NEW YORK – En ce début d’année, le monde est confronté à la multiplication des risques géopolitiques et géoéconomiques. La plus grande partie du Moyen-Orient est à feu et à sang, ce qui laisse entrevoir le risque d’une guerre de longue durée entre sunnites et chiites (à l’image de la Guerre de Trente Ans entre catholiques et protestants en Europe). La montée en puissance de la Chine s’accompagne de nombreuses revendications territoriales en Asie, elle constitue un défi pour le leadership stratégique des USA dans la région. Quant à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le conflit est semble-t-il partiellement gelé, mais il peut redémarrer à tout moment.
Il faut aussi compter avec le risque d’apparition d’une nouvelle épidémie, comme celle due au SRAS, au coronavirus du SRMO (syndrome respiratoire du Moyen-Orient), au virus d’Ebola ou à d’autres maladies infectieuses. La cyberguerre menace elle aussi, tandis que du Moyen-Orient à l’Afrique sub-saharienne et à l’Afrique du Nord, des acteurs et des groupes non étatiques provoquent des conflits et provoquent le chaos. Autre menace capitale, le réchauffement de la planète a déjà fait des dégâts considérables, avec des événements climatiques extrêmes de plus en plus fréquents et meurtriers.
Pourtant, c’est l’Europe qui pourrait devenir cette année le lieu de tous les dangers géopolitiques. En premier lieu, la sortie de la Grèce de la zone euro a peut-être été seulement retardée, car la réforme des retraites et d’autres réformes structurelles mettent le pays sur la voie d’un choc frontal avec ses créanciers. Or un «Grexit» pourrait annoncer le début de la fin de l’union monétaire, car les investisseurs se demanderaient alors quel pays va suivre (sans même exclure un pays qui joue un rôle central dans l’UE comme la Finlande).
En cas de Grexit, l’idée de la sortie du Royaume-Uni de l’UE, le «Brexit», gagnerait du terrain. Comparé à il y a un an, sa probabilité a augmenté pour plusieurs raisons. De même que la crise des réfugiés, les récents actes terroristes en Europe poussent le Royaume-Uni à devenir encore plus isolationniste. Sous la conduite de Jeremy Corbyn, le parti travailliste britannique est de plus en plus eurosceptique. Quant au Premier ministre, David Cameron, il se met dans une position difficile en demandant à l’UE des réformes inacceptables – même par l’Allemagne pourtant bien disposée envers le Royaume-Uni. Aux yeux de beaucoup en Grande-Bretagne, l’UE ressemble à un bateau en train de couler.
Si le Brexit se réalise, d’autres dominos tomberont. L’Ecosse pourrait décider de quitter le Royaume-Uni, ce qui conduirait à l’éclatement de la Grande-Bretagne.
Cela pourrait inciter d’autres mouvements séparatistes (à commencer peut-être par la Catalogne) à exiger l’indépendance avec plus d’agressivité. Et en cas de sortie du Royaume-Uni, les pays membres d’Europe du Nord pourraient juger qu’ils feraient mieux eux aussi de quitter l’UE. En ce qui concerne le terrorisme, le simple nombre de jihadistes européens montre que pour l’Europe la question n’est pas de savoir si un nouvel attentat va avoir lieu, mais quand et où il va avoir lieu. La répétition des actes de terrorisme pourrait affecter la confiance des consommateurs et ainsi réduire drastiquement le rythme des affaires et mettre au point mort le fragile redémarrage économique de l’Europe.
La présence de Syriza au pouvoir en Grèce, celle d’une coalition de gauche au Portugal et les élections qui viennent d’avoir lieu en Espagne pourraient générer beaucoup d’incertitudes politiques. Des partis virulemment anti-immigrants et anti-musulmans gagnent en popularité au cœur même de l’Europe, notamment en Hollande, au Danemark, en Finlande et en Suède. En France, le Front national d’extrême-droite n’a pas été loin de remporter plusieurs régions en décembre, et Marine Le Pen, sa dirigeante, pourrait réaliser un bon score lors de l’élection présidentielle de 2017.
En Italie, le Premier ministre Matteo Renzi est aux prises avec deux partis populistes anti-européens, et en Allemagne le leadership de la chancelière Angela Merkel est contesté en raison de sa décision courageuse mais controversée d’autoriser près d’un demi-million de demandeurs d’asile à entrer dans le pays.
Autrement dit, le fossé s’élargit entre ce que veulent les Européens et ce dont l’Europe a besoin, ce qui pourrait entraîner des troubles cette année. La zone euro et l’UE sont confrontées à de multiples menaces qui appellent chacune à une réponse collective. Mais les pays membres se replient de plus en plus sur la défense de leur intérêt propre, ce qui rend problématique l’application de solutions à l’échelle de l’Europe (la crise des réfugiés en est un exemple tragique).
L’Europe a besoin de davantage de coopération, d’intégration, de partage des risques et de solidarité. Au lieu de cela, les Européens s’engagent sur la voie des nationalismes, de la balkanisation, de la divergence et de la désintégration.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Copyright: Project Syndicate, 2016.
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Défendre la frontière extérieure commune
Ceux qui disent que la crise des réfugiés constitue une menace existentielle pour l’Europe ont raison. Mais le problème n’est pas le million de réfugiés qui sont arrivés en Europe en 2015, mais les 20 millions ou davantage d’hommes, femmes et enfants qui ont été contraints de partir de chez eux, sont désespérés et cherchent à échapper à la guerre civile, à la violence, à un Etat en déliquescence, à la désertification ou à l’effondrement économique qui affecte une grande partie du Moyen-Orient et de l’Afrique.
Si les pays membres de l’UE s’avèrent incapables de trouver une solution coordonnée à ce problème et défendre une frontière extérieure commune, l’espace Schengen disparaîtra et les frontières internes entre les pays membres de l’UE réapparaîtront.
A la fatigue des pays de la périphérie de la zone euro (et de certains membres de l’UE comme la Hongrie et la Pologne qui n’en font pas partie) face à l’austérité et aux réformes répond la lassitude des pays du centre face à la multiplication des plans de secours. Avec leur hostilité au libre-échange, aux migrations, aux musulmans et à la mondialisation, les partis populistes de droite comme de gauche gagnent en popularité à travers le continent.