15 octobre 1987- 15 octobre 2015. 28 ans après l’assassinat du président Sankara et de 12 de ses compagnons, une procédure judiciaire est en cours devant la justice militaire à la faveur de la transition. Me Bénéwendé Sankara, avocat des ayants cause, fait le point de ce dossier dont il dit qu’il avance. Le putsch a juste retardé l’accès des parties civiles aux conclusions du rapport d’autopsie et d’enquête balistique.
L’Economiste du Faso: Le dernier événement connu dans le dossier Sankara est le rapport d’autopsie délivré par les experts commis par le juge d’instruction. En quoi ce rapport est-il important pour la suite de la procédure ?
Me Bénéwendé S. Sankara( avocat des ayants cause). Il faut rappeler que nous sommes dans le cadre d’une procédure d’information. Quand on parle d’information judiciaire, cela veut dire que le dossier fait d’objet d’une instruction. L’affaire Thomas Sankara a été transmise au tribunal militaire après le long chemin qu’elle a connu depuis 18 ans. Un dossier pendant devant les juridictions burkinabè. A la faveur de la transition, l’ordre de poursuite a été donné par le ministre de la Défense à l’époque, le Premier ministre Isaac Zida. Cela a permis d’actionner la procédure conformément au code de justice militaire parce que depuis longtemps, on était bloqué dans la mise en application de l’article 71 du code de justice militaire. Je rappelle cela pour dire qu’ en matière d’information, les missions du juge consistent à instruire à charge et à décharge sur la base des preuves et indices, traces et tout élément qui peuvent concourir à la manifestation de la vérité.
Suivant les réquisitions du commissaire du gouvernement, il a commencé à instruire le dossier.Il est arrivé à un moment du dossier où la procédure lui commandait d’ouvrir la tombe, puisque jusqu’à cette étape aucun élément de preuve ne lui avait été fourni qui atteste que ceux qui étaient à Dagnoen étaient vraiment les corps de Thomas Sankara et ses compagnons.
Pour le juge, il était normal que l’on s’assure que les restes correspondent aux identités supposées des personnes, ainsi que de la cause de la mort. C’est ce rapport que nous étions conviés le 14 septembre dernier à en prendre connaissance pour nous informer des résultats de l’autopsie et de l’enquête balistique. Malheureusement, cela n’ pas pu se faire à cause du coup d’Etat intervenu le 16.
Vous n’avez donc pas encore eu accès au contenu du rapport d’autopsie ?
Oui, tout à fait.
La veuve Sankara, sur RFI, a fait un lien entre les conclusions de ce rapport et le déclenchement du coup d’Etat.
Dans ce dossier, je suis avocat, mais je suis également citoyen de ce pays. Je suis ce qui se passe et en tant qu’acteur politique, je pense qu’on peut faire un lien de cause à effet. Le coup de force a été un fait troublant. Le peuple ne s’y attendait pas, et perpétré à cet instant précis, beaucoup de personnes peuvent en tirer des hypothèses. Coïncidence pour coïncidence, on se demande pourquoi c’est Gilbert Diendéré dont le nom revient dans le dossier qui est l’auteur du putsch, pratiquement le jour-même où les avocats devaient prendre connaissance du rapport. Mais je n’ai aucun élément fiable pour attester qu’il y a un lien. Mais le coup d’Etat fera l’objet d’une procédure judiciaire. Cela permettra à chacun d’avoir des éléments d’appréciation. En entendant, ce ne sont que des supputations.
Dans le cadre de la procédure sur le putsch, le juge peut-il l’entendre sur le dossier Sankara ?
Indépendamment de ce dossier, le juge à les pleins pouvoir d’entendre qui il veut et d’inculper qui il veut, dans le cadre de sa procédure.
Mais pourquoi depuis tout ce temps, il n’a pas été auditionné? C’est le cas également de l’adjudant-chef Kafando dont le nom revient dans ce dossier?
Vous savez, le lit de l’impunité c’est le pouvoir lui-même. Quand lui-même, il est à la base d’un certain nombre de crimes, c’est tout à fait normal que la justice en souffre. C’est pour cela que dans l’Etat de droit normal, on prône l’indépendance de la magistrature. Ce n’est pas le seul dossier où des noms de dignitaires sont cités et qui souffrent dans les tiroirs.
Avec la transition, on a cru que les choses allaient changer…
De ce point de vue, le dossier était avancé. Le juge avait commencé des auditions et il procède par des cheminements. Et il y aura des confrontations. La procédure suivait son cours. J’ai même appris par voie de presse qu’il y a des arrestations et que quelqu’un serait en fuite. Cela veut dire que le juge était déjà sur une piste. Si cette piste le conduit vers Gilbert Diendéré ou quelqu’un d’autre, quel que soit son rang, il l’entendra.
La personne en fuite est l’adjudant-chef Kafando selon nos confrères de Mutation. Comment est-ce possible ?
C’est absurde de chercher à se soustraire à la justice en allant dans un autre pays dans ce monde globalisé. La justice vous rattrape toujours. Il y a des mandats d’arrêt, la coopération judiciaire, Interpol, ce sera difficile de se soustraire s’il est «wanted».
En tant que partie civile dans ce dossier, de quels moyens objectifs disposez-vous pour faire avancer ce dossier ?
Cette une belle question. Il y a les moyens judiciaires, mais en plus il faut les moyens politiques. C’est ce travail que je fais à l’UNIR/PS depuis 15 ans. C’est de travailler à ce que la justice retrouve ses lettres de noblesse. Que l’on puisse dire le droit dans ce pays. Depuis l’assassinat du journaliste Norbert Zongo, la commission de réconciliation nationale a mis en évidence un crime politique et a conclu qu’il y avait une aspiration du peuple à plus de justice et vérité.
Depuis lors, quand on regarde le parcours du peuple, il est guidé par ces valeurs-là qui ont débouché sur l’insurrection. Aujourd’hui, on parle de transition, mais vers où? Un saut dans l’inconnu? De mon point de vue, on doit aller véritablement vers un Etat de droit où toutes les garanties du droit sont assurées au citoyen, avec la justice comme rempart de la liberté individuelle et collective. C’est à partir de là seulement que tous les grands dossiers vont connaitre un épilogue.
C’est mon point de vue et j’y crois.
Le 15 octobre 2015 aura quel cachet?
En principe, il aura un cachet particulier. Cette année, les restes du président Sankara ne sont plus au cimetière de Dagnoen pour qu’on puisse s’y rendre et lui rende hommage. En attendant que les restes nous reviennent pour que nous procédions à une re-inhumation due à son rang de héros national, à l’UNIR/PS, nous avons prévu une journée nationale d’hommage. La journée du 15 sera une journée de salubrité pour nettoyer le pays. Je vais emprunter le terme au Balai citoyen -qui est également du mouvement sankariste- de balayer et purifier ce pays afin que le président Sankara à son retour puisse enfin reposer en paix dans son pays qu’il a tant aimé. Nous avons également prévu un chronogramme qui prévoit un panel, une projection de films dans les villes.
Il n’y a aura pas un large front pour célébrer cet événement cette année?
Excusez moi, j’ai peur désormais de ces termes depuis notre convention dite sankariste (permettez-moi de m’exprimer ainsi), j’ai désormais un autre regard sur les hommes et les organisations. Je ne m’exprime qu’au nom de l’UNIR/PS et du CNR-MS en tant que partis politiques. Je peux aussi parler au nom de ces associations sankaristes qui soutiennent dans une certaine mesure l’action de nos partis.
Balayer les cimetières n’est pas au programme. ?
Comme je vous le dis, cette année, les restes de Sankara ne sont pas a Dagnoen . C’est cela la particularité. Mais en demandant l’autorisation, on peut le faire, aussi bien là-bas qu’au cimetière de Gounghin où repose également nos martyrs. On verra.
Abdoulaye TAO
Les grandes dates du dossier
15 octobre 1987 : l’assassinat
Thomas Sankara et 12 autres personnes sont abattus dans les locaux du Conseil de l’Entente alors qu’ils étaient en réunion.
Le 29 septembre 1997 : la première plainte contre X pour assassinat
Peu avant la fin du délai de prescription, la veuve Sankara et ses deux fils, Philippe Relwendé et Auguste Wendyam, se constituent partie civile dans une plainte contre X pour assassinat au tribunal de grande instance de Ouagadougou.
Une plainte pour faux en écriture administrative sur le certificat de décès portant la mention «Mort de mort naturelle» est également déposée.
19 juin 2001: rejet du pourvoi en cassation.
Les juridictions civiles se déclarent toutes incompétentes à gérer le dossier après cinq années de procédure. La Cour suprême, dans son arrêt du 19 juin 2001, déclare irrecevable le pourvoi en cassation. Le 20 juin 2001, les avocats de la famille Sankara mènent plusieurs requêtes pour tenter de saisir la justice militaire, mais sans suite. L’ordre de poursuite devait venir du ministre de la Défense qui n’était autre que Blaise Compaoré lui-même.
13 octobre 2002 : le Comité des droits de l’homme de l’ONU est saisi
Constatant les blocages au niveau national, les défenseurs de la famille font recours aux procédures juridiques internationales. Une plainte est déposée contre l’État burkinabè le 13 octobre 2002 devant le Comité des droits de l’homme des Nations Unies pour violation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par le Burkina en 1999.
Le Comité des droits de l’homme de l’ONU donne raison aux plaignants le 5 avril 2006 et ordonne entre autres à l’Etat « de rectifier son certificat de décès; de prouver le lieu de son enterrement; de compenser la famille pour le traumatisme subi ». Mais en avril 2008, le comité se dédit et classe à son tour le dossier.
28 juin 2012: plainte contre X pour séquestration irrecevable
Dix ans après le dépôt de la plainte contre X pour séquestration et enlèvement de Thomas Sankara, la cour de cassation clos la procédure en déclarant la plainte irrecevable.
30 avril 2014: la demande d’exhumation du corps est rejetée
Le tribunal de grande instance de Ouagadougou se déclare incompétent sur la demande d’exhumation du corps supposé de Thomas Sankara pour procéder à des expertises ADN.
4 mars 2015: la transition autorise l’exhumation
Un décret du gouvernement de transition « permet aux ayants droit de feu Thomas Isidore Noël Sankara, président du Faso du 4 août 1983 au 15 octobre 1987, d’ouvrir la tombe supposée contenir son corps et de faire procéder à toute expertise nécessaire à l’identification ».
14 septembre 2015 : le rapport d’autopsie disponible
La partie civile est invitée à prendre connaissance du rapport d’autopsie et de l’enquête balistique.
Source (Jeune Afrique)