A l’occasion d’une interview accordée à L’Economiste du Faso, le Contrôleur général d’Etat, Luc Marius Ibriga, explique le processus de publication d’un rapport de l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de lutte contre la corruption (ASCE-LC) et le suivi de la mise en œuvre des recommandations. En rappel, le rapport général annuel d’activités 2014 de l’ASCE-LC a été rendu public en janvier 2016.
– L’Economiste du Faso : Quel est le processus qui conduit à la publication d’un rapport comme celui de 2014 ?
Luc Marius Ibriga, Contrôleur général d’Etat: Le rapport général est la synthèse des rapports individuels des corps de contrôle et d’investigation que les Inspections techniques ont menés pendant l’année concernée, en plus des rapports de l’ASCE-LC. L’ASCE-LC centralise tous les rapports et, en début d’année, au cours d’une session, les contrôleurs d’Etat exploitent ces rapports individuels et une synthèse est faite. C’est cette synthèse qui est rendue publique dans le rapport général annuel. Mais après chaque contrôle, une restitution se fait sur place avant la rédaction-même du rapport.
– On assiste souvent à des contestations du contenu des rapports. Est-ce que les structures auditées sont invitées à apporter des explications sur les résultats des audits avant la publication ?
Dès que le rapport provisoire de contrôle est rédigé, obligation est faite à l’ASCE-LC de le transmettre à la structure contrôlée pour lui demander de faire ses observations. La structure dispose d’un mois pour le faire.
Le rapport est envoyé avec une lettre libellée comme suit: «Conformément aux dispositions de l’article 26 du décret 2008-160/PRES/PM du 8 avril 2008 portant organisation et fonctionnement de l’ASCE-LC, les intéressés disposent d’un délai maximum d’un mois pour me faire parvenir leurs réactions».
Il n’y a pas de personne qui ait fait l’objet d’un contrôle et qui n’a pas eu l’occasion de répondre. Nous partons de la règle cardinale selon laquelle la présomption d’innocence et le droit de la défense doivent être respectés. l’ASCE-LC ne conclut jamais ses rapports sans avoir mis les personnes en situation de présenter leur défense.
Même tout récemment, sur les investigations faites sur les lotissements, il se trouvait que certaines personnes contrôlées étaient déjà en détention. L’ASCE-LC a insisté pour que les rapports provisoires leur soient transmis pour qu’elles nous donnent leurs observations. Nous sommes donc passés par la direction de la prison, avec l’appui de leurs conseils, pour que ces personnes fassent des commentaires. Nous examinons ces commentaires. Si elles apportent des informations qui peuvent remettre en cause un certain nombre de constats que nous avons faits, nous les intégrons. Sinon, nous écrivons à la personne pour lui signifier que nous considérons que les informations ne remettent pas en cause nos constats et nous concluons dans un sens.
Comme le rapport est envoyé par la voie administrative, on se dit que beaucoup de personnes ne sont pas au courant. Mais lorsque le rapport est rendu public, on vient pour se justifier alors qu’on a eu l’occasion de justifier. Certains ne semblent pas intéressés par le rapport lorsqu’on le leur envoie. Si au bout du mois nous ne recevons rien, on considère qu’ils ont marqué leur accord par rapport à ce qui est écrit et nous concluons. Lorsque le rapport est envoyé, nous demandons à le remettre à la personne concernée pour qu’elle réagisse, mais parfois ce n’est pas fait.
– On enregistre un faible taux dans la mise en œuvre des recommandations. De quels moyens dispose l’ASCE-LC pour contraindre les structures à s’exécuter ?
Après le contrôle, nous formulons des recommandations pour une amélioration du fonctionnement du service. S’il y a des sanctions disciplinaires, nous les envoyons à la hiérarchie qui doit les appliquer. Une des faiblesses de l’ASCE-LC provient du fait que nous n’avions aucune prise sur la suite à donner à nos rapports du côté judiciaire comme du côté administratif.
Conscients de cela, nous avons, dans la nouvelle loi, changé la situation. Une disposition va amener les responsables à prendre leurs responsabilités. Il est dit dans cette loi que: les responsables des administrations concernées par les recommandations contenues dans le rapport sont tenus de les exécuter. L’inexécution ou le refus d’exécuter lesdites recommandations sont consécutives de fautes professionnelles pouvant donner lieu à une procédure disciplinaire. A partir de la promulgation de la loi, si des sanctions ne sont pas prises, le supérieur hiérarchique est considéré comme responsable.
Chaque année, nous faisons le suivi des recommandations sur place et sur pièces sur la base du tableau présenté à l’issue du contrôle. Nous sommes dans une fourchette de 40% de suivi sur place et 60% sur pièces.
Cette année, nous tendons vers 50% sur place et 50% sur pièces. Nous devrions assurer un contrôle de ces recommandations à 100% sur place, mais compte tenu des moyens mis à notre disposition, nous optons aussi pour le contrôle sur pièces. Pour ce faire, nous écrivons aux différentes administrations pour demander de remplir le tableau de mise en œuvre des recommandations.
Nous pensons que le contrôle assainit la gestion parce qu’elle permet d’éviter que celui qui est tenté ne franchisse le pas. La tentation est grande pour un gestionnaire de passer aux détournements, à la dissipation de biens ou à des recours aux procédures de recrutement ou d’octroi d’avantages indus. Mais lorsqu’il sait qu’un contrôle peut intervenir, même s’il n’est pas vertueux, il s’abstiendra.
Nous n’avons pas seulement une tâche inquisitoriale comme beaucoup le pense, c’est une tâche de conseil dans la mesure où il y a toujours une discussion et un feedback. Mais les gens cherchent des justifications à des comportements contraires à la législation. L’ASCE-LC a pour but de s’assurer que les textes prévus sont appliqués. La question de manque de moyens qui est souvent évoquée pour justifier le non-respect des textes ne passe pas. Pour déplacer un fonds d’une ligne à une autre, il est dit qu’il faut une autorisation.
– Comment se fait le suivi de la mise en œuvre des dossiers en justice ?
A l’issue d’un contrôle, si les malversations dépassent 1.000.000 F CFA, nous transmettons le dossier à la justice. Chaque année, nous avons un suivi des dossiers en justice. Ce suivi se fait de concert avec l’inspection générale des services judiciaires et les greffes des différents tribunaux. Après leur avoir adressé des correspondances, nous nous déplaçons pour savoir où en est l’évolution des dossiers. Mais dans la nouvelle loi, le procureur du Faso ne peut que poursuivre dès que l’ASCE-LC introduit un dossier. Il n’a plus l’opportunité de la poursuite.
En plus, la nouvelle loi octroie à l’ASCE-LC la possibilité de se constituer partie civile dans les affaires pour les dossiers qui le concernent, afin d’éviter que les dossiers trainent.
– Quel appel vous lancez à ceux qui sont contrôlés ?
Le rôle de l’ASCE-LC est la préservation du bien commun pour que les maigres ressources soient bien gérées. Si nous perdons le sens de la solidarité, du bien commun, nous n’avons pas un vécu ensemble à construire, on retournera dans la loi de la jungle.
Entretien réalisé par Elie KABORE
Le contrôle du budget-programme en perspective
Si véritablement la restructuration de l’ASCE-LC aboutit, cela va changer la nature du contrôle. Cette évolution va se poursuivre avec la mise en place du statut des corps de contrôle interne de l’Etat, avec leur rattachement à l’ASCE-LC et non plus au ministre. Ce chantier doit être achevé en fin 2016 pour qu’il soit opérationnel en 2017, année au cours de laquelle le Burkina entre dans le budget-programme où chaque ministère gère ses crédits. Le pays a intérêt qu’il ait ces personnes, parce qu’il faut un contrôle préventif, sinon les ministères vont consommer leurs crédits en 3 mois, prévient le Contrôleur général d’Etat. o
L’ASCE-LC n’est pas un père fouettard
Dans le cadre du contrôle, l’ASCE-LC ne vient pas comme un père fouettard pour faire du mal à quelqu’un. C’est parce que l’idée de la reddition de comptes doit être une culture au Burkina Faso. Quand on gère le bien public, on doit s’attendre à rendre compte.
Cette disposition d’esprit doit permettre de trouver les moyens pour que les contrôles se fassent de la manière la plus simple. Lorsque l’ASCE-LC arrive pour un contrôle et que l’on ne trouve pas les documents, c’est la preuve que quelque chose ne va pas. Pour tout contrôle, l’ASCE-LC prévient toujours et indique les pièces dont elle aura besoin. Ce qui fait exploser le budget de l’ASCE-LC, c’est le fait que malgré les correspondances, lorsque le contrôle arrive, il traine. Une bonne préparation d’une mission ne perturbe pas le fonctionnement du service.
Le budget 2016 de l’ASCE-LC a été réduit de moitié
L’effectif actuel de l’ASCE-LC tourne autour d’une soixantaine de personnes dont 32 contrôleurs d’Etat et du personnel soit en détachement soit contractuel. La restructuration va étoffer la structure dans la mesure où il y a 2 nouveaux emplois qui seront créés. En plus des contrôleurs d’Etat qui sont des fonctionnaires de catégorie P5, l’ASCE-LC recrutera des assistants vérificateurs qui vont assister les contrôleurs dans leur travail et des enquêteurs qui feront le travail de terrain.
Selon la loi, les contrôleurs d’Etat auront le statut d’officiers de police judiciaire. Ils peuvent garder à vue et les rapports ont valeur d’enquête préliminaire. Au bout de la restructuration, cet effectif passera à 130 ou 150 personnes. Ceux qui viennent à l’ASCE-LC le font pour le prestige de l’institution. La restructuration doit améliorer le statut du personnel qui est tenu à un certain nombre d’obligations, mais qui en retour n’ont pas de compensation.
Depuis des années, l’ASCE-LC cherche à recruter en vain des magistrats, des commissaires de police et des officiers de gendarmerie, parce que le traitement proposé est faible alors qu’il faut les mettre à l’abri de la tentation de corruption et ne pas compter seulement sur la vertu des hommes.
Sur le plan financier, l’institution bénéficie d’un fonds d’intervention pour la réalisation de ses missions. Mais ce budget n’est pas stable. Il était de plus de 200 millions de FCFA en 2015. Il n’a d’ailleurs pas suffi, compte tenu du nombre de missions commandées. Une rallonge de près de 70 millions de F CFA a été demandée. Cette année, le fonds d’intervention a été ramené à près de 100 millions de F CFA, alors que l’année commence avec une demande d’audit de la transition, sans compter les demandes qui interviendront et le programme propre à l’ASCE-LC.
Voilà pourquoi il a été indexé dans la loi organique N°082-2015/CNT du 24 novembre 2015 portant attributions, composition, organisation et fonctionnement de l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de lutte contre la corruption (ASCE-LC) que le budget de l’ASCE-LC ne doit pas être inférieur à 0,1% du budget national. Sur la base des prévisions de recettes 2016 de l’Etat qui se chiffrent à 1.639,826 milliards de F CFA, on peut s’attendre à une dotation budgétaire de 1,639 milliards de F CFA pour l’ASCE-LC.
Lutte contre l’excision Une méthode plus radicale
Confronter les bourreaux aux victimes, c’est la nouvelle méthode mise en place par le consortium des ONG, en partenariat avec l’ONG allemande NTACT, pour lutter contre l’excision au Burkina Faso. Une solution plus radicale, qui consiste à mettre face-à-face exciseuses et excisées.
A la suite d’un dépistage des filles excisées avec la collaboration des services de santé, celles-ci sont tenues de dénoncer les exciseuses et leur faire part de leur mal-être lors d’un symposium public qui réunit les exciseuses et les gardiens de la tradition. Ce nouveau programme de lutte contre l’excision lancé en mai 2015 pour une durée de 2 ans a pour but de lutter définitivement contre l’excision.
Selon le président du Consortium, Olivier Ouédraogo, le but de ce programme est de faire un résultat de 0 femme excisée en 2017. Le 19 février dernier, le consortium s’est réuni à Ouagadougou pour présenter les résultats obtenus après une année de sensibilisation sur le terrain.
C’est au total plus de 30 exciseuses reconverties et une centaine de gardiens de la tradition qui soutiennent le projet à travers les différentes régions du pays. Financé par NTACT à plus de 133 millions de F CFA, ce programme fait la fierté du consortium qui y voit une manière la plus efficace d’en finir avec l’excision, comme le précise son président : «Notre stratégie de lutte est l’une des meilleures en ce moment. Elle consiste à faire du porte-à-porte, à identifier les gardiens de la tradition pour une sensibilisation, puis à confronter les exciseuses aux excisées lors d’un symposium public. Cette méthode permet aux filles excisées de faire part de leurs sentiments aux exciseuses. Un débat franc et très poignant. Face à ça, les exciseuses prennent réellement conscience du mal qu’elles ont fait aux jeunes filles et s’engagent publiquement à ne plus jamais commettre de telles atrocités».
Lancée le 23 février dernier, la campagne prendra fin le 5 mars prochain. Au-delà de la réparation des séquelles de l’excision, cette campagne vise également la réfection du périnée pour un meilleur confort sexuel, l’injection au point G et le traitement des incontinences urinaires. Seul hic, le délai très court qui ne permettra pas aux milliers de femmes dans le besoin de se faire opérer durant la campagne. Mais celles qui le souhaiteraient pourraient toujours le faire après la campagne aux coûts sans subvention.
GB