«Un vieux m’avait raconté une fois qu’il était arrivé en 1904, et me certifiait qu’il était le tout premier Libanais du Burkina. Est-ce vrai? Je n’en sais rien, mais en tout cas, c’est ce qu’il soutenait!» L’anecdote est racontée par le consul du Liban, Joseph Hage, lui-même installé au Faso depuis près d’un demi-siècle. Elle témoigne aussi bien de l’ancienneté de l’implantation du pays du Cèdre sur la terre des Hommes intègres que de la rareté des documents pour reconstituer l’histoire de cette immigration séculaire.
Les différentes sources attestent néanmoins d’une première vague au début du XXe siècle. «Les violences exercées par la communauté druze (une minorité musulmane, ndlr) incitent un tiers de la communauté chrétienne à fuir le futur État libanais», explique Xavier Aurégan, doctorant à l’Institut français de géopolitique et auteur en 2012 d’une étude sur la «communauté» libanaise d’Afrique de l’Ouest. Ces pionniers de la diaspora fuient également la conscription imposée par l’Empire ottoman, dont la domination s’étend avant la Première Guerre mondiale (1914-1918) jusqu’aux confins du Levant. «Les premières émigrations libanaises vers l’Afrique sont toutefois des phénomènes accidentels : les centaines de milliers de Libanais ayant migré entre 1870 et 1914 se sont dirigées à plus de 80 % vers le continent américain, principalement vers les États-Unis, le Canada, l’Argentine et le Brésil», poursuit le chercheur. Les bateaux qui quittaient Beyrouth, la future capitale du Liban, s’arrêtaient d’abord à Marseille, dans le Sud de la France, puis effectuaient une deuxième escale à Dakar, avant de se lancer dans la traversée de l’Atlantique. A cette époque-là, ce sont donc ceux qui n’avaient pas les moyens de poursuivre jusqu’au bout qui se retrouvaient en Afrique.
Les conséquences indirectes de la guerre du Liban
De fait, les premiers foyers de la diaspora se sont formés dans les pays côtiers comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire ou le Ghana actuels, avant de s’étendre plus à l’intérieur des terres, à la demande notamment du colonisateur. En effet, l’Empire français réquisitionnait les Libanais pour effectuer la liaison entre l’arrière-pays et les comptoirs du bord de mer, mais aussi pour jouer les intermédiaires commerciaux entre les petits producteurs locaux et les grandes entreprises hexagonales.
«A l’époque, c’était l’aventure!», s’exclame Elias Nassar, né en 1938 à San, dans ce qui était autrefois le Grand Soudan et qui correspond au Mali actuel. Quand il pose finalement ses valises en Haute-Volta, une vingtaine d’années plus tard, il ne retrouve à Ouagadougou que 300 ou 400 de ses compatriotes. Il se lance alors dans la boulangerie, connaissant un succès très aléatoire et de multiples faillites, avant de fonder à la fin des années 1980 la pâtisserie de Koulouba et plusieurs autres établissements qui lui appartiennent encore aujourd’hui. «La majorité d’entre nous était des villageois sans instruction. Nous n’avions pas de métier. La seule opportunité de gagner notre pain quotidien, c’était le commerce», raconte Elias Nassar, qui concède aux Libanais un goût prononcé pour le négoce, sans doute hérité de leurs ancêtres phéniciens.
Le Burkina ne sera pas touché directement par la deuxième grande vague migratoire provoquée par la Guerre du Liban (1975-1990). Les effets se feront néanmoins ressentir au moment de la crise ivoirienne des années 2000, lorsque plusieurs dizaines de familles nouvellement immigrées chez le grand frère du sud, en majorité des chiites originaires du Sud-Liban, trouveront refuge dans la patrie du médiateur Blaise Compaoré. La communauté augmentera alors d’environ 40%, pour atteindre les 1.250 à 1.300 ressortissants qu’elle compte aujourd’hui.
J.B
Donner une image positive du Liban
De temps en temps, quelques Burkinabè partent au Liban, notamment à l’occasion du pèlerinage de Saint-Charbel. En 2002, Joseph Hage se souvient qu’il avait emmené avec lui toute une délégation de 40 personnes pour le sommet de la Francophonie au Liban. «Ils ont tous été surpris!», se souvient d’un air encore enjoué celui qui deviendra consul deux ans plus tard. «Nos frères Africains nous disaient: vous avez ce beau pays, de l’argent, des voitures…qu’est-ce que vous faîtes en Afrique? Ils se sont rendu compte que les Libanais n’étaient pas pauvres et n’étaient pas venus pour amasser l’argent au Burkina. Les médias burkinabè étaient également présents, et ça a permis de donner une image plus positive du Liban que la guerre et les bombardements».