Tribune

L’Europe entre répit et réforme -Par Michael Spence

MILAN – Le premier tour de l’élection présidentielle française a donné le résultat attendu : Emmanuel Macron, le candidat centriste, est arrivé en tête avec 24% des voix, suivi de près par Marine Le Pen (21,3%), la candidate du Front National, un parti de droite. Sauf un incident comme celui qui a fait chuter l’ancien favori, le candidat conservateur François Fillon, Macron va très probablement l’emporter contre Marine Le Pen, lors du 2e tour le 7 mai. L’UE paraît ainsi hors de danger – au moins pour l’instant.
Les candidats de l’establishment de droite comme de gauche éliminés au premier tour ayant déjà accordé leur soutien au très pro-européen Macron, la menace immédiate qui planait sur l’UE et la zone euro semble s’éloigner. Mais il n’y a pas lieu de se complaire dans l’autosatisfaction. Si l’Europe ne corrige pas les défauts de son modèle de croissance et n’entreprend pas les réformes urgentes indispensables, elle va jouer sa survie à long terme.
Comme on l’a souvent remarqué, l’élection présidentielle française, comme les autres élections importantes qui ont eu lieu l’année dernière, traduit un rejet des partis politiques de l’establishment : Fillon, du parti Républicains, est arrivé 3e avec environ 20% des voix et Benoit Hamon qui représentait le parti socialiste est arrivé 5e avec moins de 6,5% des voix ; par contre Jean-Luc Mélanchon, un eurosceptique de gauche, a atteint 19,5%. Ainsi les candidats représentants des partis non-traditionnels (Le Pen, Macron et Mélanchon) ont réuni presque 65% des voix.
Contrairement au référendum sur le Brexit au Royaume-Uni et à l’élection présidentielle américaine dont le résultat a tenu essentiellement au vote des classes moyennes et des électeurs d’un certain âge, en France ce sont les jeunes qui ont constitué le cœur du vote anti-establishment. Les 18-34 ans ont voté à 27% pour Mélanchon (qui refuse de soutenir Macron pour le second tour) et en second, surtout les moins éduqués de cette classe d’âge, pour Le Pen.
Cette tendance se retrouve aussi ailleurs. En Italie, le mouvement eurosceptique et anti-establishment 5 étoiles dépasse le parti démocratique de centre-gauche dans les derniers sondages, surtout grâce aux jeunes. Lors du référendum de décembre dernier sur la réforme constitutionnelle en Italie, les jeunes électeurs ont constitué une part importante du Non – essentiellement un vote d’opposition à Matteo Renzi, le Premier ministre à ce moment-là qui avait engagé sa survie politique sur le résultat du référendum.
Il est vrai que même dans un contexte d’une économie affaiblie et sur le déclin, le soutien que peuvent espérer les partis populistes a ses limites – en deçà de ce qu’il leur faudrait pour arriver au pouvoir. Mais le fait que les partis et les candidats qui rejettent le statu quo gagnent du terrain, en particulier parmi les jeunes, marque une fracture politique – un défi de gouvernance qui pourrait entraver les réformes.
La solution aux problèmes économiques de l’Europe semble claire : des réformes en faveur d’une croissance plus vigoureuse et plus inclusive. Alors que la mondialisation et la technologie conduisent à une délocalisation des emplois, une croissance suffisante permettrait de diminuer véritablement le chômage. Pour cela, il faut réformer à la fois au niveau national et à celui de l’UE.
Même si chaque pays de l’UE a ses caractéristiques spécifiques, les réformes doivent répondre à certains critères communs. Les pays de l’UE doivent diminuer leur rigidité structurelle qui décourage l’investissement et freine la croissance. Pour encourager la flexibilité, il faut en grande partie supprimer le lien entre protection sociale et emploi dans un secteur donné ou dans une entreprise donnée, pour reconstruire cette protection autour des individus et des familles, des revenus et du capital humain.
Les autres réformes à accomplir au niveau national sont complexes, mais leur objectif est simple : encourager les investissements du secteur privé. Cela passe par des réformes réglementaires, des mesures anti-corruption et l’investissement dans le secteur public, notamment l’éducation et la recherche.
Au niveau européen, l’affaiblissement de l’Euro par rapport aux autres grandes devises, en particulier le Dollar depuis mi 2014, constitue l’évolution majeure de ces dernières années. Cela a généré un excédent important dans la zone euro, tandis que les dépenses en Euros ont augmenté, ce qui a contribué à restaurer en partie la compétitivité des secteurs exportateurs en France, en Espagne et en Italie. Dans ces trois pays, le tourisme joue un rôle important pour l’emploi et la balance des paiements.
L’affaiblissement de l’Euro a alimenté des excédents importants en Allemagne et en Europe du Nord où les coûts salariaux par unité produite sont plus faibles, en comparaison de la productivité. Il faudrait parvenir à la convergence de ces coûts, mais il y faudra du temps – notamment dans un contexte peu inflationniste. Quant à l’Euro faible, il pourrait stimuler la croissance.
Il faut aussi agir au niveau européen en ce qui concerne l’immigration qui est devenue un problème économique et politique majeur. Confrontée à une arrivée massive de réfugiés du Moyen-Orient et d’Afrique qui excède les capacités d’accueil de nombreux pays, l’UE devra peut-être restreindre la liberté de circulation des personnes durant un certain temps.
Derrière l’Allemagne, la France est le pays le plus important de la zone euro. Si la victoire attendue de Macron est l’occasion de mener des réformes en profondeur destinées à relancer la croissance et à vaincre le chômage, l’élection présidentielle française pourrait être un tournant important pour l’UE. Par contre, si elle sert à valider le statu quo, elle offrira seulement un répit de courte durée à une Europe en mauvaise posture.

Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Copyright: Project Syndicate, 2017.
www.project-syndicate.org


Faible croissance et chômage élevé

Les réformes sont nécessaires face à ces tendances qui reflètent les problèmes fondamentaux liés aux modèles de croissance dominants. En France, en Italie et en Espagne, la croissance est trop faible, le chômage trop élevé, en particulier celui des jeunes. En France, le taux de chômage des jeunes est d’environ 24% et il ne diminue que lentement. En Italie, il est de 35% et en Espagne, il est supérieur à 40%.
Ces pays bénéficient de systèmes de protection sociale relativement efficaces. Mais, ils protégent davantage ceux qui sont déjà sur le marché du travail que les nouveaux entrants et les réformes mises en œuvre pour faciliter l’accès à l’emploi sont insuffisantes dans un contexte de faible croissance.
Sans réforme de plus grande ampleur, du fait de l’évolution de la démographie, la part de ceux qui s’estiment laissés pour compte et sont hostiles à l’establishment devrait augmenter (à moins que les jeunes d’aujourd’hui ne changent de point de vue en vieillissant). Il reste à savoir si cette tendance va déboucher sur une véritable remise en cause du statu quo ou conduire simplement à une polarisation qui va affaiblir l’efficacité de l’action gouvernementale.

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