Comme les Etats ont leur fête nationale, le 9 mai de chaque année commémore la journée de l’Europe. L’Economiste du Faso saisit cette occasion pour s’entretenir avec M. Jean Lamy, Ambassadeur, chef de la Délégation de l’Union Européenne au Burkina Faso, arrivé à l’automne 2015. En marge de la célébration du 9 mai, il répond aux questions liées à la coopération politique, économique, commerciale et de développement entre l’Union européenne et le Burkina Faso.
L’Economiste du Faso: Qui est Jean Lamy, nouvel Ambassadeur de l’Union Européenne au Burkina Faso ?
Jean Lamy, ambassadeur de UE au Burkina Faso : Avant d’entrer au Service européen d’Action extérieure (le SEAE), j’ai occupé plusieurs fonctions dans le cadre de la diplomatie française, en Sierra Leone, en Norvège, au Portugal, au Cameroun et au Burundi, où j’ai été ambassadeur de 2010 à 2013, ainsi qu’au Ministère des Finances et de l’Industrie français. Dans mes fonctions antérieures, où la dimension européenne était toujours forte, je me suis plus particulièrement occupé de diplomatie économique d’énergie, d’environnement, de promotion de l’Etat de droit, de questions de reconstruction et de développement… Arrivé à Ouagadougou il y a huit mois, à la fin de la Transition, je pense que mon expérience diversifiée peut être utile pour accompagner le progrès économique et social du Burkina Faso dans le cadre de la nouvelle mission qui m’est confiée à la tête de la Délégation de l’UE. Je suis aussi accrédité auprès de la Commission de l’UEMOA, dont le siège est à Ouagadougou.
Cela veut dire que vous arrivez en septembre 2015 dans le chaudron du coup d’Etat ? Quel a été le rôle de l’Union européenne pendant cette période ?
L’Union européenne et ses Etats-membres ont soutenu avec force le processus de transition, notamment à travers un appui significatif au processus électoral, en restant fermes sur les principes: aucun changement de pouvoir ne peut être imposé par la force, les règles de la démocratie et de l’Etat de droit doivent s’appliquer, la voix du peuple doit s’exprimer dans les urnes… C’est ce qu’il s’est heureusement passé, avec la mobilisation patriotique et démocratique du peuple burkinabé lors des moments d’incertitude et, surtout, lors des élections de novembre. Pendant cette période, l’Union européenne a été un partenaire politique engagé auprès du Burkina Faso, pas seulement un « bailleur ». Mais l’engagement de l’UE aux côtés du Burkina Faso s’est traduit aussi par un appui financier significatif au pays, à cheval sur 2015 et 2016 – 120 millions d’euros, soit environ 80 milliards de FCFA, ainsi que par des appuis plus ponctuels aux médias et à la société civile, à la CODEL notamment. Il s’agissait pour nous d’accompagner jusqu’à son terme le processus de transition, le retour à l’ordre constitutionnel, puis les nouvelles autorités issues des urnes, avec comme fils directeurs la consolidation de la démocratie et l’amélioration de la situation économique et sociale de la population. L’Union européenne a agi ainsi à l’unisson des autres partenaires internationaux attentifs au Burkina Faso, notamment dans le cadre du Groupe international de Soutien et d’Appui à la Transition (GISAT), coprésidé par l’ONU, l’Union Africaine et la CEDEAO. Aujourd’hui, le GISAT a décidé de changer de nom pour devenir «Groupe international de Soutien de la Démocratie et de la Relance économique au Burkina Faso (GIS-BF)», et nous entendons bien continuer à accompagner le pays dans ce cadre et à la faveur d’autres grands rendez-vous.
A peine le président du Faso investi et le nouveau gouvernement désigné, il y a eu les attentats terroristes du 15 janvier. Ces évènements ont-ils changé votre regard sur le Burkina Faso ?
Je souhaite exprimer une fois encore mes condoléances pour les proches des victimes de ces terribles attentats, qui ont un peu terni les espoirs ouverts par les élections de novembre dernier. Comme l’a dit le président du Faso, « le terrorisme est un frein au développement ». Notre solidarité s’est exprimée notamment à travers la visite à Ouagadougou du Commissaire européen en charge du Développement et de la Coopération internationale, le Commissaire Mimica, peu après les attentats, le12 février.
Cette visite a montré aussi qu’un renforcement de notre coopération dans le domaine de la sécurité était possible. Les autorités burkinabè, au plus haut niveau, ont sollicité l’Union européenne en ce sens. Depuis lors, les services concernés de l’Union européenne ont travaillé activement pour répondre à la demande qui nous a été adressée. Je peux vous dire que dans les prochains mois, suite au dialogue renforcé que nous avons dans ce domaine, vous devriez voir les premiers résultats de cette nouvelle coopération, tant au niveau national que dans le cadre sous-régional, d’abord à travers un appui au renforcement des capacités des forces de sécurité nationales. Là aussi, l’Union européenne souhaite être un partenaire politique du pays, qui accompagne ses priorités, et pas seulement un « bailleur de fonds».
Aujourd’hui, quel est votre regard sur la coopération entre le Burkina Faso et l’Union européenne?
Ce sont des relations très étroites, qui remontent à 1959, à une époque où l’Union européenne, n’existait pas dans sa forme actuelle, et qui se sont densifiées dernièrement. Au début, on parlait d’abord du FED (Fonds européen pour le Développement), qui est le principal outil d’aide au développement de l’Europe. Mais depuis 2009, dans le traité de Lisbonne, les Etats-Membres de l’Union européenne, qui sont aujourd’hui 28, ont donné la capacité à l’Union d’être désormais un acteur politique global sur la scène internationale. Le champ de l’action extérieure de l’Europe s’est ainsi élargi.
L’aide au développement reste, avec les pays en développement, un des principaux instruments de cette action extérieure renforcée, mais un instrument désormais mieux articulé avec les relations politiques, économique, commerciales, environnementales, etc…Cela se traduit, au Burkina Faso comme dans les autres pays en développement, par un renforcement de notre coopération dans le cadre d’un dialogue approfondi et structuré portant sur l’Etat de droit, la promotion des valeurs que nous partageons, les meilleures pratiques pour garantir l’efficacité de l’aide et l’efficacité des politiques publiques, sur les moyens d’optimiser les ressources internes et de bien gérer les finances publiques, les conditions de l’investissement, les possibilités offertes par le commerce, bref, sur tout ce qui permet de mobiliser au mieux les différents moteurs du développement économique et social.
Au total, le soutien de l’Union européenne au Burkina Faso s’accroît. Nos relations sont bonnes et sont appelées à se renforcer encore, d’autant plus dans le contexte actuel où le Burkina Faso apparaît comme un exemple. L’Union européenne souhaite que le Burkina réussisse, en démontrant que les solutions par la démocratie, la bonne gouvernance et l’Etat de droit sont porteuses d’espoir et de développement pour tout le monde.
La journée de l’Europe est célébrée le 9 mai, rappelez-nous le sens de celle-ci?
Cette date se réfère au discours qu’a prononcé, le 9 mai 1950, Robert Schuman, un des « pères fondateurs de l’Europe », qui était alors ministre des Affaires étrangères français. Il a fait ce jour-là un discours fondateur,visionnaire et concret, sur les valeurs qui sont à la base de la construction européenne. Dans ce discours, il dit notamment : « L’Europe ne se fera pas d’un coup ni dans une construction d’ensemble ; elle se fera par des réalisations concrètes créant une solidarité de fait ». Aujourd’hui encore, on peut étendre à la coopération internationale pour le développement cette idée de solidarité basée sur des réalisations concrètes et des valeurs partagées. C’est cette vision que nous, Européens, voulons partager partout dans le monde lorsque nous célébrons le 9 mai.
Cette célébration est-elle particulière cette année au Burkina Faso ?
Oui, la célébration de la journée de l’Europe cette année au Faso revêt un relief particulier : Il ya de nouvelles autorités élues, une nouvelle donne, avec notamment un nouveau le référentiel de développement, le Plan national de développement économique et social (PNDES), auquel le Gouvernement travaille actuellement activement et qui devrait être finalisé prochainement. De notre côté, l’année 2016 est celle de la montée en puissance de notre aide au titre du 11e FED, qui court jusqu’en 2020. Il y a donc une « fenêtre d’opportunité » cette année au Burkina Faso.
Quels sont les secteurs dans lesquels se concentre l’aide de l’Union européenne dans un pays où l’on dit que tout est prioritaire ?
D’abord, nos priorités sont celles du Burkina Faso. Il y a, dans l’aide au développement, deux principes-clés pour que l’aide soit efficace : premièrement, le principe de l’alignement sur les priorités nationales, ensuite le principe d’un dialogue transparent, permanent et confiant sur les modalités de l’aide, pour que celle-ci permette d’atteindre les résultats escomptés.
Dans le respect de ces principes, l’Union européenne a prévu une enveloppe indicative d’appui au Burkina Faso, jusqu’en 2020, de 623 millions d’euros, soit 400 milliards de FCFA. Cette aide devrait être mise en œuvre dans trois secteurs de concentration principaux : 1) la gouvernance, 2) la santé et 3) la sécurité alimentaire, l’agriculture durable et l’eau.
Nous sommes actuellement dans la phase de dialogue avec les autorités pour identifier ensemble les modalités de ces appuis, qui seront mis en œuvre principalement sous forme d’aide budgétaire, générale et sectorielle, c’est -à-dire en aidant le Gouvernement burkinabè à mettre en œuvre ses politiques sectorielles. L’Union européenne accorde au Burkina Faso d’autres appuis, qui viennent en complément de cette enveloppe nationale, notamment à travers une enveloppe conséquente, de plus d’un milliard d’euros- d’appui à l’intégration régionale des 16 pays d’Afrique de l’Ouest, principalement via les programmes de l’UEMOA et de la CEDEAO. L’Union européenne dispose aussi d’autres instruments de mise en oeuvre de son aide, répondant le plus souvent à des objectifs spécifiques ou en termes d’urgence, qui relèvent de procédures spécifiques. C’est le cas par exemple de l’aide humanitaire d’urgence, mise en œuvre par le bureau européen ECHO, accueilli au sein de la Délégation, ou des appuis « à la frontière de l’urgence et le développement » grâce à un nouvel instrument créé en novembre dernier lors du sommet UE-Afrique de La Valette sur les migrations : « le Fonds fiduciaire d’urgence pour la stabilité et le traitement des causes profondes des migrations illégales en Afrique ». L’appui aux élections, comme ceux dans le domaine de la sécurité, sont d’autres exemples d’appuis européens supplémentaires mobilisant d’autres instruments que le FED. Le Burkina Faso fait partie des bénéficiaires de ces différents types d’aide.
A vous entendre, l’Union européenne va contribuer de façon significative au financement du PNDES. Y a-t-il des conditionnalités ?
Oui, l’Union européenne va contribuer à la réalisation des objectifs du PNDES ; non, il n’y a pas de « conditionnalités » au sens où vous l’entendez. Nous avons lu avec intérêt la feuille de route fixée par le Premier ministre dans son discours de politique générale en février dernier devant l’Assemblée nationale pour la mise en œuvre du programme du Président Kabore. Nous examinerons avec attention la nouvelle stratégie de développement qui sera proposée très prochainement par le Gouvernement via le PNDES, et les politiques sectorielles qui en découleront.
Nous comprenons qu’une « table ronde des partenaires » est prévue prochainement pour permettre au Gouvernement d’échanger avec ses partenaires et toutes les parties prenantes du processus de développement sur la meilleure façon d’atteindre les objectifs du PNDES, c’est-à-dire pour consolider l’Etat de droit réduire la pauvreté et favoriser le développement économique et social du Burkina Faso. L’Union européenne y participera bien sûr activement. Sur nos appuis, nous ne parlons pas de «conditionnalités», mais plutôt des conditions de l’efficacité de l’aide, ce qui suppose des efforts de réforme et de bonne gouvernance dans chaque secteur. Pour aider le Burkina à atteindre les objectifsqu’il se fixe, nous avons besoin, comme je l’ai dit plus tôt, d’un dialogue confiant, suivi et transparent, bien priorisé, orienté sur les résultats que le pays souhaite obtenir et sur les moyens les plus adéquats pour atteindre ces résultats.
Nous comprenons que l’Union européenne privilégie l’aide sous forme budgétaire. Il semble qu’il y ait une tendance au contrat du côté des partenaires financiers. Qu’est-ce que cela signifie pour les bénéficiaires ?
Effectivement, l’aide sous forme budgétaire est la modalité qui offre le plus de flexibilité et laisse le plus de responsabilité à l’Etat récipiendaire. Il y a des intrants, qui sont les appuis budgétaires, et les résultats attendus pour les populations. Entre les deux, l’Etat burkinabè est maître de son budget et de ses politiques. Cependant, dans le système de la coopération pour le développement, tout don fait l’objet d’un contrat. On parle ainsi de « conventions de financement » pour des projets. A titre d’exemple, nous discutons actuellement avec les autorités de la possibilité d’un nouveau programme d’aide budgétaire générale de l’ordre de 138 millions d’euros (environ 90 milliards de FCFA). Ceci est discuté à travers un futur « contrat de bonne gouvernance et de développement ». Les deux parties conviennent de ce qui sera fait et des repères qui vont permettre de vérifier si l’aide atteint ses objectifs, avec la possibilité d’ajuster les choses en cas de besoin.
Quels sont les rapports économiques et commerciaux entre l’Union européenne et le Burkina ?
L’Union européenne n’est pas seulement le premier partenaire technique et financier de l’Afrique, en dons. C’est aussi le premier partenaire commercial de l’Afrique, plus particulièrement de l’Afrique de l’Ouest, devant la Chine et les Etats-Unis. C’est encore le premier investisseur étranger. Cela veut dire que les produits ouest-africains exportés, notamment burkinabè, vont d’abord sur le marché européen. Dans ce domaine commercial aussi l’Europe est très active : Les relations économiques et commerciales font l’objet d’accords qui visent à faciliter le commerce et l’investissement, en permettant notamment aux produits africains un accès accru au marché européen. Avec l’Afrique de l’Ouest, l’Union européenne a ainsi conclu ce que l’on appelle un « Accord de Partenariat économique » (APE). Cet accord est entré en vigueur provisoirement et permet d’ores et déjà aux produits africains d’entrer sur le marché européen, libres de droit, alors que dans l’autre sens, l’ouverture du marché ouest-africain aux exportations européennes est encore partielle et soumise à des périodes transitoires, afin de tenir compte des niveaux différents de développement des pays et de la sensibilité de certains produits.
Cet accord est lié au processus d’intégration régionale, que l’Europe appuie par ailleurs, à l’investissement dans différents secteurs marchands, notamment pour la transformation locale des matières premières, avec un accompagnement ad hoc par l’aide au développement. Tout cela peut paraître abstrait mais prenons deux exemples concrets qui concernent le Burkina Faso et qui peuvent intéresser les lecteurs de l’Economiste du Faso : Récemment une grosse entreprise européenne (française), Olvea, a investi une somme importante pour construire à Bobo Dioulasso une unité industrielle de production de beurre de karité.
Cette usine, qui s’approvisionne localement auprès de 20.000 personnes, essentiellement des femmes, a des débouchés garantis et durables en Europe, grâce d’une part à l’accord commercial dont j’ai parlé, mais aussi grâce à un processus de qualité garanti par les organismes burkinabè concernés, aidés par l’UE. Dans le même esprit, l’UE appuie actuellement un processus visant à permettre au miel du Burkina Faso d’avoir un accès accru au marché européen. Ces exemples montrent que, dans les secteurs marchands, l’aide a un effet catalyseur et démultiplicateur quand elle intègre et accompagne les processus de développement économique basés sur l’investissement et le commerce.
Interview réalisée par
Abdoulaye TAO et Elie KABORE