L’actualité nationale est marquée par le débat sur la fusion entre les directions générales des impôts et des douanes. L’Economiste du Faso a recueilli l’avis de Barthélémy Dabré, inspecteur des impôts en service actuellement à l’office togolais de recettes, un pays qui expérimente cette nouvelle approche.
– L’Economiste du Faso : Lorsqu’on parle de fusion entre les impôts et les douanes, à quoi cela renvoie-t-il ?
Barthélémy Dabré: Vous évoquez une actualité nationale dont les échos, à ce que sache, restent encore circonscrits à quelques articles ou avis sur des réseaux sociaux. Je n’ai pas connaissance qu’une option ou une démarche officielle soit engagée sur cette question.
Cela n’enlève rien à l’intérêt que l’on a de questionner la problématique des réformes des administrations fiscale et douanières dans un contexte où leur contribution au financement du Programme national de développement économique et social (PNDES) sera un indicateur du degré d’engagement de nos partenaires qui ont souscrit de façon massive à la mobilisation des ressources nécessaires à sa mise en œuvre.
Vous faites cas de «fusion douanes-impôts». Cette expression me semble abusive. Des expériences qui ont cours, si l’on veut rester dans des terminologies empruntées au droit commercial, on parlera de création d’un holding. En ce sens que les deux entités subsistent au sein de l’office.
On peut mettre en évidence plusieurs traits caractérisant cette forme d’organisation qui est bien ancrée dans les pays anglo-saxons à des degrés divers. Il s’agit de l’intégration des administrations douanières et de celles en charge de la fiscalité intérieure à titre principal au sein d’une structure unique. Cette structure est un établissement public à caractère administratif, doté d’une autonomie de gestion administrative et financière, avec un conseil d’administration.
Les structures «douanes-impôts» sont essentiellement orientées vers leurs tâches-métiers, et certaines questions transversales sont assurées par une entité dédiée : la gestion de ressources humaines et notamment la gestion des moyens, la lutte contre fraude et la corruption et la gestion axée sur les résultats à travers une évaluation personnalisée des performances et le recrutement des principaux dirigeants par appels à candidatures et une rationalisation des effectifs et des motivations conséquentes du personnel.
– Quels sont les avantages d’une telle réforme ?
Les avantages d’une réforme ne peuvent être envisagés qu’en rapport avec le diagnostic qui est fait de la situation à réformer et des objectifs que l’on se fixe.
Il me semble que l’autonomie de gestion et l’autonomie financière effective sont des facteurs de soutiens à la performance et des avantages par rapport à la situation actuelle, si la réforme est implémentée dans un contexte qui s’y prête évidement et qu’un management conséquent est mis en œuvre. C’est pourquoi le personnel de direction des offices est généralement recruté par appel à candidatures, avec des contrats d’objectifs bien définis dans le temps.
– Quels sont les inconvénients d’une telle réforme ?
Peut-être faut-il évoquer des contraintes plutôt que des inconvénients, parce que s’il y a des inconvénients, il faut se demander si le projet en vaut la peine.
La transition à opérer nécessite un investissement conséquent en termes d’infrastructures et la recherche d’une large adhésion des personnels au sein des régies.
De toutes les réformes jusque-là conduites, à quelques rares exceptions, la question du consensus sur le mode opératoire des offices est en questionnement. C’est un facteur clé à maitriser dans les moindres détails.
– En tant que connaisseur du contexte Burkina, quel conseil avez-vous à donner aux porteurs de ce projet ?
La connaissance du contexte suppose une étude dédiée à la problématique. Mais je crois modestement que nos administrations ont atteint un niveau de performances (objectifs quantitatifs) et de croissance (effectifs, couverture territoriale) qui autorise tout au moins une réflexion sur la structure organisationnelle capable de les propulser davantage.
Le réflexe, c’est de se tourner vers les formes d’organisation émergentes qualifiées de réformes de seconde génération. Mais s’il est évident que l’on ne réinvente pas la roue, le choix d’une roue doit être en conformité avec le gabarit de votre locomotive.
Il faut déjà questionner le niveau de liaison qui existe entre la douane et les impôts qui connaissent de mon point de vue de plus en plus une intégration fonctionnelle dynamique en termes d’échanges d’informations et de collaboration. Il faut conforter ce processus en investissant dans l’automatisation. Il faut poursuivre également de manière conséquente les réformes qui sont engagées déjà au sein de chacune des régies. Un projet de réforme, s’il existe, ne doit pas constituer un frein à la dynamique déjà amorcée au sein des régies. Il faut faire une intégration de corps sains s’il y a lieu.
Il n’est pas en outre exclu qu’une démarche atypique soit adoptée. Dans le cadre de la transition fiscale au sein de l’UEMOA en particulier, le rôle des administrations fiscales est amplifié en matière de mobilisation de ressources.
La douane jouera par conséquent un rôle plus économique que fiscal à terme. Si les objectifs des deux administrations peuvent diverger, à terme, on peut s’interroger sur la perspective de « fusion » qui est axée sur l’optimisation de la mobilisation des ressources.
Il faut donc faire de la Direction générale des impôts (DGI) la clé de voûte du dispositif de mobilisation des ressources.
Le statut de la DGI en tant qu’entité administrative relevant du ministère en charge des Finances peut évoluer vers l’office. Ce sera une approche singulière et originale.
Certaines fonctions transversales telles la recherche des informations, les investigations et les enquêtes en matière de lutte contre la fraude pourraient être érigées en entité au sein de l’office fiscal et intégrer des compétences issues des deux administrations pour s’assurer que les liaisons fonctionnelles «douanes-impôts» sont bien assurées.
– Des questions d’opportunité peuvent s’inviter au débat. Est-ce au moment où ces administrations sont sur une phase ascendante qu’il faut mener la réforme?
L’accélération du processus tout récemment au Gabon a été justifiée par la chute de la manne pétrolière suscitant du coup un intérêt pour les régies de collecte de la fiscalité intérieure et des droits de douane.
Il demeure aussi vrai que les réformes ne peuvent pas toujours attendre que toutes les conditions soient réunies. Parce que plus vous repousser et, le contexte changeant, de nouvelles contraintes s’invitent au débat.
– Pouvez-vous peut citer des exemples réussis en Afrique en la matière ?
Il n’y pas d’échec avéré ni de réussite absolue. Si l’on s’en tient aux critères de performance chiffrée, on note sur toutes les expériences des gains assez conséquents.
Mais, il n’est pas évident que l’on puisse lier directement ces performances à la mise sous régies, puisque dans le même temps les administrations sous la forme d’organisation traditionnelle connaissent de nettes progressions en matière de recouvrement également.
Les repères qualitatifs doivent être recherchés, tel le niveau de satisfaction des usagers, les gains de productivité individuelle des agents, la baisse ou l’éradication de la corruption, la liaison entre les ressources allouées et les résultats, etc.
Les pays sont allés à cette forme d’organisation dans des contextes différents.
Au Rwanda, la situation particulière de ce pays autorisait toutes les expériences et la création de la régie s’est avérée fructueuse et vertueuse puisque citée en exemple au Togo, l’expérience est certes nouvelle, mais la progression du taux de pression fiscale depuis la mise en place de l’Office est a déjà au-dessus du taux de pression communautaire 21, 4%.
Aussi, l’implémentation de la gestion axée sur les résultats, l’effectivité de l’analyse-risque en matière de sélection des dossiers de vérification, l’évaluation des performances individuelles des agents, l’implémentation d’une cellule anti-corruption active, l’effectivité de l’autonomie de gestion financière, l’expérimentation de nouvelles facilités de services aux usagers (télé-déclaration, payement à des guichets de banques ouverts au sein de l’office) inclinent à penser qu’il y a eu un gain.
Au Burundi, cette formule a été étendue à d’autres secteurs comme les mines, l’emploi, l’énergie, la gestion portuaire.
– Est-ce que la coexistence entre un corps para-militaire et des civils ne posera pas des difficultés ?
Cette coexistence existe déjà et n’est pas sujet à difficulté insurmontable, à ce que sache. Au contraire, elle est dynamique et se professionnalise davantage à travers l’automatisation des liaisons. Le contact direct entre les personnes ira donc en s’amenuisant, du moins dans l’exécution des tâches professionnelles. Et comme je l’indiquais, il ne s’agit pas de fusion des régies, mais d’intégration pour assurer une meilleure liaison fonctionnelle entre les deux entités, sans nier leurs «personnalités» ni leurs missions spécifiques.
– Avez-vous un dernier mot à ajouter?
S’il y a un projet de réforme, puisque vous semblez être dans le secret des initiateurs, que la sagesse et l’esprit de concertation soient privilégiés dans tout le processus.
Interview réalisée par Elie KABORE
Qui est Barthélémy Dabré ?
Barthélémy Dabré est inspecteur des impôts. Juriste de formation, il exerce, depuis près de 20 ans, au sein de l’administration fiscale. Il a travaillé en tant que cadre à divers postes de travail avant d’occuper le poste de chef de service de la législation, puis celui de Directeur de la législation et du contentieux au sein de la direction générale des impôts.
Il était inspecteur technique des services jusqu’à une période récente avant de rejoindre l’Office togolaise des recettes (OTR) sous le statut d’Assistant technique en revue de la législation fiscale et des réformes fiscales.