Entre deux rayons du supermarché Scimas-Self-Service, un jeune couple fait ses courses. Monsieur porte une petite fille dans ses bras, tandis qu’à ses côtés madame saisit de sa main droite les articles qu’elle dépose dans le panier en plastique qu’elle tient dans sa main gauche.
Une à deux fois par mois, Nils et Carine viennent ainsi chercher en grande surface la qualité qu’ils ne peuvent trouver dans leur quartier.
«Nous achetons des produits laitiers, des bouillies pour bébé, de la viande, de l’huile et des conserves», détaille Nils en jetant un coup d’œil dans le cabas familial. «Dans le même temps, nous continuons de nous rendre au marché pour nous approvisionner en fruits et légumes, et dans les boutiques de proximité en cas d’urgence. Mais ici, tout se trouve au même endroit et c’est quand même plus pratique!», s’exclame le jeune homme, la veste de costume bleu nuit bien ajustée sur une chemise blanche.
«Au début, notre clientèle était majoritairement composée d’expatriés. Nous avons fait beaucoup d’efforts pour revoir nos prix à la baisse et, désormais, c’est la classe moyenne burkinabè qui est notre principale cible», explique Fady Ghandour, directeur adjoint de la Scimas depuis cinq ans. Lancé à la fin des années 1960 par trois grandes fratries de Libanais venus du Mali, l’établissement était à l’époque l’une des toutes premières alimentations générales de Haute-Volta -tous ceux qui ont fondé par la suite les grandes enseignes concurrentes y ont d’ailleurs travaillé.
Le supermarché, marqueur social
Installé au Burkina depuis une trentaine d’années, M.Ghandour a relevé que le développement de son magasin s’est également accompagné d’un changement dans les mentalités. «Au début, les gens croyaient qu’en pénétrant à l’intérieur, ils étaient obligés d’acheter. Et puis, ils se sont petit à petit appropriés les lieux, jusqu’à organiser leur sortie dominicale au supermarché », se souvient-il avec nostalgie. «Le facteur psychologique est essentiel pour comprendre l’évolution des habitudes de consommation des Burkinabè», confirme Ali Zeba, économiste spécialisé dans le développement local. «Au début, ils se disaient que ces endroits n’étaient pas pour eux. Y entrer, c’était déjà signe d’appartenance à une certaine catégorie sociale, et il convenait de le montrer ostensiblement. Aujourd’hui, ces habitudes sont devenues plus courantes, mais lorsqu’on reçoit il convient toujours d’exposer tous les mets et ustensiles qu’on a pu s’offrir», analyse M.Zeba.
«Entrer pour un article et en ressortir avec deux»
A Bingo Market, André scrute avec attention les étals de jus de fruits. «Regardez, il y en a combien qui sont produits ou mis en bouteille ici? C’est ça le problème!», s’indigne le quinquagénaire, installé depuis plus de 30 ans aux Etats-Unis et qui revient dans son pays natal seulement pour quelques semaines par an. Il a vu lui aussi ses compatriotes progressivement «ne plus se gêner» pour fréquenter les supermarchés, et «entrer pour un article et en ressortir avec deux». Mais s’il admet qu’il n’est plus possible de revenir en arrière, ce consultant en management déplore que l’augmentation de la demande ne se soit pas concomitamment accompagnée d’une hausse de la production locale -accroissant au contraire la dépendance du pays vis-à-vis de l’extérieur, l’écrasante majorité des denrées étant importée.
Une centaine de mètres plus loin se dresse Orca et son gigantesque hangar aux deux nuances de gris. Le secteur d’activités est différent, davantage centré sur la décoration et le mobilier de maison, mais la logique commerciale est la même. «Avant, j’allais à l’étranger ou je commandais ma chaise de bureau sur Internet. Maintenant, je peux venir l’essayer avant de la payer ici», témoigne Chadrac, vendeur d’accessoires informatiques venu ce samedi-là se promener à Orca avec un ami. «Je ne pense pas que les grands magasins vont tuer les petits commerçants, mais plutôt redistribuer les rôles. Si je veux un salon complet, je vais certes venir ici. Mais si je n’ai besoin que d’une étagère, je vais plutôt m’adresser au petit menuisier du coin», estime le jeune homme.
Du côté de la direction, on ne souhaite pas pour autant se spécialiser, mais continuer à proposer la gamme de produits et de prix la plus large possible. «On veut s’adresser à tout le monde, surtout avec la crise. Avant, les clients venaient toutes les deux semaines pour voir les nouveautés. Désormais, beaucoup essaient de négocier des remises en caisse», déclare Mahmoud Kawar. Arrivé de Dakar il y a 14 ans pour ouvrir le premier Orca du Burkina, le manager raconte comment il a dû s’appuyer sur la diaspora burkinabè de retour au pays, ainsi que les nombreuses publicités qui passaient sur les chaînes de télévision étrangères, pour populariser ses accessoires auprès d’un public initialement réticent. Malgré la stagnation et la baisse annoncée du chiffre d’affaires, le jeune trentenaire fourmille d’idées pour dynamiser son espace de vente de 6.700m². Et pourquoi pas aménager ses troisième et quatrième étages, qui servent aujourd’hui de dépôt.
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