S’il fallait juger que par les symboles, l’on aurait dit que la Côte d’Ivoire a bien envie de détendre l’atmosphère de ses relations avec le Burkina. C’est ce message qui a clairement été exprimé par les plus hautes autorités ivoiriennes lors de leur présence à Ouagadougou à l’occasion de l’investiture du nouveau président du Faso, Roch Kaboré.
L’insurrection populaire de fin octobre 2014 qui a contraint Blaise Compaoré à l’exil en Côte d’Ivoire, le putsch avorté de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle (RSP) en septembre dernier, l’affaire des écoutes téléphoniques dont le contenu présume le soutien de Guillaume Soro, président de l’Assemblée nationale ivoirienne, aux putschistes ont ensemble contribué à refroidir les relations diplomatiques entre les deux pays.
Pendant qu’un climat de méfiance règne entre les deux voisins, la justice du Burkina, sous la transition, a récemment émis un mandat d’arrêt international contre Blaise Compaoré et s’apprête à demander aux autorités ivoiriennes son extradition. Une situation très embarrassante pour le président Ouattara qui a des liens très personnels d’amitié avec l’ancien président du Burkina.
Comment concilier ses propres intérêts et les attentes du Burkina ? Le réalisme veut que l’on évite de créer une crise entre les deux Etats. C’est dans ce contexte que le président ivoirien a promis d’engager un dialogue avec les nouvelles autorités du Burkina. Présent à Ouagadougou le 29 décembre dernier dans le cadre de l’investiture du président Kaboré, ce sujet n’a pas pu être abordé en raison notamment de la journée très chargée du nouveau locataire du palais de Kosyam. Toutefois, les symboles et les signaux exprimés par la Côte d’Ivoire démontrent clairement la voie dans laquelle elle entend inscrire ses rapports avec la Burkina.
C’est notamment celle du respect et de la compréhension mutuels, ainsi que de la coopération. La présence de Ouattara à Ouagadougou pour assister à l’investiture de Kaboré et le féliciter pour son élection est déjà une preuve de ce respect.
En plus, le président ivoirien s’est fait accompagner par une forte délégation de près d’une vingtaine de personnalités parmi lesquelles on comptait ses hommes de confiance et ses plus proches lieutenants.
Outre son frère cadet, Ibrahim, ministre chargé des Affaires présidentielles, il y avait Henriette Dagri Diabaté, cadre fondatrice du RDR (parti de Ouattara) et actuellement Grande chancelière de Côte d’Ivoire. Malgré son état de santé fragile, Amadou Gon Coulibaly, secrétaire général de la présidence ivoirienne, un autre cadre du RDR et très proche de Ouattara, était aussi présent.
Deux ministres d’Etat faisaient partie de la délégation. Il s’agit notamment du très influent Ahmed Bakayoko, ministre de la Sécurité, fidèle lieutenant de Ouattara, et de l’ancien Premier ministre Kouadio-Ahoussou Jeannot, actuellement ministre d’Etat auprès de la présidence.
D’autres ministres du gouvernement ivoirien, à savoir celui des Affaires étrangères, Charles Diby Koffi, celle de l’Education Kandia Camara, de la Santé Raymonde Goudou Koffi, celui de l’Intégration Ally Coulibaly ou son prédécesseur Adama Bictogo étaient aussi présents à Ouagadougou.
Il s’agissait véritablement de montrer tout l’intérêt que le pouvoir d’Abidjan porte à ses relations avec le Burkina. Des relations qualifiées «d’historiques».
Un autre symbole fort de la présence de la délégation présidentielle ivoirienne au Burkina ce 29 décembre a été la visite de courtoisie rendue au Moro Naaba Baongo, chef suprême des Mossés et autorité coutumière très respectée par tous les Burkinabè. Le président ivoirien et sa suite sont allés au palais du Moro Naaba après la cérémonie d’investiture du président du Faso.
Au nom du président Ouattara, le ministre Hamed Bakayoko a déclaré: «Le chef de l’État de Côte d’Ivoire, SEM Alassane Ouattara, est venu ici chez le Moro Naaba avec une forte délégation pour lui présenter ses civilités. Les liens historiques entre nos deux pays sont très forts. Le président Ouattara s’emploiera à les renforcer davantage». Tout est dit. Il reste maintenant à voir comment cela se traduira concrètement dans les actes.
Karim GADIAGA
Le camp de Gbagbo à l’affût
Pour la Côte d’Ivoire, avoir des relations stables avec le Burkina est un enjeu. En dehors de la coopération économique, c’est surtout sur le plan sécuritaire qu’Abidjan a besoin du Burkina. Il faut s’assurer que le voisin burkinabè ne se désolidarise pas du plan sécuritaire qui permet à la Côte d’Ivoire d’être à l’abri des caciques de l’ancien régime du président Laurent Gbagbo.
Le Burkina est un soutien stratégique pour l’actuel pouvoir ivoirien et les opposants de Ouattara en sont conscients. La moindre fissure dans les relations entre Ouagadougou et Abidjan pourrait être exploitée par le Front populaire ivoirien (FPI), le parti de Gbagbo. C’est pourquoi Pascal Affi Nguessan, actuel président du FPI, ne cesse de faire des yeux doux aux autorités du Burkina. Après avoir salué «le courage des Burkinabè dans le mandat d’arrêt contre Compaoré» et souhaité son extradition, il a assisté à l’investiture de Roch Kaboré à la tête d’une délégation de membres du FPI.