Le Burkina Faso et particulièrement le Mali sont les principales plaques tournantes de l’exportation de l’or artisanal. Et ceci grâce à l’interconnexion de chaînes d’approvisionnement qui existent entre la Côte d’Ivoire et ces deux pays. C’est le constat que fait l’ONG Partenariat Afrique-Canada (PAC), dans son rapport sur «L’Eldorado ouest-africain : cartographie du commerce illicite de l’or en Côte d’Ivoire, au Mali et au Burkina Faso», publié en janvier 2017.
L’or est surtout passé en contrebande par le Mali et le Burkina Faso par l’entremise de réseaux que les négociants ont établis dans leurs pays respectifs. «La principale route de la contrebande pour Bamako, au Mali, passe par la ville de Sikasso, tandis que des chargements illicites quittent Bouna et Doropo, en Côte d’Ivoire, pour Ouagadougou, au Burkina Faso, via Gaoua, le centre de négoce de Bobo-Dioulasso, ou Batié, au Burkina Faso.
De là, les chargements sont directement passés en contrebande ou blanchis pour s’amalgamer aux exportations légales destinées aux affineurs à Dubaï». Pour le PAC, cette contrebande fonctionne sur le principe du préfinancement. «La question du préfinancement est un autre facteur à prendre en considération si l’on veut comprendre le commerce illicite», explique le PAC dans son rapport. Et d’ajouter qu’en général, il y a deux ou trois intermédiaires dans la chaîne entre les mineurs et les exportateurs.
On pourrait décrire comme suit la chaîne d’approvisionnement habituelle dans les trois pays: les mineurs travaillent pour un propriétaire de site, qui vend leur production à des petits acheteurs qui exercent leurs activités près des sites miniers.
Les petits acheteurs sont habituellement préfinancés par des négociants d’or plus importants, dans les grandes villes telles que Ouagadougou et Bamako. Eux-mêmes sont habituellement préfinancés par des acteurs en aval, incluant des centres d’affinage tels que les Emirats Arabes Unis (EAU). «L’argent qui finance l’or va dans la direction opposée à celle de l’or. Le système fait en sorte qu’il est difficile pour les mineurs de fonctionner au sein du système légal, même s’ils le voulaient. De l’argent venu d’ailleurs paye leur équipement et leurs indemnités de subsistance quotidienne et, en retour, leur production est déjà prépayée et leur route d’exportation prédéterminée par les négociants dans les capitales qui offrent un préfinancement pour les opérations», poursuit le rapport.
Le manque de traçabilité de l’or de l’Exploitation minière artisanale et à petite échelle (EMAPE) expose le commerce légitime de l’or à une grave menace. La vulnérabilité est particulièrement aiguë à l’échelon des négociants d’or dans les capitales, le dernier maillon de la chaîne avant l’exportation à l’étranger. C’est ce qu’a démontré un négociant chevronné, qui a admis n’avoir aucune idée de l’endroit où ces acheteurs trouvent l’or qu’ils exportent.
Une fois dans le pays, les négociants vendent l’or à des acheteurs d’un souk d’or à Dubaï, contournant facilement les systèmes de devoir de diligence créés par le Dubai Multi Commodities Centre, l’entreprise quasi gouvernementale responsable de la promotion et de la réglementation du commerce des minéraux précieux. Bien qu’ils aient été mis au courant de cette vulnérabilité en 2014, les EAU n’ont pris aucune mesure pour régler le problème, et l’on peut raisonnablement présumer que des négociants et des exportateurs de l’Afrique de l’Ouest peuvent exploiter la même faille que leurs collègues congolais.
La taxation et l’héritage de la guerre civile, moteurs de la contrebande
Plusieurs facteurs expliquent ce commerce illicite du métal jaune. Et parmi eux, le PAC pointe du doigt la taxation qui est «l’un des principaux moteurs de la contrebande dans de nombreuses industries extractives», affirme-t-elle.
Et de prendre l’exemple des nouveaux Codes miniers de la Côte d’Ivoire, du Mali et du Burkina Faso qui favorisent l’exploitation industrielle, sans pour autant reconnaître le plein potentiel économique du secteur de l’EMAPE ni le besoin d’investir des ressources dans l’officialisation du secteur ou dans sa planification.
Et de constater que malgré une taxe à l’exportation harmonisée de 3 % entre les pays, de nombreux négociants exploitaient les échappatoires dans le régime fiscal du Mali ou continuaient de s’en remettre à des réseaux illicites et prédateurs constitués par d’anciens combattants en Côte d’Ivoire.
L’héritage de la guerre civile en Côte d’Ivoire est aussi le second facteur qui mine la légalité et la traçabilité de l’or artisanal.
C’est le cas de plusieurs anciens commandants de zone des Forces nouvelles (des forces rebelles), qui profitent de la contrebande et prélèvent des taxes illégales auprès des intermédiaires dans le secteur artisanal de l’or. «Ces anciens combattants collaborent étroitement avec les principaux acheteurs du Burkina Faso.
Les deux parties opèrent en toute impunité». Et le Partenariat Afrique-Canada de constater avec inquiétude qu’en l’absence d’intervention, le contrôle parallèle qu’exercent ces éléments sur le secteur de l’or artisanal favorise la criminalité et menace la stabilité sociale.
La situation est semblable pour ce qui est de la production ivoirienne. L’or est surtout passé en contrebande par le Mali et le Burkina Faso par l’entremise de réseaux que les négociants ont établis dans leurs pays respectifs.
NK
Les Emirats Arabes Unis complices ?
Les statistiques dressent une tendance inquiétante qui démontre le rôle des EAU dans le commerce illicite de l’or par l’entremise du Mali. En faisant la triangulation de cinq années de chiffres rapportés par le ministère des Mines et de l’Énergie du Mali, par les United States Geological Services (USGS) et par Comtrade, le dépositaire des statistiques commerciales officielles des Nations-Unies, les importations des EAU ont successivement dépassé toute la production d’or du Mali. Par exemple, l’USGS a rapporté que pour les années 2011, 2012 et 2013, le Mali avait produit 35,7 tonnes, 40,1 tonnes et 40 tonnes respectivement.
Le gouvernement du Mali rapportait une production de 45,8 tonnes en 2014. Toutefois, les données rapportées par les EAU à Comtrade pour les quatre mêmes années faisaient état d’importations d’or du Mali de 9,6 tonnes, 29,1 tonnes, 49,6 tonnes et 59,9 tonnes respectivement.
Puisque la plus grande partie de l’or industriel du Mali est exportée vers des affineurs de la Suisse et de l’Afrique du Sud, ces chiffres soulèvent des questions sur l’origine de cet or, de même que sur l’intégrité des procédures et des pratiques d’importation des acheteurs établis dans les EAU et du DMCC.
Partenariat Afrique-Canada en bref
Partenariat Afrique-Canada (PAC) est une organisation enregistrée, à but non lucratif, qui réalise des enquêtes ainsi que des activités de plaidoyer et de dialogue politique portant sur des questions liées aux conflits, à la gouvernance des ressources naturelles et aux droits de la personne en Afrique.
En 2003, des membres de la Chambre des représentants et du Sénat des États-Unis ont proposé la candidature conjointe de PAC et de Global Witness pour le prix Nobel de la paix en raison de leur travail pour mettre au jour les liens entre les conflits et les diamants dans plusieurs pays de l’Afrique.
Le PAC intervient au sein d’un certain nombre d’autres initiatives mondiales qui ont pour objectif de réglementer le commerce de ressources naturelles de grande valeur et susceptibles de susciter des conflits.
L’organisation est aussi active au sein de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives et de Publiez Ce Que Vous Payez.
Les recommandations de PAC
«Il est clair que le Mali est le point de sortie régional pour les expéditions d’or, tant légales qu’illicites, à destination des Émirats Arabes Unis. Comme les exportations dépassent de beaucoup la production du Mali, il est vraisemblable qu’une grande partie de l’or provienne non seulement des pays voisins comme le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire, mais aussi de pays plus éloignés».
De ce constat, le PAC recommande que les organismes d’application de la loi au Mali devraient prendre des mesures immédiates pour enquêter sur les personnes qui tirent les ficelles du commerce illicite de l’or. Ces mesures devraient comporter un engagement de la part des autorités compétentes aux EAU, plus particulièrement le Dubai Multi Commodities Centre (DMCC), à corriger les divergences commerciales et les pratiques douanières qui facilitent cette illégalité.
«Une mesure pratique serait l’interdiction par le Mali et ses voisins immédiats d’exporter de l’or transporté à la main, ce qui permet aux exportateurs de vendre directement sur les marchés de l’or aux EAU, contournant ainsi les contrôles qui régissent actuellement les expéditions d’or industriel envoyées par fret aérien», affirme le rapport.
Aux gouvernements du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire et du Mali, l’ONG canadienne recommande de convoquer un sommet ministériel afin d’élaborer une approche régionale susceptible de résoudre les problèmes d’ordre criminel, économique et politique dans le secteur de l’or.
Ensuite, les trois pays devraient participer au processus du Guide OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) sur le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque comme moyen de réduire les vulnérabilités mentionnées dans ce rapport et d’y remédier.