Il aura été aux avant-postes de la lutte dès l’annonce du coup d’Etat le 16 septembre 2015. Le président du Conseil national de la transition (CNT), Cheriff Sy, a tenu la flamme de la lutte allumée pendant que le président de la transition et son Premier ministre étaient entre les mains du Régiment de sécurité présidentielle (RSP). Il s’autoproclame président de la transition par intérim. Caché on ne sait où, ses déclarations se succèdent, une radio de la résistance est vite créée et un décret, le seul qu’il a pris, dissout le RSP. Ce journaliste-révolutionnaire a accepté refaire son parcours tout au long de cette crise et se prononce sur une éventuelle prolongation de la transition dans l’entretien qui suit. C’était le 5 octobre dernier, en 23 minutes.
– L’Economiste du Faso: Dans quel état étiez-vous le 16 septembre lorsque vous avez appris que le président de la transition, Michel Kafando, et son Premier ministre, Yacouba Isaac Zida, ont été séquestrés par le Régiment de sécurité présidentielle (RSP), avec l’ensemble des ministres, en plein Conseil des ministres ?
Cheriff Sy (président du CNT): C’est de retour de la cérémonie du 6e Filep (Ndlr, Festival international de la liberté d’expression et de la presse) que j’ai été averti, sur le coup de 14h30 ce jour-là, qu’il y a quelque chose qui se passe à Kosyam. J’ai rapidement touché mes contacts par là-bas et c’est ainsi que j’ai appris qu’ils étaient séquestrés. J’ai alors essayé d’appeler quelques responsables administratifs et quelques chancelleries pour les informer de la situation. Certains étaient déjà au parfum de la nouvelle. Beaucoup pensaient que c’était une mutinerie, alors que je persistais à dire que c’était un coup d’Etat.
– Quel a été votre premier réflexe ?
Je ne doutais pas que j’allais être sur la liste de ceux qui ont séquestré le président du Faso et l’ensemble du gouvernement. C’était une évidence. Si on commence à prendre le président et son Premier ministre, il est évident qu’on cherchera à me mettre dans le sac aussi. J’ai donc fait appeler mes confrères journalistes pour les informer de la situation avant d’appeler les populations à la résistance. J’essayais de suivre le cours des événements. Mais les informations qui me parvenaient étaient tellement pressantes que j’étais obligé de me déplacer si je voulais garder la même posture. C’est ainsi que j’ai remis la déclaration liminaire de la conférence de presse à mon cabinet qui l’a remise aux journalistes présents. Et je suis parti.
– Pour aller vous cacher où ?
Ah là, demain n’est pas loin. Maintenant ou un autre jour, quelque chose peut encore se passer. J’ai la chance d’avoir vécu des expériences similaires. En plus, je suis journaliste et on a assez de ressorts, immédiatement, pour ces genres de situation. Ce sont ces ressorts que j’ai mis en branle.
– Vous ne nous dites toujours pas où vous étiez cachés.
Je suis resté aussi bien à Ouagadougou qu’aux alentours de Ouagadougou. Je suis allé aussi dans certaines provinces. Je remercie au passage tous ceux qui m’ont donné le gîte et le couvert et qui ont su garder toute la confidentialité par rapport à cette étape.
– On vous avait annoncé dans une chancellerie…
Pour qui me connaît sait que la chancellerie n’est pas l’endroit adéquat pour moi. On ne peut pas être dans une chancellerie et pouvoir faire certaines choses. Vous ne pouvez pas, à partir d’une chancellerie qui est le territoire d’un pays qui vous donne protection, faire des déclarations. Je ne pouvais pas faire toutes les déclarations que j’ai eues à faire en étant dans une chancellerie.
– Beaucoup vous attribuent la paternité de la radio de la résistance qui émettait subitement lorsque toutes les autres radios étaient réduites au silence par les putschistes. Comment cette initiative vous est-il venue ?
C’est dans le fil de la stratégie et de la lutte que nombre d’initiatives ont été prises. Il n’y avait pas que la radio. Il y avait de multiples choses que nous avons mises en marche. C’est donc une initiative qui a été prise par des résistants qui étaient, bien entendu, en contact avec moi. Chacun, dans son rôle, a fait son boulot.
– Aviez-vous pu échanger avec le président de la transition et son Premier ministre du temps où ils étaient en résidence surveillée ?
Ce n’était même pas possible puisqu’ils n’avaient pas accès à des moyens de communication. J’ai juste reçu un message du président Kafando le jour où il allait en résidence surveillée. Mon premier contact avec le premier a été établi le jour où il a été libéré.
– Avez-vous des assurances qu’ils n’ont pas été violentés durant le temps de leur arrestation ?
Ils ne me l’ont pas dit. Mais je pense qu’il n’y a pas plus grande violence que d’enfermer un homme simplement parce qu’il ne pense pas comme vous. Je peux même concéder pour le Premier ministre, parce qu’il est jeune comme vous et moi, mais cela est inacceptable pour le président.
Nous sommes en Afrique. Au regard du fait que le président Kafando soit de loin un de nos aînés, quelle que soit la situation, il devrait avoir droit à certains égards. Tous ceux qui l’ont mis dans ces conditions ont soit l’âge de ses enfants, soit à peine leur âge. C’est donc une violence morale qu’on ne peut pas occulter. D’une manière ou d’une autre, ils ont tous été éprouvés. Je me félicite que, immédiatement, chacun d’eux ait eu le courage de rebondir.
– Quelle était la valeur juridique de l’unique décret que vous avez pris en tant que président du Faso par intérim et qui dissolvait le RSP; décision entérinée par le premier Conseil des ministres post-séquestration ?
Si ça été entériné par le gouvernement, cela voudrait dire que nous continuions la légitimité de la transition, même si cela n’était pas fait dans les formes de droit adéquat. Le principe et la valeur y étaient.
– D’aucuns pensent qu’il faut absolument solder les comptes de ce coup d’Etat avant de passer aux élections. Quel est votre avis sur ce sujet ?
Ce coup d’Etat a révélé beaucoup de choses. La logique aurait voulu que ce contexte soit favorable pour vraiment mettre un certain nombre de choses à plat, de sorte à ce que quand nous irons aux élections, que le gouvernement qui sera issu de ces dernières n’ait plus de passif à gérer.
Nombre de ces choses sont sortis dans les recommandations de la Commission de réconciliation nationale et des réformes. Cette situation aurait pu permettre de mettre une constituante en place et de passer à une nouvelle République. Je dis bien que ça, c’est la logique.
Mais la réalité du terrain est tout autre. Nous étions quand même à la veille de l’ouverture de la campagne électorale.
Les partis politiques, notamment, se sont organisés à cet effet. Ils se sont investi aussi bien financièrement, intellectuellement que physiquement dans ce processus. Vous vous en doutez bien que beaucoup d’entre eux aujourd’hui sont à cours de beaucoup de choses. Avec tous les risques qu’une longue durée pourrait provoquer comme une intempérie politique, je pense qu’il serait judicieux de tenir compte de cette réalité pour que nous puissions rapidement organiser ces élections.
– Vous pensez déjà à quelle date ?
Au plus tard à la mi-novembre, à mon avis. Je pense que ce délai serait raisonnable, que ces élections puissent se tenir d’ici le 15 novembre. Ceci répond aux aspirations de bon nombre de citoyens. Je fais confiance au chef de l’Etat que les signataires de la Charte seront rapidement approchés afin de définir un nouveau chronogramme. Il est vrai aussi qu’il y a quelques questions sécuritaires à résoudre. La procédure judiciaire contre les putschistes peut se poursuivre.
– Le président du Faso par intérim que vous avez été a-t-il connaissance aussi de la présence de djadhistes sur notre territoire comme l’a souligné le gouvernement dans un de ses communiqués ?
Une enquête est en train de se mener. Je ne doute pas que le gouvernement, à ce niveau de responsabilité, ait pu affirmer cela. Cela veut dire qu’il a des éléments par devers lui. Par contre, à notre niveau, nous savions, depuis le mois de mai, qu’il y avait un certain nombre d’éléments appartenant à cette mouvance extrémiste et un certain nombre de mercenaires qui avaient été sensibilisés et motivés fortement.
– Par qui ?
Par des Burkinabè.
– Lesquels ?
Nous connaissons certains. Cette mouvance extrémiste et ces mercenaires avaient été suffisamment motivés pour créer une situation de trouble au Burkina.
– Le silence de la Côte d’Ivoire par rapport à la situation vous a-t-il surpris ?
La Côte d’Ivoire n’a pas été silencieuse. Vous pensez qu’elle a été silencieuse ? Moi, j’estime qu’elle n’a pas été silencieuse. Elle a eu maintes et moult positions, même au niveau d’Abuja lors du sommet extraordinaire de la Cedeao sur la crise au Burkina. Elle a défendu une position qui n’était pas favorable au Burkina Faso.
Les dernières déclarations du président Alassane Dramane Ouattara ont été très mal accueillies au sein des populations burkinabè. La Côte d’Ivoire avait une sensibilité qui n’était pas fortement pour la transition au Burkina. Elle n’a donc pas été silencieuse.
– Le coup d’Etat vous a-t-il vraiment surpris ?
J’ai toujours dit qu’il y aura un coup. Je ne dirai pas que je m’impatientais, mais plus on avançait, plus je me disais qu’on ne pouvait arriver aux élections sans qu’il y ait quelque chose. Je tiens cela d’une logique. Ce pouvoir a fait 27 ans.
Une insurrection le balaie un beau jour. On ne balaie pas ainsi un régime qui a fait 27 ans, qui a formaté des gens qui vont forcément tenter de balayer ceux qui les ont renversés. Je vous le dis sans vouloir paniquer les gens : ce n’est pas encore terminé. Comme on le dit, il y a les dernières cartouches qui restent. Si la transition ne se dote pas de moyens pour éviter qu’on utilise ces dernières cartouches, ils vont encore tenter quelque chose.
– Pendant qu’on y est, vous êtes-vous dotés de ces moyens ?
C’est notre peuple qui a mis en échec ce coup d’Etat. Ce n’est l’œuvre d’aucune autre personne. C’est le peuple, dans sa volonté d’aller vers la démocratie, qui a mis fin à ce coup d’Etat. Chacun de nous pourra travailler à ce qu’on aille vers ces élections.
– Au lendemain de l’arrestation du Général Diendéré, des voix s’élèvent pour demander à ce qu’on le protège car il pourrait être la cible de ses amis d’hier qui ne seraient pas favorables à ce qu’il parle. Craignez –vous aussi pour sa sécurité ?
Il se peut que si, comme on le dit, il détient une somme d’informations et des données qui peuvent poser problème à certaines personnes, à certains responsables d’un certain nombre de pays, à l’intérieur comme à l’extérieur, ceux-ci s’activeront pour qu’il ne parle pas. Mais je fais confiance à notre justice et à nos forces de sécurité qui sont conscientes de cette situation.
À cet effet, elles prendront toutes les mesures de protection.
Propos recueillis par Alexandre Le Grand ROUAMBA
Cheriff Sy adresse les conseils ci-dessous aux prochains gouvernants
«Je disais à certains amis que même si cette transition s’arrêtait aujourd’hui, la plus grande victoire qu’elle aurait eue est que personne ne pourra plus jamais imposer quoi que ce soit au peuple burkinabè. Nous assistons à une grande chevauchée démocratique dans notre pays. Nous avons une jeunesse plus que déterminée qui accepte se sacrifier pour sa patrie. Je m’incline devant ces martyrs qui sont tombés pour la patrie et je souhaite prompt rétablissement aux blessés. Vous avez des femmes et des hommes, des jeunes qui sont à un niveau de maturité révolutionnaire qui fait qu’on doit être fier d’être Burkinabè. Les animateurs qui seront désignés pour animer les institutions qui seront mises en place devraient désormais s’inscrire dans une voie de bonne gouvernance et d’un mieux-être pour le Burkina Faso, sinon … ! Ceux-là qui auront la charge de notre destin, ceux-là qui auront la charge de nous gouverner ont intérêt à avoir l’intelligence d’associer, pour commencer, le maximum de sensibilité».