où l’on pensait que la concurrence prévue entre les deux opérateurs allait être profitable au consommateur, ce round lui apparait plutôt préjudiciable. C’est précisément ceux qui effectuent des appels depuis le réseau de l’Onatel au Burkina vers Orange au Mali et en Côte d’Ivoire qui sont affectés. En dehors de ce type d’appels, la situation est sans changement.
Par ailleurs, au niveau des autres opérateurs, il n’y a eu aucun changement. Ni avec Orange, ni avec l’Onatel. C’est seulement les rapports entre l’Onatel et Orange au Mali et en Côte d’Ivoire qui ont changé concernant la facturation des appels entre eux.
Karim GADIAGA
L’Onatel tente de contourner « le piège »
Refusant de se laisser étouffer dans ce qui s’apparente à un piège pour lui, l’Onatel vient de lancer, à l’endroit de sa clientèle, une offre promotionnelle sur les appels à l’international à partir de son réseau. C’est en quelque sorte une alternative. Face aux appels vers le Mali et la Côte d’Ivoire devenus plus chers lorsqu’ils terminent sur les réseaux Orange, le client Onatel a un autre choix. L’offre est conçue de telle sorte que les clients de l’Onatel qui souhaitent appeler vers le Mali, la Côte d’Ivoire et aussi le Niger puissent préférer d’autres réseaux que ceux d’Orange dans ces pays. Depuis le 12 mai 2017, un appel à partir de l’Onatel vers un numéro Orange en Côte d’Ivoire et au Mali coûte au client 240 F CFA/minute. C’est plus cher qu’avant. Pour ne pas subir cette augmentation, tout consommateur, basé au Burkina, pourrait être amené à préférer une puce Orange au lieu d’une puce Onatel (Telmob) pour faire ce genre d’appels à l’international qui a pour destination un numéro Orange. Ce choix se fera alors au détriment de l’Onatel.
Dans son offre promotionnelle, l’Onatel propose à sa clientèle d’appeler sur les réseaux Malitel (Mali), MTN (Côte d’Ivoire) et Moov (Niger) à 150 F CFA/minute. C’est une offre qui est censée préserver l’option de la puce Onatel. C’est la guerre des prix à travers des stratégies marketing conçues du tic au tac.
Au nom de la liberté des prix ?
Le principe qui prévaut dans l’espace UEMOA est la liberté des prix. Les tarifs n’étant pas régulés, Orange Mali et Côte d’Ivoire sont en principe libres de fixer les coûts à leur guise. Très souvent, les accords négociés entre les différents opérateurs permettent de limiter l’inflation. Quant à l’autorité de régulation du secteur au niveau national et à la Commission de la concurrence de l’UEMOA, ils essaient simplement de défendre le principe des «coûts pertinents».
C’est-à-dire des coûts qui reflètent effectivement des charges réelles associées à ce type d’opérations. C’est généralement sur cette base que les régulateurs du marché des télécoms arrivent à obtenir la baisse de la facturation entre opérateurs et en direction du consommateur. Toutefois, même si la logique libérale autorise chaque opérateur à fixer son tarif, le problème qui se pose avec cette attitude d’Orange et la réaction de l’Onatel, c’est la menace sur la volonté des pays de la sous-région de favoriser l’intégration par les télécommunications. Les projets relatifs au «free-roaming » au sein de la CEDEAO et l’offre de «réseau unique» sont censés harmoniser les coûts des services télécoms dans l’espace communautaire et favoriser les mouvements et les interactions des peuples. Les rapports actuels entre les filiales des groupes Maroc Télécom et Orange s’éloignent de cette vision.