La vente de l’essence « par terre » est une activité qui se développe dans la cité du paysan noir, Banfora. Pourtant, c’est une activité qui présente de grands dangers. En l’espace de deux semaines seulement, deux incendies partis de ces points de vente ont causé d’importants dégâts chez des commerçants qui, aujourd’hui, ne savent plus comment relancer leur commerce. Le phénomène a la peau dure. Il bénéficie de l’attitude complaisante de la population, mais il va falloir y trouver des solutions vigoureuses, car les risques de catastrophe sont permanents.
La vente «par terre» de carburant ou vente anarchique a fait ses premiers pas dans la cité du paysan noir en 2005 suite au déclenchement de la crise ivoirienne, et n’a cessé de se développer. Durant cette crise, en effet, certains commerçants ont trouvé une belle parade pour faire fortune. Ils faisaient venir du carburant de la Côte d’Ivoire dans des fûts ou dans des bidons de 20 litres qu’ils écoulaient dans les différentes localités de la région des Cascades. Dans la ville de Banfora, qui est le chef-lieu de la région et de la province de la Comoé, l’activité s’est tellement répandue qu’il est impossible de parcourir une rue sans remarquer ces points de vente d’essence en bouteilles. Ce commerce semble si florissant que tout le monde ou presque s’y essaie. Boutiquiers, tabliers, mécaniciens d’engins à deux roues, ménagères et même des vendeuses de légumes exposent des bouteilles d’essence à côté de leurs étals. Ceux qui sont dans cet exercice illégal trouvent qu’il nourrit son homme. «Le bidon de 20 litres nous revient à 11.500 F CFA. En vendant ces 20 litres, je réalise un bénéfice net de 1.500 F CFA, soit 75 F CFA sur le litre vendu. En tout cas, le jour où il n’y a pas de marché, je vends autour de 10 litres. sinon, lorsque les clients sont nombreux, je dépasse les 20 litres par jour», raconte l’un d’eux dont l’étal se trouve à proximité de son atelier de mécanique. Et pour mieux ressentir les retombées de cette activité, notre interlocuteur qui a requis l’anonymat dit placer les bénéfices de la vente de carburant auprès d’une dame qui pratique la collecte de l’épargne tous les soirs auprès des acteurs du secteur informel. Ainsi, à la fin du mois, elle lui reverse ce qu’il a cotisé, contre une prime forfaitaire. Pour sûr, on dénombre plusieurs centaines de points de vente de ce carburant aux origines douteuses dans la cité du paysan noir. Ce qui lui vaut d’ailleurs l’appellation d’essence frelaté, puisqu’en plus d’être servi en vrac, il coûte au moins 25 F CFA de moins cher que celui vendu en station. Les revendeurs se ravitaillent auprès d’importateurs ou encore de camionneurs qui transportent la commande des stations. Cependant, c’est une activité qui présente de grands dangers pour ceux qui l’exercent et pour les autres commerçants auprès desquels elle se développe. Et les risques deviennent de plus en plus importants, puisque ceux qui y prospèrent ont tendance à constituer d’importants stocks de carburant dans leur boutique ou créent des mini-stations à essence sans aucune forme de sécurité.
Du coup, ces vendeurs d’essence frelaté deviennent comme des loups pour les autres commerçants. La ville Banfora a été témoin des effets dévastateurs de cette activité, puisque deux incendies qui se sont déclarés dans un intervalle de 15 jours ont causé d’importants dégâts. Le premier étant survenu le 27 janvier 2017 et le second le 11 février de la même année. Partis tous les deux de points de vente d’essence «par terre», ces incendies ont entièrement consumé 12 boutiques et magasins dont les propriétaires se retrouvent sans le moindre article. L’un d’eux qui a tout perdu lors de l’incendie du 11 février a tenu son voisin vendeur d’essence frelaté pour responsable et attend que celui-ci rembourse son commerce car, a-t-il dit, « je l’ai mis en garde il y a de cela trois ans en lui disant que son activité était incompatible avec celle que nous menons. Par la même occasion, je lui ai dit qu’il sera tenu pour responsable et traité comme tel si jamais un incendie venait à faire des ravages dans la boutique. Depuis, il ne m’adressait plus la parole ». A l’entendre, il avait fait venir des marchandises d’une valeur de 18 millions dont il n’avait rien vendu. Et voilà que le feu est venu tout ravager. Au regard de l’attitude de la population, on est tenté de dire que c’est une activité qui fait l’affaire des Banforalais, puisqu’en plus de coûter moins cher, ce carburant est disponible un peu partout dans la ville, si bien que dès qu’une panne d’essence survient, on ne parcourt pas une longue distance pour se ravitailler.
Face à ce qu’il convient d’appeler les dérives de cette activité, les autorités tentent d’apporter des garde-fous. C’est ainsi qu’au cours la dernière semaine du mois de février 2017, celles de la mairie ont stoppé l’élan d’un vendeur d’essence qui était sur le point de créer une mini-station au secteur 4 de la ville, juste en face du Carré d’As. A ce qui se dit, la mairie a été saisie par les autres occupants de la zone, composés entre autres de soudeurs, de vendeurs de friperie, de vendeuses de friandises et de tenanciers de restaurants, qui ont montré leurs inquiétudes. Face aux risques réels que le promoteur de cette station fait courir à la zone, la mairie a demandé l’arrêt des travaux qui pourtant étaient déjà très avancés. De son côté, l’administration centrale tente aussi d’endiguer le phénomène, mais tout comme l’a reconnu le secrétaire général de la région, Aboubacary Traoré, sur le théâtre de l’incendie du 11 février 2017, les habitudes ont souvent la peau dure et ce n’est pas par un tour de bras qu’on mettra fin à cette activité. Quand on se rappelle que l’incendie du 11 février 2017, qui a vu 35 fûts d’essence exploser l’un après autre, s’est produit à moins de 50 mètres de la station Shell qui elle aussi se trouve en bordure du grand marché de Banfora, il y a lieu de souhaiter que tôt ou tard l’administration parvienne à recadrer les choses pour éviter le pire.
Sy Amir Lookman