L’Economiste du Faso: Les 25 et 26 février 2017, à Ouagadougou, la coalition des associations pour la défense du droit au logement (CADDL) dont vous présidez le secrétariat exécutif a organisé un forum sur le logement décent et le foncier, quelles sont les raisons qui ont prévalu à la tenue de ce forum?
Péma Nébié (SE/CADDL): Nous avons décidé d’organiser ce forum pour plusieurs raisons. Primo:
parce que les populations vivent beaucoup de problèmes liés à la gestion du foncier. Car vous n’êtes pas sans savoir que de nombreuses personnes attendent toujours d’être situées sur l’attribution des parcelles depuis 2000. Secundo: la crise du logement s’aggrave de jour en jour. Tertio: nous avons initié cette activité pour accorder nos violons pour permettre à nos militants d’être mieux outillés pour défendre leurs droits et la cause du logement. Nous en avons profité également pour aborder la question liée aux lotissements dans la ville de Ouagadougou. Nous n’avons pas occulté la gestion du foncier rural qui est source de conflits dans de nombreuses localités du Burkina Faso.
Quel est aujourd’hui l’état des lieux du logement décent et du foncier au Burkina Faso ?
Le constat que l’on peut faire est que la gestion du logement décent et du foncier est catastrophique. Si vous prenez le cas du logement, on se rend compte que chaque fois qu’il y a lotissement, le nombre de postulants est toujours inférieur aux parcelles disponibles. Il y a aussi qu’à la phase d’attribution, des milliers de Burkinabè sont évincés de leurs parcelles. A cause de cette situation, la population est persécutée et confinée dans des zones non-loties, où les quartiers sont insalubres. Dans ces zones, il n’y a pas d’électricité encore moins d’adduction d’eau potable. En somme, ces populations déguerpies vivent dans la précarité du fait de l’application du déguerpissement systématique. De nos jours, on constate aussi qu’une part belle est faite aux sociétés immobilières qui font la «pluie et le beau temps» au détriment des milliers de Burkinabè qui ne demandent qu’un lopin de terre pour se loger. Tous ces faits nous amènent à conclure que jusque- là la gestion du logement décent et du foncier est catastrophique au Burkina Faso.
A qui la faute donc ?
La faute revient aux autorités politiques. Puisque les questions liées à la terre sont gérées par ces dernières. Il y a aussi les autorités en charge des collectivités locales qui mettent en place la politique du logement et du foncier. Les populations ne font que subir cette politique. Et c’est justement parce que cette politique ne nous arrange pas que la CADDL a vu le jour pour défendre nos droits. Parce que nous, nous sommes des victimes de toutes les tracasseries, de toutes les manœuvres qui ont été organisées par cette gestion scandaleuse du foncier qui était en vigueur sous le pouvoir du président Blaise Compaoré.
Vous parlez de gestion scandaleuse, est-ce que vous avez des preuves ?
L’exemple le plus patent est celui ex-arrondissement de Boulmiougou, où les parcelles qui ont été dégagées s’élevaient à près de 47.000 parcelles pour une population avoisinant les 42.000 personnes. Mais à l’attribution, plus de 10.000 personnes ont été évincées. Vous avez lu dans le récent rapport de la Commission d’enquête parlementaire que plus de 105.000 parcelles ont été illégalement attribuées dans 15 communes du Burkina Faso. C’est vrai que ces chiffres ne sont pas exhaustifs, mais c’est déjà un indice qui nous confirme que la fraude et la corruption dans ce milieu sont très criardes, aussi bien sous le pouvoir Compaoré que le pouvoir actuel. Parce que le pouvoir de Roch Marc Christian Kaboré ne montre aucun signe palpable pour résoudre les écueils qui entravent la bonne gestion du logement et du foncier.
Justement, quelle appréciation faites-vous du rapport d’enquête parlementaire sur le foncier ?
C’est un rapport qui nous a donné une idée précise de la gestion scandaleuse du foncier au Burkina Faso. Malheureusement, ce n’est pas un rapport d’audit comme on l’aurait souhaité. En plus, ce n’est pas un rapport exhaustif. La commission s’est contentée de mener des enquêtes dans seulement 15 communes, or le Burkina Faso en compte plus de 300. Les parlementaires doivent aller à des audits sérieux et élargis à toutes les localités du pays.
Ce rapport a été taxé de partiel par certains Burkinabè du fait que le nom de l’ancien maire de la ville de Ouagadougou, Simon Compaoré, ne figure nulle part parmi les fautifs ?
Nous pensons qu’il y a lieu de s’étonner, parce que Simon Compaoré a géré la mairie pendant une décennie et se retrouve du jour au lendemain ni de près ni de loin mêlé à ces question. Or, nous savons que sous son règne, il y a eu des malversations qui ont été commises. On se rappelle encore de ces fraudes de parcelles décriées par les populations dans les différents arrondissements de la capitale. C’est tout de même étonnant qu’une institution comme le parlement vienne nous dire qu’en réalité il n’a pas été coupable d’une faute de gestion dans le foncier, cela est vraiment étonnant.
A vous écouter, la mauvaise gestion du foncier est une atteinte aux droits de l’homme. Pour y remédier, quelles sont, selon vous, les solutions à proposer pour sortir de cette situation ?
D’abord, nous demandons qu’il y ait la garantie du logement décent au Burkina Faso. Il faut que la spoliation et le déguerpissement systématique dont les populations font l’objet cessent. Ensuite, nous demandons que des mesures soient prises pour que la loi portant Réforme agraire et foncière (RAF) en date de 2012 et ses décrets d’application soient purement abrogés. Parce que nous jugeons les procédures de cette loi opaques, avec ses procédures d’adjudication, de gré à gré et de tirage au sort. Enfin, nous demandons une gestion transparente et équitable des questions du logement décent et du foncier. Et qu’on arrête l’accaparement des terres des populations rurales.
Nous voulons simplement que des mesures soient prises pour garantir à chaque Burkinabè le droit à un logement décent.
Quelles sont les localités les plus affectées par la mauvaise gestion des lotissements et du foncier ?
Aucune localité ou zone n’est épargnée au Burkina Faso. Mais, les quartiers non-lotis sont les plus touchés. A titre d’exemple, un quartier comme Nagrin (à la périphérie sud de Ouagadougou), avec ces numéros rouges, bleus et blancs, est une mine de conflits.
Des parcelles ont été dégagées avec des nombres supérieurs à ceux des résidents, mais à l’arrivée, beaucoup, voire plus de ¾ des résidents, n’ont pas eu de parcelles. Vous prenez la zone de Zongo, de Yagma, de Balkuy, de Yamtenga, de Goudrin…, c’est la même situation qui est également vécue là-bas.
Les zones loties ne sont pas épargnées par cette situation, car chaque jour qui passe, le prix des loyers et des matériaux de construction ne cesse de connaître une hausse.
Cette situation fait que les Burkinabè ne savent plus à quel saint se vouer.
S’il est vrai que les autorités politiques sont à l’origine de la mauvaise gestion du logement, il y a le fait que les populations, elles-mêmes, ne cessent de créer les quartiers non-lotis ?
Non, elles ne les créent parce qu’elles aiment vivre dans les quartiers non-lotis, mais elles y sont contraintes par les autorités qui ne font pas du droit au logement une priorité. Ici au Burkina Faso, l’Etat ne construit pas de logements sociaux.
Il n’y a aucune politique qui tende à influencer le prix du loyer, alors que c’est possible. Pour contrôler le prix des loyers, c’est simple, l’Etat doit construire des logements sociaux et décents pour les populations. Ainsi, les particuliers seront obligés de revoir à la baisse les prix des loyers.
Donc, pour vous, la politique du logement social n’est pas une priorité des gouvernants ?
Non ! La preuve en est que l’Etat brade la terre comme un bien marchand, comme tout autre chose, aux promoteurs privés. Et cela est vraiment regrettable. Donc aux nouvelles autorités, nous demandons un traitement diligent de nos préoccupations en matière de gestion du foncier au Burkina Faso, aussi bien le foncier rural qu’urbain. Que les opérations de lotissements ne soient plus des récompenses politiques.
Rachel DABIRE
Plateforme minimale de la CADDL
1- La garantie du droit au logement décent pour tous ; l’arrêt des projets de création de bidonvilles dans la ville de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso et la réalisation, en lieu et place, de véritables aménagements pour offrir aux résidents un cadre de vie décent
2- Des audits de la gestion des lotissements des différents arrondissements de la ville de Ouagadougou depuis l’an 2000, en associant les associations de lutte pour la transparence dans les lotissements et pour le droit au logement dans les arrondissements ; l’annulation des fiches d’attribution de parcelles délivrées par les délégations spéciales sous la transition de 2014 à 2016
3- Le retrait des parcelles détournées ou spoliées et leur réattribution aux populations injustement brimées ou celles nécessiteuses, de façon transparente, notamment dans les villes de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso
4- La mise aux arrêts et le jugement de toutes les personnes impliquées dans les deals de parcelles, dont les noms sont cités par les populations et dans les rapports, notamment le rapport d’enquête parlementaire sur le foncier urbain de 2016
5- L’abrogation de la RAF de 2012 dont le contenu fait la part belle aux sociétés immobilières et aux riches en matière d’accès au foncier et remet en cause les droits des résidents et des populations propriétaires terriens dans l’accès aux terres agricoles et aux parcelles d’habitation
6- La fin du pillage des terres rurales, le retrait des terres injustement acquises et inexploitées par les nouveaux riches pour les remettre aux paysans qui les travaillent.
Source : Conclusion du rapport du forum